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Céleste

Accrochage de nuages au Havre

par Danielle Birck

Article publié le 19/10/2009 Dernière mise à jour le 19/10/2009 à 18:41 TU

Christophe Keller, The Whole Earth, 2007(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Christophe Keller, The Whole Earth, 2007
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Après la mer, avec les expositions sur la vague et sur les ports, c’est vers le ciel que le musée Malraux du Havre invite ses visiteurs à porter leurs regards par le biais des peintures et photographies présentées dans  « Les Nuages… Là-bas… Les merveilleux Nuages ». Sous ce titre emprunté à Baudelaire, l’exposition, réalisée en partenariat avec le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) de Haute-Normandie, rassemble 200 œuvres de 83 artistes, des années 1850 à nos jours, des études de ciel du peintre Eugène Boudin aux photos numériques. A voir jusqu’au 24 janvier 2010.

« Le point de départ de cette exposition c’est la présence dans nos collection d’un nombre important d’études de ciel d’Eugène Boudin, environ 25 œuvres, précoces et tardives, un ensemble extraordinaire et un thème sur lequel le peintre a travaillé toute sa vie », indique Annette Haudiquet, conservateur du musée et co-commissaire de l’exposition. Une démarche qualifiée d’« originale » dans l’œuvre de ce peintre normand qui fut, avec Jongkind, le premier maître de Claude Monet et dont le musée Malraux détient 120 œuvres issues d’un legs. Ensuite, le fil conducteur de l’exposition a consisté à s’interroger sur « la postérité » d’une telle démarche.

Boudin, Baudelaire et la Photographie

Eugène BOUDIN Etude de ciel Vers 1888-1895 Huile sur bois 38 x 46 cm Le Havre, musée Malraux© Florian Kleinefenn

Eugène BOUDIN Etude de ciel Vers 1888-1895 Huile sur bois 38 x 46 cm Le Havre, musée Malraux
© Florian Kleinefenn

Une postérité que les commissaires de l’exposition ont pris le parti d’aller chercher essentiellement dans la photographie. « C’est vrai qu’on s’est posé la question  de la peinture », reconnait Annette Haudiquet. Avant d’y renoncer devant l’immensité du sujet et « de laisser tomber Magritte, Mondrian, la sculpture avec Arp, pour se concentrer sur la photographie ».

Un choix d’autant plus pertinent qu’il prend pour point de départ le milieu du XIXe siècle, avec la date charnière de 1859 qui est celle de la première exposition de Boudin au Salon de Paris, avec Le Pardon de Sainte-Anne-la-Palud, une œuvre qui sera achetée peu de temps après par la Ville du Havre pour  son tout jeune musée. C’est à ce même Salon de 1859 que la photographie, née vingt ans plus tôt, fait sa première apparition officielle.

Si Baudelaire, dans son compte-rendu du Salon, a alors « des mots extrêmement durs » contre la photographie, il ne tarit pas d’éloges sur Boudin, non pas tant sur le tableau exposé (« fort bon et fort sage ») que sur les études de ciel  - « ces beautés météorologiques » - qu’il a eu le privilège de voir dans l’atelier du peintre et dont il est le premier à en vanter la qualité. « L’exposition part donc de ce trio : Boudin, Baudelaire et la Photographie », indique la commissaire de l’exposition.

Gustave LE GRAY Effet de soleil dans les nuages - Océan 1856-1857 Epreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif verre 32,2 x 42 cm Paris, musée d’Orsay© Musée d’Orsay, Dist. RMN / Patrice Schmidt

Gustave LE GRAY Effet de soleil dans les nuages - Océan 1856-1857 Epreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif verre 32,2 x 42 cm Paris, musée d’Orsay
© Musée d’Orsay, Dist. RMN / Patrice Schmidt

Balbutiements,  subterfuges et maîtrise

Alors, quels sont « ces photographes, qui dans ces années 1855/60 s’essayent à capter les nuances du ciel ? ». Ils ont pour nom Gustave Legray, « venu au Havre en 1856 faire ses premières grandes photographies qui vont connaître un succès immédiat et comptent maintenant parmi les chefs d’œuvre de l’histoire de la photographie », Charles Marville ou Charles Nègre. Marville.

La technique de la photo est encore  balbutiante et ces artistes vont devoir inventer « toutes sortes de subterfuges, de trucages pour capter les nuages. Et Legray, en particulier est passé maître de cette technique consistant à assembler deux négatifs pour la réalisation d’un paysage ». Ce qui va poser, très vite le problème de « la véracité, qui va parcourir l’histoire de la photographie ». 

André KERTÉSZ (Andor Kertész dit) Nuage égaré, New York 1937 Epreuve gélatino-argentique 24,7 x 16,5 cm Paris, musée national d’art moderne - Centre Georges Pompidou© Collection Centre Pompidou, Dist. RMN / Georges Meguerditchian © RMN – Gestion des droits d’auteurs

André KERTÉSZ (Andor Kertész dit) Nuage égaré, New York 1937 Epreuve gélatino-argentique 24,7 x 16,5 cm Paris, musée national d’art moderne - Centre Georges Pompidou
© Collection Centre Pompidou, Dist. RMN / Georges Meguerditchian © RMN – Gestion des droits d’auteurs

Les progrès de la technique vont aboutir à la fin du XIXe siècle à « une maîtrise totale et à l’affirmation d’un art où le ciel et les nuages prennent toute leur importance, comme, en peinture, dans un beau paysage composé ».

Le second volet de l’exposition souligne et illustre les prolongements contemporains des conquêtes réalisées par les photographes du XIXe siècle. Avec, pour commencer, dans les années 1920 l’Américain Alfred Stieglitz,  « le premier à photographier des nuages comme des équivalents poétiques, musicaux », souligne Annette Haudiquet, pour qui « ses œuvres inaugurent un autre pan de l’histoire de la photographie où le nuage, le ciel, deviennent un lieu d’expérimentation, le nuage un objet autonome, une forme ».

Un objet, une forme, un thème dont les artistes n’auront de cesse de s’emparer de manière très différente au fil du temps. Pour, par exemple, le mettre en rapport avec des formes créées par l’homme, comme dans le Nuage égaré, de l’Américain André Kertesz, où le flocon nuageux cohabite avec l’arête d’un building.

Bulletproofglass n° 1 L 2002 C-Print Ed. 7/10 138 x 225 cm Courtesy galerie Conrads, Düsseldorf© Rosemary Laing

Bulletproofglass n° 1 L 2002 C-Print Ed. 7/10 138 x 225 cm Courtesy galerie Conrads, Düsseldorf
© Rosemary Laing

Dans la foulée du  surréalisme le nuage va se prêter à « l’humour, les mises en scène, les distorsions », des expérimentations ludiques et poétiques auxquelles les artistes contemporains vont se livrer avec les techniques numériques. (1)

« C’est une exposition assez jubilatoire… On balaye 150 ans d’histoire et le nuage, le ciel restent un sujet inépuisable de poésie, inspirent toujours les artistes », conclut Annette Haudiquet.

On ajoutera que le lieu, le musée Malraux, n’est pas pour rien dans le charme de cette exposition. Dans cet édifice entièrement vitré, planté sur le port du Havre à l’entrée du chenal, le paysage réel - ciel et mer - s’invite en permanence et invite le regard à aller au loin, vers « les nuages qui passent … là-bas…  là-bas… les merveilleux nuages ! ». (Baudelaire, poème L’étranger, dans Le spleen de Paris )

                     Le FRAC Haute-Normandie

« Les Nuages, c'est le deuxième grand projet que nous réalisons avec le Musée Malraux, après l’exposition consacrée à La Vague, déjà avec la photographie du XIXe à nos jours, puisque nous avions acheté une œuvre de l’artiste suisse Balthasar Burkhard, La vague, une photographie de 1995 prise à Etretat, au même moment où le musée Malraux avait acheté une marine de Courbet ».  

« C’est très souvent que nous collaborons avec les musées de la région, puisque la mission d’un Fonds régional d’art contemporain (FRAC) est de présenter la création contemporaine sur tout le territoire, soit en étant à l’initiative d’expositions, soit en collaborant avec d’autres structures, ce qui nous permet à nous d’inscrire la création contemporaine dans un déroulement historique ».
« Cette exposition est un peu particulière, car il n’y a aucune œuvre du FRAC de Haute Normandie, mais il n’est pas dit qu’à sa suite, nous n’allons pas acquérir, comme le musée d’ailleurs, certaines œuvres montrées. On a des prêts des grandes collections publiques (Orsay, Pompidou, musée d’art moderne de la Ville de Paris, de musées de province et du Fonds national d’art contemporain), mais nous travaillons aussi directement avec les artistes eux-mêmes - ou leurs représentants, puisqu’il y a des photographies qui viennent du monde entier ».
« On a une collection assez importante d’un millier d’œuvres et, surtout, un nombre important de livres d’artistes, qui est notre spécificité et d’œuvres sur papier, que nous exposons à partir de ce mois d’octobre, au FRAC Haute Normandie, à l’Abbaye de Jumièges, avec la publication d’un catalogue raisonné de la collection de dessins contemporains. On a également un petit projet avec le musée d’Evreux, sur le thème de la vanité, et qui sera inauguré la veille de la Toussaint…».

            Marc Donnadieu, responsable FRAC haute-Normandie                                         co-commissaire de l'exposition

                           

DR

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(1)   On peut compléter la visite de l’exposition en allant découvrir au Portique, un espace d’art contemporain en centre ville, l’œuvre vidéo de Laurent Grasso, lauréat du Prix Marcel Duchamp 2008, où l’on suit en boucle sur grand écran le mouvement d’une masse nuageuse s’avançant vers le spectateur tout en progressant dans une rue dont elle occupe toute la largeur…