par Danielle Birck
Article publié le 06/06/2008 Dernière mise à jour le 27/06/2008 à 16:07 TU
Victor Prouvé, Autoportrait à l'atelier, 1885. Huile sur toile, coll. particulière.
© CADAGP, Paris 2008/ Musée des Beaux-Arts de Nancy
A l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Victor Prouvé , les musées de la ville qui l’a vu naître, Nancy, ont unis leurs efforts pour mettre en valeur la diversité des talents de cet artiste. Le musée des Beaux-Arts, celui de l’Ecole de Nancy et le musée Lorrain proposent jusqu’au 21 septembre 2008 un parcours dans tous les domaines où ce représentant influent de l’Art nouveau et des Arts décoratifs s’est exprimé. L’œuvre, mais aussi la personnalité d’un artiste resté modeste et qui s’employa à la démocratisation de l’art. C’est aussi l’occasion de découvrir la cité nancéenne et quelques-uns de ses joyaux architecturaux. Une manière aussi de rendre hommage à un homme dont la notoriété – le contraire est plus courant - a été éclipsée par celle de son fils. On connaît davantage Jean - l’architecte et designer à qui l’on doit entre autres la structure du palais omnisports de Paris-Bercy – mort à Nancy en 1984, que Victor, peintre, sculpteur, graveur, un des fondateurs en 1901 de l’Ecole de Nancy – fer de lance de l’Art Nouveau en France – et qui mourra en 1943 à Sétif en Algérie. Rendre à Victor …
C’est peut-être d’ailleurs cet éclectisme de Victor Prouvé qui va brouiller la visibilité de son talent et de ses oeuvres, souvent d’ailleurs créées en collaboration avec d’autres artistes; l’époque également, car l’Ecole de Nancy ne résistera pas à la première guerre mondiale, et aussi un certain « manque d’ambition », qu’évoque Sophie Harent, conservateur du Musée des Beaux-Arts. Le fait est que Victor Prouvé ne s’est pas senti à l’aise dans le milieu artistique parisien et qu’après le séjour qu’il y a effectué entre 1877 et 1882, il s’est recentré sur l’univers nancéen.Il donnera beaucoup et vendra peu et éprouvera des difficultés financières à la fin de sa vie, n’ayant pour presque unique ressource que son salaire de directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Nancy qu’il dirige de 1919 à 1940. Il faut dire que sept enfants sont nés de son mariage en 1898 avec Marie Duhamel, dont son fils Jean en 1901. C’est au travers de la période Art Nouveau, de 1880 à 1915, « la plus productive de Victor Prouvé », souligne Sophie Harent, que Nancy rend hommage à l’artiste.
Un hommage en trois lieux différents, il faut saluer à la fois l’esprit partenaire des trois musées qui s’y sont associés et la cohérence des expositions : Le Peintre de la joie de vivre, au musée des Beaux-Arts, L’art et la matière, au musée de l’Ecole de Nancy, L’Art nouveau mis en images, au musée Lorrain. Des expositions qu’il est recommandé de voir dans un certain ordre, même si celui-ci implique des tours et détours dans la ville qu’on a le plaisir de découvrir à l’occasion. A commencer par le fleuron de Nancy, la magnifique place Stanislas, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, entièrement restaurée et rendue aux piétons en 2005 pour son 250ème anniversaire. C’est là que se trouve le musée des Beaux-Arts, ancien collège de médecine devenu musée en 1936 à la faveur d’une première extension de l’édifice.
L’exposition consacrée à Victor Prouvé se veut « introductive » à son œuvre, souligne Sophie Harent. Si l’accent est mis sur la peinture - certaines toiles ont été restaurées et sont montrées pour la première fois – on y voit aussi des estampes, des sculptures et quelques objets qui donnent un premier éventail des talents de l’artiste.
…la richesse de ses talents
On y découvre aussi le goût de Victor Prouvé pour la photographie et le rôle de celle-ci dans son œuvre : un portrait, une scène de famille ou champêtre trouveront un écho dans l’œuvre peinte ou gravée. Une œuvre qui témoigne aussi de son goût pour la musique, de ses amitiés et de ses idées. Avec des artistes, comme le peintre Emile Friant, et, surtout Emile Gallé, son aîné, pionnier de l’Art nouveau dans le domaine du verre et de la céramique, et qui sera « le premier à lui faire confiance pour la réalisation d’œuvres, notamment dans des occasions exceptionnelles, comme les expositions universelles », signale Jérôme Perrin, attaché de conservation de la Villa Majorelle. Laquelle est l’un des premiers et des plus beaux exemples de l’architecture Art nouveau à Nancy, non loin du musée de l’Ecole de Nancy. C’est vraiment dans celui-ci que se révèle l’artiste vraiment pluridisplinaire qu’était Victor Prouvé, ainsi que son engagement au service d’une démocratisation de l’art et de la mise en valeur des industries et savoir-faire lorrains.
L’art et la matière
Le bois, le métal, le verre, le cuir, le tissu … Des paravents, des meubles, des vases, des lutrins, des reliures, des robes, des broderies : il n’y a pas un matériau ou un type d’objet auquel il n’applique son talent d’artiste, avant tout de dessinateur, seul mais le plus souvent en collaboration avec d’autres créateurs, auquel il fournit le motif graphique, pour des œuvres uniques ou de série. « Un dessinateur infatigable » souligne Blandine Otter, documentaliste et commissaire de l’exposition, qui se félicite en même temps que celle-ci ait donné au musée « l’occasion de mettre en valeur certaines pièces, de les ‘remettre en situation’ comme par exemple ce panneau de porte en chêne sculpté, « aux Ombrelles » que Victor Prouvé réalise en 1897 pour la maison d’Eugène Vallin.
Très représentative du style Art nouveau, cette porte dîte « aux ombrelles » a été sculptée en 1897 par Victor Prouvé.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)
Dans ce dessein de l’Art Nouveau et des Arts décoratifs de concilier l’utile et le beau, de nouvelles techniques sont utilisées, qui renouvellent la confection et le style de certains objets, comme les reliures en mosaïque de cuir dont le graphisme –c’est une innovation- est en relation avec le contenu du livre. Du paravent à la boîte à gants, commandes officielles ou personnelles, toutes ces réalisations expriment l’implication de l’Ecole de Nancy dans la mise en valeur du savoir-faire d’une région riche de ses aciéries mais aussi de ses cristalleries, ébénisteries, faïenceries etc. Quand Victor Prouvé prend la direction de l’Ecole de Nancy, après le décès d’Emile Gallé, en 1904, il s’inscrit tout à fait dans cette ligne qu’il met en pratique. Il organise des concours pour la « création d’une main d’œuvre qualifiée », tandis que la revue L’Art et l’industrie, fondée par Eugène Corbin, le plus important mécène et collectionneur de l’Ecole de Nancy (c’est d’ailleurs dans sa propriété qu’est installé le musée), se fera l’écho actif de cet engagement en faveur de l’industrie et de l’artisanat d’art lorrains.
L’image : communication et engagement
Un « art total » qui va de pair avec un engagement social qui s’exprime dans « la Maison du Peuple » de Nancy, une sorte d’université populaire, fondée par Charles Keller et dont la décoration est l’œuvre de Victor Prouvé qui sculptera également une allégorie pour la façade. Une sculpture que l’on peut admirer au Musée des Beaux-Arts. Ces valeurs vont aussi trouver leur expression dans son œuvre d’affichiste. Celle-ci découle d’abord de son attrait et son talent pour la gravure, vecteur principal de diffusion des images avant l’apparition des techniques photomécaniques. Au musée Lorrain, on peut voir, aux côtés des affiches commerciales ou des menus, des affiches pour les mineurs de Courrières –une catastrophe qui fit plus d’un millier de victimes en 1906- les amis de l’école laïque, l’orphelinat des postes télégraphes et téléphone… Avec la guerre, s’exprime aussi son sentiment patriotique : depuis 1870, l’Alsace et la Moselle sont occupées par les Allemands. Lorsqu’éclatera la seconde guerre mondiale, cet humaniste socialisant et patriote qu’est Victor Prouvé n’aura pas sa place dans l’hexagone occupé et régi par Vichy. Il partira en Algérie dans ce Maghreb qui avait illuminé sa palette à la fin des années 1880 et mourra à Sétif, le 13 février 1943.
art de vivre