Exposition

Rodin et son «Origine du monde»

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 30/03/2009 Dernière mise à jour le 30/03/2009 à 07:39 TU

Trois ans après l'exposition Rodin et Eros au musée Rodin à Paris, la Fondation Gianadda en Suisse explore de nouveau le thème de l'érotisme chez le sculpteur français. L'occasion de découvrir des dessins et aquarelles jamais montrés.

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Le soleil couchant.
© Musée Rodin. Photo : Jean de Calan.

Rodin et l’érotisme… Une thématique décidément inépuisable si l’on en juge par les trois expositions qui, depuis 2006, ont exploré cette facette longtemps demeurée cachée du travail du sculpteur français. Et cela, sans se répéter. Ainsi de la nouvelle exposition qui se tient à la Fondation Gianadda en Suisse, Rodin érotique qui, trois ans après Rodin et Eros au Musée Rodin à Paris, présente 72 dessins inédits auxquels il faut ajouter une trentaine de sculptures, lesquelles n’avaient pas été retenues pour l’exposition parisienne.

« L’art de la sculpture a longtemps masqué son travail de dessinateur », souligne Nadine Lehni, la commissaire de l’exposition, qui rappelle que Rodin (1840-1917) a laissé quelque 7 000 dessins qui correspondent à deux temps bien précis dans sa carrière : « Ce sont d’abord les dessins d’exercice dans les années 1890, puis vers la fin de sa vie, dans les années 1910, des dessins réalisés en grand nombre et indépendamment de son travail de sculpteur », détaille Dominique Viéville du Musée Rodin. Ces derniers dessins feront d’ailleurs l’objet d’expositions aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne et en Hollande, du vivant de leur auteur.

Ce sont certains de ces dessins issus de la dernière période que la Fondation Gianadda présente. Soit le « musée secret » de Rodin comme il l’appelait lui-même, où l’on observe, reprend Nadine Lehni, « une obsession pour le sexe féminin qui s’explique par son refus du dessin académique et sa volonté assez révolutionnaire de capter des éléments de vie jamais montrés ». Sa manière de dessiner participe d’ailleurs de cette instantanéité : « Il ne regarde pas la feuille, saisit son modèle dans une attitude toujours proche de la chute. Il parlait d’ailleurs ‘d’éclairs de vie’ ». Debout, couché, de dos, de profil, une jambe relevée, agenouillé, à quatre pattes, les genoux repliés, etc… Le modèle est saisi dans tout un ensemble de postures plus ou moins acrobatiques, et toujours en action.

De ce premier jet, Rodin faisait ensuite un calque pour conserver la ligne ténue d’un contour, ce que Nadine Lehni appelle « une matrice », qu’il pouvait alors retravailler à sa guise pour en faire « un dessin parfait débarrassé de toutes ses scories » avant de le recouvrir d’un lavis « couleur de terre de Sienne qui confère aux corps une réelle densité ». Rodin ne cherche même pas à faire coïncider dessin et couleur. Comme pour la captation d’un mouvement, Rodin fait preuve de la même « tranquille audace ».

La baigneuse accroupie (sans bras et pieds).
© Musée Rodin. Photo : Christian Baraja.

Si Nadine Lehni a tenu à mettre en regard, « en correspondance » une trentaine de sculptures, c’est pour souligner combien cette fascination pour « le mouvement, la métamorphose et, avec le temps, la simplification » conduit la main tant du sculpteur que du dessinateur. Et cela, en dépit du fait que les sculptures sont beaucoup moins crues que les dessins. Les premières exaltent plutôt la sensualité pure à l’instar du buste de toute beauté d’Adèle (1884-85) ou l’émotion amoureuse comme pour Le Baiser (1886) alors que les seconds sont plus transgressifs même si, à l’inverse des estampes japonaises - Rodin en possédait une belle collection -, ils ne montrent jamais l’acte sexuel bien qu’il ait représenté quelques couples saphiques. Dans un cas comme dans l’autre, c’est « la perception rapide, aigue de Rodin pour ce qu’il y a de nouveau » qui éblouit.

Cette obsession pour le sexe féminin représente également aux yeux de Rodin « la source de vie par excellence ». Les titres des dessins renvoient du reste à la mythologie et, même dans certains cas, à une forme de religiosité. Ainsi de cette série de trois dessins intitulés Naissance de Vénus, La création et le magnifique Soleil couchant où le corps de la femme qui offre ses fesses au regard du visiteur semble flotter dans l’espace, nous propulsant du même coup dans une autre dimension. Ou l’art de conférer à une pose somme toute banale voire vulgaire, une transcendance absolument merveilleuse et, pour ainsi dire, d'essence divine.

Cette nouvelle présentation, trois ans après Eros, s'inscrit finalement dans ce souci de dévoilement voire d'exhumation qui, depuis quelques années, a permis de découvrir des collections entières et des facettes méconnues du travail de certains artistes à l'instar d'un Klimt ou d'un Picasso, sans oublier la grande exposition que la Bibliothèque nationale de France avait consacrée à « son » Enfer, l'an passé.