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Exposition

L'art de Goya en guerre

par François Musseau

Article publié le 01/05/2008 Dernière mise à jour le 02/05/2008 à 13:19 TU

Le musée du Prado, à Madrid, qui possède la plus grande collection du monde d’œuvres de Francisco de Goya (1746-1828), propose jusqu’au 13 juillet une vaste exposition de son œuvre réalisée entre 1794 et 1820. Pour ce Goya en temps de guerre, un tiers des toiles, gravures et dessins exposés proviennent des fonds propres du musée, le reste ayant été emprunté à des collections privées ou à des musées non-espagnols. Les œuvres coincident avec une periode de grande turbulence politique (invasion napoléonienne, Guerre d’indépendance et restauration), au cours de laquelle Goya glisse vers un style davantage personnel et intimiste. Alors sourd et malade, le peintre fait montre d’ un réalisme cru sur les abominations humaines d’une manière aussi brillante qu’originale.

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Qu’on se rassure : cette exposition se penche bien moins sur la Guerre d’Indépendance que sur le génial artiste espagnol. La réalité historique sert davantage de prétexte à un hommage rendu à Francisco de Goya, l’un des artistes de référence du musée du Prado, qui organise là l’exposition la plus ambitieuse sur le peintre aragonais depuis 1996.

Goya en temps de guerre, ce sont quelque 200 œuvres (peintures, dessins, gravures) réalisées au cours des soubresauts historiques dont l’artiste est témoin pendant un quart de siècle, entre 1794 et 1820 : Révolution française, Terreur, invasion napoléonienne de l’Espagne, révolte populaire à Madrid contre José Bonaparte et restauration par le roi Fernando VII. L’initiative du Prado est opportune : au même titre que d’autres expositions venant de s’ouvrir à Madrid, elle commémore le bicentenaire du soulèvement madrilène contre les forces d’occupation française du 2 mai 1808. Organisée dans le palais Villanueva, le bâtiment historique du Prado (récemment agrandi et embelli), l’exposition s’articule autour de diverses périodes artistiques de Goya, elles-mêmes correspondant aux convulsions historiques de l’époque : Goya, peintre de Chambre (1795-1800), Goya à l’aube du nouveau siècle (1800-1808), Goya pendant la Guerre (1808-1814), enfin Goya à l’aune des «conséquences fatales de la sanglante Guerre d’Espagne». Car, bien entendu, ces événements dramatiques auront un profond impact sur l’oeuvre du maître.

 Madrid - 2 Mai 1808 : Charge des Mameluks (1814)Francisco de Goya y Luciente © Musée national du Prado

Madrid - 2 Mai 1808 : Charge des Mameluks (1814)
Francisco de Goya y Luciente © Musée national du Prado

Comme le dit la commissaire Manuela Mena : « Durant toutes ces années, Goya acquiert une profonde indépendance artistique, qu’il exprime de façon de plus en plus personelle et intimiste ». Entre ses années de peintre de cour et son exil à Bordeaux, cette période est certainement la plus féconde de l’artiste. Elle est aussi particulièrement tragique pou

r lui. Elle s’ouvre, dès 1794, sur une très grave maladie à l’origine de sa surdité, et se ferme, quinze ans plus tard, sur des violences répressives où Goya frôle la mort. « Malgré une santé difficile, l’artiste est extrêmement prolifique et, au delà de chaque rebondissement, il peaufine et se concentre sur son art et sa capacité expressive », souligne Manuela Mena. C’est d’ailleurs ce qui surprend le plus au cours de l’exposition : le style si reconnaissable du peintre espagnol (définition exquise des matières - soie, fleurs ou armes -, brillant jeu des couleurs et des lumières, économie des moyens) est au service d’une diversité étourdissante. Dans la première phase, le peintre officiel de la Cour décrit ses mécènes avec acuité, et un certain esprit satirique. C’est le cas du Duc d’Albe, du Duc d’Osuna ou du général Godoy, vainqueur des Portugais lors de la « guerre des oranges ». A partir de 1800, Goya continue de peindre les membres de la noblesse. A l’instar de la Famille de Charles IV, tableau emblématique de cette époque de « commandes officielles » où apparaissent ces Bourbons au grand complet, inquiets de leur sort en pleine révolution française.

L ‘invasion napoléonnienne et l’irruption de la guerre va bouleverser l’œuvre de Francisco de Goya. Il abandonne les portraits héraldiques pour des regards sans concession sur les ravages des combats. Recourant aussi aux dessins et aux gravures, l’artiste représente la mort dans son horreur et sa réalité la plus crue. Dans des séries thématiques, les bodegones (1806-1812) ou les disparates (« extravagances », vers 1815), il donne libre cours à des visions dantesques où la cruauté le dispute au desespoir le plus total : viols, massacres, exécutions à la bayonette, fusillades, volailles tout juste tuées (où l’empathie de l’artiste est manifeste), maisons de fous, gnômes, monstres et figures difformes…Goya ne prend parti pour aucun camp. Bien au-delà des clivages, le réalisme de ses œuvres dénonce l’absurdité de la destruction guerrière. Une mention spéciale doit être faite à deux de ses toiles majeures, hébergées dans une salle à part, et méritant le détour pour elles seules : le Deux et le Trois mai, œuvres peintes en 1814, décrivant deux scènes ultra-violentes du soulèvement madrilène de 1808. Elles constituent un dyptique : la première, en plein jour, oppose le petit peuple à des cavaliers napoléoniens ; la seconde montre une exécution sommaire, en pleine nuit, où la lueur des lampes exacerbe l’expression de terreur sur le visage des futurs fusillés. Durant la Guerre civile espagnole (entre 1936 et 1939), ces deux toiles avaient subi des dommages, alors qu’on les transportait dans un village près de Gérone, en Catalogne. En 2000, la direction du musée du Prado s’était lancé dans leur restauration. On peut aujourd’hui les admirer, sans saleté ni vernis jaunâtre, dans toute leur transparence et leur intensité .

Madrid - 3 Mai 1808 : Exécutions sur la colline du Principe Pio (1814)Francisco de Goya y Luciente © Musée national du Prado

Madrid - 3 Mai 1808 : Exécutions sur la colline du Principe Pio (1814)
Francisco de Goya y Luciente © Musée national du Prado

 

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