par Elisabeth Bouvet
Article publié le 12/10/2009 Dernière mise à jour le 12/10/2009 à 08:54 TU
"Le reflet", Mohamad Bourouissa (2007).
© Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration
Dans le droit fil de l’exposition consacrée au photographe Patrick Zachman et à son travail depuis vingt ans sur Ma proche banlieue (le titre de l’exposition), la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à Paris, présente les images de deux photographes qui, chacun à leur manière, s’attachent à la question de la périphérie : Mohamed Bourouissa et Mathieu Pernot.
Les photographies occupent les murs de la coursive, au premier étage. Un espace parfaitement adapté au travail des deux artistes tant leurs images croisent différentes thématiques qui se font écho de part et d’autre du patio, et cela en dépit de deux approches pour le moins différentes. Si l’on circule dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est avec Mathieu Pernot que débute (judicieusement) le parcours. A travers deux séries d’images, le photographe interroge notre regard sur la banlieue qui, en l’espace de quatre décennies, a changé pour le moins radicalement.
D’un côté, douze cartes postales agrandies et en couleur (même si parfois, elles ont été recolorisées) qui montrent des barres d’immeubles dans les années 1960 et 1980 comme s’il s’agissait d’un coin de paradis : la série s’appelle d’ailleurs Le meilleur des mondes. Ainsi présentait-on La Courneuve, Meaux ou encore le Val Fourré, un ciel immuablement bleu et espaces verts tracés au cordeau. Sur l’une de ces cartes postales, un « nous » de toute évidence fier et ravi a même été écrit en face de l’appartement des expéditeurs. Rappelons que dans les années 1960, ces grands ensembles ont été construits en lieu et place des bidonvilles qui encerclaient la capitale.
"La Courneuve, le 8 juin 2000", Mathieu Pernot.
© Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration
Sauf que quarante plus tard, c’est en noir et blanc que ces mêmes quartiers, désormais montrés du doigt voire ghettoïsés, apparaissent dans l’objectif cette fois de Mathieu Pernot qui a assisté en 2 000 à quelques-unes des démolitions de ces grands ensembles devenus non viables. Avec des images aussi spectaculaires que belles, même si derrière ces majestueux nuages blancs qui semblent montés du sol suite à l’implosion marquent la disparition d’un pan de notre patrimoine et surtout la fin brutale et définitive d’une histoire, d’une époque. Comme s’il n’y avait rien eu. « Une destruction violente qui pulvérise le passé, la mémoire du quartier, les promesses du lieu », écrit Mathieu Pernot.
Mohamed Bourouissa interroge moins la mémoire que la représentation de la banlieue. Contrairement à Mathieu Pernot qui s’inscrit dans une démarche documentaire, Mohamed Bourouissa revendique très clairement sa place dans l’espace de l’art contemporain. Les scènes qu’il photographie ont toutes été soigneusement préparées, dûment dessinées, méticuleusement construites en référence souvent à un tableau. Rien n’est laissé au hasard - même si le photographe reconnait qu’il est aussi en quête d’un geste inattendu et bienvenu comme sur cette image intitulée La fenêtre où le boxeur de dos a posé sa main gauche sur sa nuque par inadvertance - et pourtant, tout parait étrangement vivant, spontané et dynamique.
« Je crée une narration mais j’essaie de travailler sur le vif. Je travaille sur cette ambiguïté », explique Mohamed Bourouissa qui, en dépassant nettement le sujet, a réussi le tour de force de sortir la banlieue du carcan où on l’enferme habituellement entre documentaire et photojournalisme pour l’inscrire dans le champ de l’art. Comme le fait observer l’un des acteurs de ces photographies dans le film de Pascal Hendrick, L’art et la manière / Mohamed Bourouissa, présenté en marge de l’exposition : « C’est la première fois que je vois quelque chose de vivant, d’artistique sur la vie qui est la mienne dans la banlieue ».
kézako