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Patrimoine

Benjamin Franklin : un Américain à Paris

par Danielle Birck

Article publié le 16/01/2008 Dernière mise à jour le 06/01/2009 à 11:40 TU

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L’inventeur américain du paratonnerre était aussi, entre autres, diplomate et c’est à ce titre « officieux » qu’il vécut à Paris de 1776 à 1785. Mais c’est bien plus tôt que Benjamin Franklin avait commencé à tisser des liens avec la France du siècle des Lumières. Une relation privilégiée qu’explore au fil de quelque 340 pièces – sculptures, objets et documents – l’exposition présentée au musée Carnavalet à Paris, jusqu’au 9 mars 2008.

Une autre exposition, organisée conjointement au musée des Arts et Métiers, se penche sur l'homme de science que fut Benjamin Franklin.  

Lle musée d’Histoire de la ville de Paris, nous invite à la découverte de ce Benjamin Franklin que le Congrès américain a dépêché dans la capitale pour s’assurer du soutien de la France à la guerre d’indépendance que les Etats-Unis mènent contre l’ancienne puissance coloniale, l’Angleterre. Elu membre de l’assemblée de Pennsylvanie, son parcours politique l’aura mené de la fidélité à l’Angleterre à la lutte pour l’indépendance.

Docteur Franklin

Portrait de Benjamin Franklin par Joseph-Siffred Duplessis.© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Portrait de Benjamin Franklin par Joseph-Siffred Duplessis.
© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Quand il arrive à Paris, len décembre 1776,  Benjamin Franklin a 70 ans et sa renommée l’a précédé. Ses recherches sur l’électricité et ses inventions  - notamment celle du paratonnerre – l’ont rendu célèbre en Amérique  et en Europe. En 1772, il est élu membre associé étranger à l’Académie royale des Sciences de Paris, fait la connaissance de la Rochefoucauld et correspond avec Condorcet. Cela ne fait qu’élargir et renforcer les contacts établis lors de brefs séjours précédents à Paris, où Benjamin Franklin avait rencontré des personnalités du monde scientifique, économique, politique et littéraire. Citons  entre autres Malesherbes, Turgot, Mirabeau père…

Un réseau de relations dans les milieux scientifiques et de l’aristocratie libérale qui va lui servir lors de sa mission et de son séjour « diplomatiques » dans la capitale. D’autant plus qu’aux yeux de la cour et du Roi, auprès duquel il est venu chercher le soutien financier, logistique  et diplomatique de la France, le « commissaire officieux » n’est après tout que le représentant d’un pays en rébellion contre son souverain légitime, la couronne anglaise…

C’est avec « le costume d’un cultivateur américain » - comme l’écrit Madame Campan dans ses Mémoires sur la reine Marie-Antoinette - que le ministre plénipotentiaire de la jeune Amérique se présente à la cour de Louis XVI à Versailles. Une gravure est là pour illustrer le propos de la première femme de chambre de la reine : on y voit effectivement Benjamin Franklin, « ses  cheveux plats sans poudre, son chapeau rond, son habit de drap brun » qui contraste avec les paillettes et perruques des courtisans. Mais la simplicité toute rurale du « Docteur Franklin », ajoutée à sa renommée de physicien et de patriote saura charmer « toutes les têtes vives des femmes françaises », qui se plairont à l'inviter dans leurs salons.

Franklin et Louis XVI signant le traité d'alliance, 1778.© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Franklin et Louis XVI signant le traité d'alliance, 1778.
© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Mais pas seulement : le séjour parisien de Franklin aboutira le 3 septembre 1783 à la signature du traité de Versailles qui met fin à la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Il faudrait dire plutôt « les traités » puisque chacun des alliés des Américains (France, Espagne, Provinces-Unies) signe un texte bilatéral distinct avec l’Angleterre. C’est le document original établi entre la  France et l’Angleterre qui est présenté au musée Carnavalet : un manuscrit de 14 feuillets, paraphé par le « Roi très chrétien de France et de Navarre »  et « le Roi de la Grande-Bretagne », tous deux souverains « par la grâce de Dieu », prêté par les archives du ministère des Affaires étrangères à Paris.

Nager dans la Seine

Benjamin Franklin restera à Paris encore deux ans. Depuis 1777 il s’est installé dans une aile de l’Hôtel de Valentinois, une demeure entourée d’un vaste jardin, située dans l’actuel 16ème arrondissement. Le bois de Boulogne est à proximité, la Seine également, en contrebas du « village de Passy ». Un des mérites de cette exposition est de nous faire redécouvrir, avec Franklin et au travers d’écrits et de tableaux, cet ouest parisien alors peu construit - à part quelques hôtels particuliers et  moulins - et consacré  essentiellement à la culture de la vigne (la rue des Vignes, tout près de la maison de la Radio, nous le rappelle  aujourd’hui). Il ya aussi la Seine dans laquelle on pouvait alors se baigner : « De bon matin , à près de 80 ans, il apprenait à son petit-fils à nager dans la Seine », raconte l’abbé Lefebvre de La Roche. Car Benjamin Franklin est un hygiéniste qui accorde une grande place aux bains (trois fois par semaine il prend des bains minéraux très chauds dans les établissements thermaux de Passy) et à la natation. Son court essai sur L’Art de nager a été traduit et publié en français en 1773. Et c’est peut-être sous l’influence du « Docteur Franklin » que la première école de natation ouvrira ses portes à paris en 1786…

La folie des ballons…

Ascension de Charles et Robert aux Tuileries, le 1er décembre 1783.© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Ascension de Charles et Robert aux Tuileries, le 1er décembre 1783.
© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Habiter  Passy, c’est aussi être aux premières loges pour assister aux ascensions en ballon. Après une première ascension réussie à Annonay, en juin 1783, les frères Montgolfier renouvellent leur démonstration à Paris, sur le Champ de Mars, en août de la même année, devant une foule immense et en présence de Benjamin Franklin. Le 20 novembre ce sera la première tentative de voyage aérien habité, du château de la Muette, tout près de Passy, à la Butte aux Cailles, au sud est de la capitale. Notre Américain accueille le soir même chez lui les auteurs de cet exploit, Pilâtre du Rozier et le marquis d’Arlandes.

Les tentatives et exploits s’enchaînent, dont témoignent gravures et aquarelles, et qui inspirent les motifs décoratifs des tissus d’ameublement, ou la forme des robes et des manches…Un peu moins d’un siècle plus tard, le 5 décembre 1870, le ballon qui s’envole de Paris assiégé par les Prussiens, chargé de cent kilos de dépêches et de six pigeons voyageurs s’appelle Franklin… Il se posera à Nantes, à plus de 400 kilomètres de la capitale.

Des produits dérivés au mythe

Fêté en tant que savant en cette fin du XVIIIe siècle où l’engouement pour les découvertes scientifiques est très fort, Benjamin Franklin l’est aussi comme le défenseur des libertés et l’incarnation de l’égalité, auréolé de la gloire de la révolution américaine. Une salle entière de l’exposition au musée Carnavalet témoigne de cette « Franklinmania » avec de nombreux objets fabriqués à l’effigie de l’illustre Américain : portraits, médailles, figurines, couvercles de tabatières, bagues…

Un cabinet de cire datant de 1790 et prêté par le musée de la Révolution française à Vizille, représente Franklin aux côtés de Rousseau et Voltaire. Les trois personnages sont également associés sur une boite à priser qui, elle, vient de Philadelphie, de la collection d’une loge maçonnique. Il faut préciser qu'à Paris, Benjamin Franklin a été accueilli au sein de la loge Les Neuf Sœurs (en référence aux neuf muses) fondée par la veuve du philosophe Helvétius et dans laquelle on trouve également Voltaire, Mirabeau, Lafayette…

Le café Procope. 

		© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet
Le café Procope.
© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

 

Le savant, familier des philosophes des Lumières est devenu un des protagonistes de l’imagerie révolutionnaire, à son corps défendant, pourrait-on dire. Mais c’est l’absence de l’homme mesuré, pondéré, qui se fait sentir dans cette période révolutionnaire, comme en témoigne cette lettre de Lavoisier à Franklin : « Que nous regrettons votre absence de France en ce moment, écrit le célèbre chimiste. Vous auriez été notre guide et vous nous auriez montré les limites qu’il ne fallait pas dépasser ». Cette lettre est écrite en février 1790, deux mois avant la mort de Benjamin Franklin.

En juin, lorsque la nouvelle de sa disparition parvient à Paris, Mirabeau monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour prononcer un vibrant éloge funèbre de l’Américain ami de la France et décrète un deuil de trois jours. Dans la foulée, l'association des ouvriers imprimeurs, des loges maçonniques, des sociétés savantes, rendent hommage à Benjamin Franklin. « Un homme est mort et deux mondes sont en deuil », entend-on dans l’hommage qui lui est rendu à l’Académie de médecine. Tandis que le café Procope, haut lieu de réunion des philosophes, improvise un service funéraire et lui élève un mausolée … l’émotion est générale.

Le mythe s’était emparé du paisible et pragmatique « Docteur Franklin ». Avant qu’il ne redevienne plus sobrement dans la mémoire collective l’inventeur du paratonnerre, et l’auteur de la fameuse phrase : « Remenber that time is money »…

Cour du musée Carnavalet (Photo : Danielle Birck/ RFI)

Cour du musée Carnavalet
(Photo : Danielle Birck/ RFI)