par Elisabeth Bouvet
Article publié le 26/10/2009 Dernière mise à jour le 26/10/2009 à 09:19 TU
Michael Kenna, "Seven Posts in Snow" (Rumoi, Hokkaido, Japan, 2004).
(Crédit : BnF, dép. Estampes et photographie © Michael Kenna)
L’automne, saison de la photographie à Paris qui accueille diverses manifestations. Partenaire de Photoquai et de Paris Photo, la Bibliothèque nationale de France qui, sur son site Richelieu, prête ses cimaises à Michael Kenna pour une rétrospective en 210 images. C’est à voir à la BnF jusqu’au 24 janvier 2010.
La tunique est rouge, le rire tonitruant… Est-ce bien le Michael Kenna, photographe des paysages déserts et comme saisis hors du temps qui se tient là, devant nous ? La réponse est à chercher dans les traits presque juvéniles d’un visage qui n’accuse pas vraiment ses 54 ans, à l’image finalement de l’ensemble présenté à la BnF soit trente ans de photographies (1974-2009) sans réelle rupture depuis les débuts du Britannique jusqu’à ses dernières photographies, depuis ses premiers travaux sur les jardins (sujet typiquement anglais) et le thème de l’industrie qui, par-delà l’aspect poétique, dégagent une atmosphère vaguement inquiétante comme dans certains films noirs jusqu’à ses photos faites en Chine ou au Japon où l’épure le dispute à la délicatesse comme sur ses paysages de neige où une montagne se fait apparition et une clôture dans la neige, partition ou allumettes.
Michael Kenna, "Full Moon Rise" (Chausey Islands, France, 2007).
(Crédit : BnF, dép. Estampes et photographie © Michael Kenna)
C’est d’abord le recours au noir et blanc qui s’est d’emblée imposé à Michael Kenna et dont il ne s’est jamais détourné, tout comme du format plutôt modeste des épreuves, un carré rigoureux de 20 cm de côté. Ce choix, assez peu conforme aux « canons » en usage quand on évoque le travail photographique autour du paysage, il l’explique par la volonté de « créer un rapport intime entre le visiteur et l’image ». De fait, l’on est obligé de se « coller » à l’image avec pour conséquence triple d’en fouiller le contenu avec une acuité redoublée, d’être pratiquement accaparée, happée par le paysage qui s’offre à nous et, enfin, d’entendre même la vie y compris silencieuse derrière l’image.
En d’autres termes, nous voilà comme des détectives qui, passé l’éblouissement visuel devant le subtil jeu sur les ombres, la lumière fut-elle nocturne, et les lignes souvent troublantes derrière leur apparente perfection, seraient amenés à aller au-delà de l’image pour y déceler des traces dissimulées. Et la tentation est d’autant plus forte que Michael Kenna ne cesse de revenir sur les lieux qui l’inspirent, à la recherche de traces du passé, la photographie - comme chacun sait - témoignant d’un temps qui fut mais n’est déjà plus dès l’image prise. « Les paysages, c’est comme les amis : c’est agréable de dîner avec de vieux amis tous les cinq ans. Il y a comme ça un arbre que j’ai photographié à vingt ans de distance. C’est une façon de se demander comment il a changé, une façon pour moi d’être au monde », explique-t-il.
Il se souvient ainsi, enfant d’avoir joué à graver son nom et la date du jour sur les arbres du parc qui jouxtait la maison familiale. Et du reste, c’est de l’enfance que lui viennent ses sujets de prédilection : les zones industrielles (où il a grandi), les parcs (où il allait jouer) et la mer (où il passait ses vacances en famille). Ce peut être aussi un lieu qui l’a bouleversé, ainsi du Mont Saint-Michel où il se rend à intervalles réguliers (étant même allé jusqu’à vivre auprès des moines, ce qui explique des prises de vue assez peu communes). Sous l’œil de Michael Kenna, le miracle a lieu : le Mont Saint-Michel, l’un des monuments les plus « matraqués » au monde, apparait dans toute sa mystérieuse splendeur, comme si on le découvrait pour la première fois. Il a d’ailleurs le don de surprendre sans cesse.
Michael Kenna, "Moai, Study 16" (Ahu Tongariki, Easter Island, 2000).
(Crédit : BnF, dép. Estampes et photographie © Michael Kenna)
Va-t-il en Espagne qu’il photographie les moulins (de Don Quichotte) sous un ciel terriblement menaçant, se rend-t-il sur l’île de Pâques qu’il réussit à parer les célèbres statues d’une aura sacrée et millénaire que leur « familiarité » avait fini par gommer, se déplace-t-il à New-York ou à Rio de Janeiro qu’il parvient à renouveler l’iconographie usée jusqu’à la trame de ces deux villes « mythiques », regarde-t-il la mer que son attention à l’horizon et aux reflets lui restitue toute sa force, toute sa puissance évocatrice.
Et pourtant, les références ne manquent pas. Lui-même le signale sur certaines images considérées explicitement comme un hommage à tel ou tel de ses maîtres que ce soit Atget, Brandt, Brassaï ou Giacomelli. Mais l’on peut reconnaitre également dans cette attention toute particulière et toute britannique aux ciels les influences d’un Turner ou d’un Constable. Enfin, il ne faudrait pas négliger la part d’humour qui parfois se fraye un savoureux passage dans l’apparent bel agencement tel que voulu par l’homme.
De ce point de vue, la photographie de la topiaire non taillée dans un jardin par ailleurs dessiné au cordeau est assez irrésistible. Il n’est pas malheureux de constater ainsi que les traces de « domestication » humaine (pour le meilleur mais aussi, et plus souvent, pour le pire) ne sont pas forcément irréversibles face à une nature dont Michael Kenna nous restitue avec une infinie délicatesse (et quasi empathie), la fragile et même parfois évanescente beauté.
Michael Kenna, "Mary Poppins Over Midtown" (New York, USA, 2006).
(Crédit : BnF, dép. Estampes et photographie © Michael Kenna)
kézako