par Danielle Birck
Article publié le 05/10/2009 Dernière mise à jour le 12/10/2009 à 10:19 TU
Avec Laurent Beauvais, président du syndicat mixte de la Baie du Mont Saint-Michel, on peut dire que « le rétablissement du caractère maritime du mont Saint-Michel – si longtemps objet de réflexion et de discussions - a commencé en cet été 2009 avec l’achèvement du barrage ». Construit sur trois ans, de juin 2006 à juin 2009, le barrage sur le Couesnon n’est que la première grande réalisation d’un projet qui en comporte deux autres.
Le gué d'accès au bout de la future passerelle (image de synthèse)
© Feichtinger Architectes, Dietmar Feichtinger architecte Paris/ BET Schlaich, Bergermann et Partner, Stuttgart.
Le deuxième gros investissement, lui aussi sous la maitrise d’ouvrage du syndicat mixte, permettra de faire disparaître les voitures particulières et cars jusque là stationnés au pied du mont, grâce à la réalisation d’une « jetée », un pont-passerelle pour l’accès piéton – ou par navette - des touristes au Mont.
Pourquoi un nouveau barrage ?
Pour François-Xavier de Beaulaincourt, directeur du Syndicat mixte, « il ne s’agit pas d’aller à l’encontre d’un phénomène naturel qui est celui de l’accumulation de sédiments dans les baies, dû au fait que les courants à marée montantes sont plus forts qu’à marée descendante, mais de défaire ce que la main de l’homme a accéléré dans ce processus naturel ». En l’occurrence des constructions effectuées au XIXe siècle, des polders gagnés sur la mer et protégés par des digues, la canalisation du Couesnon, puis en 1880 la digue d’accès au Mont – une digue pleine qui empêche les marées d’entourer le mont. Autant de « points durs au pied desquels la mer dépose ses sédiments sans qu’il y ait de courant pour les emporter au reflux ».Résultat : « un million de mètres cubes de sédiments par an, ce qui représente selon les années 40 à 60 hectares d’herbus, les fameux prés salés sur lesquels broutent nos agneaux »…
Une complexité inouie
Un sens « intellectuel et esthétique » du site que Luc Weizmann, l’architecte auquel a été confiée la réalisation du barrage a totalement intégré dans son projet. « Je me suis rendu compte au fil du temps qu’un des grands enjeux était de ne pas le résumer à sa seule fonctionnalité technique première qui est de gérer les eaux. Ce qui m’a beaucoup intéressé en tant qu’architecte, - je n’avais jamais travaillé sur un barrage – c’était de voir comment un équipement technique pouvait prendre une dimension culturelle et un sens qui soit en rapport avec le génie du lieu et la particularité du site ».Un site qui pour lui est en fait « d’une complexité inouïe, au niveau administratif comme au niveau biologique, à toutes les échelles, du territoire, de la géographie, voire du cosmos. Il y a un rapport au temps dans ce site extrêmement particulier, c’est un endroit où on sent la pulsation du temps, un temps qui est lent, pas forcément celui de la société occidentale contemporaine, ou, disons, des urbains que nous sommes », conclut-il.
Pour concilier (réconcilier) fonctionnalité technique et dimension spirituelle du site, c’est un ouvrage « double face » qu’a réalisé Luc Weizmann et son équipe (1). L’ensemble des équipements mécaniques, le système de vannes chargées de stocker les eaux à marée montante et de les lâcher à marée descendante, a été mis du côté du Couesnon canalisé « avec cette idée que cette volonté de maitriser la nature par la machine, finalement, était en résonnance avec le canal construit au XIXe siècle ».
Tandis que du côté du Mont, au contraire, le paysage a été complètement dégagé de l’aspect mécanique au profit d’un « balcon maritime », un espace en bois - du chêne de Normandie - , une sorte de ponton faisant référence à l’univers des bateaux, projeté au dessus de l’eau, vers le Mont Saint Michel. Des gradins y ont été aménagés formant une sorte d’amphithéâtre susceptible d’accueillir des manifestations culturelles et artistiques.Une machine à révéler
Avec le barrage et son ponton, c’est en fait un nouveau lieu et une nouvelle approche du Mont qui sont créés. Avec toutes ses résonnances concrètes et symboliques : trait d’union entre la Normandie et la Bretagne, entre un univers commerçant, celui de La Caserne – du nom de l’ancien barrage - avec ses hôtels et restaurants, « et la façon dont le commerce s’agrège sur le flux des visiteurs depuis des décennies », et celui des polders, « un monde paysan gagné sur la mer, deux réalités du rapport de l’homme avec la nature », souligne Luc Weizmann.
« Il y a aussi, ajoute l’architecte, « cette réalité entre le nord et le sud. Au sud l’intérieur des terres avec le Couesnon canalisé sur cinq kilomètres, un paysage magnifique et absolument directif, et au nord, au contraire, les divagations du Couesnon, qui font partie de l’imaginaire de la baie du Mont-Saint-Michel, avec cet univers d’incertitude, de risque, de sables mouvants, et l'imaginaire collectif qui s’y rattache ». Un ensemble « extrêmement signifiant » susceptible de faire du barrage « un lieu de regroupement qui pourrait constituer pour les visiteurs un lieu de contemplation précédant l’arrivée au Mont ».
« Au fond, conclut-il, c’est une machine à révéler. Révéler le Mont dans sa baie, révéler peut-être un état antérieur rêvé du Mont dans son rapport à ces énergies naturelles qui l’entourent, révélation d’une dimension plus contemplative, moins immédiate, qui s’est perdue au fil du temps au profit d’une dimension plus commerciale, plus utilitaire »…
Le Mont-Saint-Michel accueille chaque année quelque trois millions de visiteurs et jusqu’à six mille par jour dans les périodes de pointe. Leur déversement actuel au pied du Mont crée un véritable engorgement du lieu. Si le barrage va permettre de réguler le flux des eaux, l’ensemble des réalisations – barrage, le pont-passerelle, et le parc de stationnement – qui devrait être achevé pour la saison touristique 2015, permettra lui de réguler le flux des visiteurs, en l’étalant dans le temps et l’espace, avec la dispersion des points de vue sur plus de deux kilomètres, du parking/station d’accueil à l’entrée du Mont-Saint-Michel. Lequel pourrait même voir sans dommage le nombre de ses visiteurs augmenter, bien qu’officiellement ce ne soit pas le but recherché.
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