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Sculpture

Rodin… et les autres

par Bartholomé Girard

Article publié le 10/03/2009 Dernière mise à jour le 30/03/2009 à 13:42 TU

Face au monstre sacré qu’est Auguste Rodin, comment sortir de son ombre et proposer une nouvelle esthétique en sculpture ? Tel est le défi que tentent de relever les artistes qui se retrouvent à Paris, au début du XXème siècle. Le musée d’Orsay offre une rétrospective de leur travail, jusqu'au 31 mai.

« Pour la plupart des jeunes artistes qui cherchaient leur développement et leur identité, le problème, c’était Rodin ». Le propos est d’Albert Elsen, professeur d’art cité dans le catalogue de l’exposition par la commissaire Catherine Chevillot. Dans le Paris des années 1900-1910, Auguste Rodin fait figure de patriarche, de patron – dans tous les sens du terme. Il est, alors, le maître incontesté de la sculpture, attirant des artistes de l’Europe entière qui se retrouvent dans la capitale française. Le Belge George Minne, l’Allemand Wilhem Lehmbruck, l’Espagnol Pablo Picasso et l’Italien Amedeo Modigliani se croisent ainsi dans les ateliers du quartier Montparnasse, faisant du Paris d’avant-guerre le foyer de la jeune sculpture.

Jeune homme assis, Lehmbruck, 1916-1917. Statue bronze. Duisburg, Lehmbruck Museum.© ADAGP/ photo Christian Baraja

Jeune homme assis, Lehmbruck, 1916-1917. Statue bronze. Duisburg, Lehmbruck Museum.
© ADAGP/ photo Christian Baraja


Rodin, inévitable

Si, dans un premier temps, les sculpteurs restent sous la coupe du créateur de L’Enfant prodigue et d’Ugolin, bientôt émerge le désir de se détacher de l’influence rodinienne. L’exposition Oublier Rodin ? présente 110 pièces qui témoignent des tentatives d’éloignement du naturalisme exacerbé de Rodin – où chaque tressaillement de muscle et bout d’épiderme est exprimé avec force – pour, progressivement, aller vers des formes épurées, des structures davantage géométriques, des figures plus simples. « Le début du XXème siècle a toujours été étudié sous deux angles : ‘qu’est-ce qui prolonge le XIXème siècle ?’ ou ‘qu’est-ce qui annonce les avant-gardes ?’. Je voulais montrer que ce n’était pas si évident, qu’il y a eu une période particulière, une unité d’esprit », explique Catherine Chevillot. Délicat, en effet, dans le bouillonnement artistique de cette époque transitoire, de trouver une véritable unité formelle, comme un courant artistique qui aurait touché implacablement chacun des acteurs.

Porteur de reliques, Minne, 1897. Statuette, marbre.© ADAGP/ Paris 2009/ Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Porteur de reliques, Minne, 1897. Statuette, marbre.
© ADAGP/ Paris 2009/ Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Les artistes se rencontrent plutôt autour d’un but commun : s’affranchir du poids de Rodin. Soit, à partir de 1905, des essais plus ou moins concluants pour s’écarter de cette esthétique pathétique, alors au faîte de sa gloire. Et si l’exposition Oublier Rodin ? s’ouvre sur la période du « Rodinisme », par laquelle chaque artiste est inévitablement passé (les œuvres de Rodin posées aux côtés de celles de ses confrères montrent sans ambiguïté l’impact de son travail, à l’instar de pièces de Wilhem Lehmbruck comme L’Homme, qui rappelle la Méditation sans bras, ou Jeune homme assis, référence évidente au célèbre Penseur), la suite tend à montrer l’écart grandissant entre le maître et ses disciples.


Rodin, indépassable ?

La remise en cause progressive par la nouvelle génération se traduit notamment par la recherche d’un principe originel de la sculpture, c’est-à-dire les « solutions formelles, lignes élémentaires, lois archétypales » de cet art du modelage, indique notamment Mélanie Leroi-Terquem dans Le Petit Journal des grandes expositions, dont le nouveau numéro est consacré à l’évènement. Les espaces intitulés « Mutation » et « Volume » montrent l’adoucissement des formes et l’apaisement des attitudes. En 1910-1912, les tendances s’exacerbent : Constantin Brancusi et Alexandre Archipenko, entre autres, privilégient les formes géométriques. Leurs sculptures sont un assemblage de cylindres, cônes, sphères… Le visage devient un « masque sur une boule », selon Maillot.

Jeune fille à la cruche, Bernard, 1905-1912. Statue, bronze. Paris, musée d'Orsay.© ADAGP/ photo Christian Baraja

Jeune fille à la cruche, Bernard, 1905-1912. Statue, bronze. Paris, musée d'Orsay.
© ADAGP/ photo Christian Baraja

Et toute animation de l’épiderme disparaît, au profit de surfaces lisses. Les statues ne racontent plus d’histoires ou ne représentent plus de personnages mythologiques, comme chez Rodin. « Ce sont simplement des femmes debout qui n’ont plus de mouvement, sans expression particulière, presque absentes », poursuit Catherine Chevillot. Et Lehmbruck, à l’époque, de comparer le sculpteur à un architecte dénué de subjectivité : « Une bonne sculpture doit être réalisée comme une bonne composition, comme un bâtiment, lorsque les mesures se répondent. »

Coïncidence : au sortir de l’espace consacré à l’exposition, le visiteur ne peut manquer, à quelques mètres sur la gauche, une œuvre essentielle de Rodin, appartenant au Musée d’Orsay : l’imposante Porte de l’enfer. Devant cette pièce majestueuse, on comprend que le sculpteur ait suscité autant de passion et de jalousie à son époque… et également pourquoi il reste, aujourd’hui, la référence majeure en sculpture française, quelles que soient les tentatives ultérieures pour y échapper. C’est pourquoi l’exposition intéresse particulièrement par ce souci de reconstituer la scène artistique de son temps. Il ne s’agit pas de présenter ce qu’il reste de cette période, mais ce qui l’animait alors. La commissaire d’exposition rappelle, à ce titre, que la sculpture cubiste, qui n’était pas montrée dans les années 1910, est aujourd’hui reconnue. Et, qu’à l’inverse, la plupart des sculpteurs montrés dans Oublier Rodin ?, sauf quelques cas comme Henri Matisse, Aristide Maillol et Émile-Antoine Bourdelle, sont aujourd’hui passés au second plan.

La muse endormie, Brancusi, 1910. Tête bronze. Paris, MNAM.© ADAGP/ Paris 2009/ Photo CNAC/MNAM dist. RMN/ Adam Rzepka

La muse endormie, Brancusi, 1910. Tête bronze. Paris, MNAM.
© ADAGP/ Paris 2009/ Photo CNAC/MNAM dist. RMN/ Adam Rzepka

A propos de Rodin

Exposition

© Musée Rodin. Photo : Jean de Calan.

Rodin et son «Origine du monde»

30/03/2009 à 07:39 TU