par Dominique Raizon
Article publié le 27/10/2007 Dernière mise à jour le 27/04/2009 à 09:43 TU
Phoinix, ce mot grec désigne aussi bien le palmier dattier que la couleur pourpre dérivée du pourrissement de la chair d’un coquillage, le murex, une teinture dont les Phéniciens s’étaient fait une sorte de spécialité.(1). « Phénicien » ? Un nom dérivé de cette étymologie, mais une appellation que ne se donnait pas lui-même ce peuple ancien, soulignent les historiens Françoise Briquel Chatonnet et Eric Gubel (*), auteurs de l’ouvrage Les Phéniciens. Aux origines du Liban (éditions Découvertes Gallimard). « Un nom dont on ne sait pas encore s’il renvoyait aux produits commercés, mais dont on est sûr en revanche qu’il a été donné par les Grecs pour désigner ce peuple installé sur la côte syro-palestinienne », souligne pour sa part Moez Achour, conservateur à Carthage.
Les cités phéniciennes s’appelaient Arwad, Byblos, Sidon et Tyr et leur fondation remonte pour la plupart à la très haute Antiquité. Le relief rendant difficiles leur liaison par voie de terre, il s’agissait de petites cités constituées en Etats indépendants. En revanche, si leur implantation constituait un handicap pour leur communication interne, ces villes bénéficiaient toutes d’une bonne situation géostratégique vers l’extérieur. Elles étaient dotées d’un port naturel ou bien se trouvaient situées sur une île proche de la côte.
Ainsi, l’installation du peuple phénicien, sur cette étroite bande côtière, entre la montagne libanaise et la mer Méditerranée, fut en fait plus une invitation au voyage et à l’expansion, qu’à la sédentarisation, comme en témoigne le site archéologique d’Utique (Tunisie), où, si l’on en croit les Anciens, les Tyriens s’établirent dès le 12e siècle avant JC.
Conservateur à Utique
« Les Phéniciens ont participé à la diffusion du savoir. »
Dans le même temps, ce petit territoire de Phénicie, sorte de point de jonction entre l’Orient et l’Occident, suscita sans cesse les convoitises des pays voisins. C’est ainsi, qu’à plusieurs reprises au cours des siècles, le territoire se trouva soumis à l’autorité des Egyptiens, des Assyriens, des Babyloniens, des Perses, des Grecs, des Romains, des Byzantins, et des Arabes.
Si les Phéniciens n’ont « jamais formé une entité politique unifiée, expliquent Françoise Briquel Chatonnet et Eric Gubel, ils partageaient [néanmoins] une langue commune apparentée à l’hébreu ou à l’arabe, ainsi qu’un même substrat culturel, religieux et artistique ». A l’étroit sur leur sol, curieux et plus appâtés par le gain que soucieux de coloniser de nouveaux territoires, les Phéniciens se sont révélés très vite navigateurs et explorateurs, bâtisseurs de comptoirs de commerce et d’échanges, en quête de matières premières nécessaires à leur artisanat.
Rencontre permanente entre l’endogène et l’exogène
Un artisanat raffiné (bijoux, boîtes à fard, amulettes et scarabées, sceaux, etc), qui porte l’empreinte des diverses cultures rencontrées car, ouverts aux courants artistiques en vogue dans les provinces visitées et refusant les conventions rigides, les artistes phéniciens s’adaptaient au goût de leurs commanditaires. Cette rencontre permanente entre l’endogène et l’exogène constitue peut-être la caractéristique majeure de la civilisation phénicienne, comme l’explique Mounir Fantar, chargé de recherche à l’Institut national du patrimoine de Tunis, qui prend pour exemple le témoignage laissé par les Phéniciens sur le site de Kerkouane, à l’extrémité du Cap Bon, en Tunisie.
« Les Phéniciens ont véhiculé l'artisanat, le commerce et le travail de la terre. »
Culturellement très influencés par l’Egypte, comme l’atteste l’iconographie de leur artisanat, les Phéniciens échangeaient, par exemple, le bois (dont manquait la vallée du Nil) contre le papyrus, un support utile pour leurs écritures courantes, mais un support tout aussi fragile et périssable, dont on n’a retrouvé que peu de traces. Si nos connaissances actuelles sur cette civilisation phénicienne demeurent encore sommaires et éclectiques, sans doute est-ce imputable au fait que leur histoire est, pour une part essentielle, reconstituée à partir des textes des autres peuples, à travers la Bible, les annales des rois d’Assyrie, les textes de littérature grecque, la mythologie greco-latine.
Avec « la conquête d’Alexandre le Grand, en 333, les cités phéniciennes se retrouvent intégrées au monde grec, s’hellénisent et perdent peu à peu leur identité phénicienne », expliquent les historiens. A partir du Ve siècle avant JC, les colonies phéniciennes d’Afrique seront appelées « puniques ».(2)
La Phénicie, un territoire qui correspond au Liban actuel.
Pour en savoir plus :
(1) A partir de ce même coquillage, les Phéniciens fabriquaient d’ailleurs le stuc, en broyant la coquille, pour la construction des édifices.
(2) Langue punique : le phénicien parlé à Carthage (Tunisie)
Guerres puniques : les trois guerres menées par Rome contre Carthage
(*) Françoise Briquel Chatonnet, directrice de recherche au CNRS et Eric Gubel, organisateur de la première exposition consacrée aux Phéniciens, à Bruxelles en 1986, et responsable éditorial du Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique (Brepols, 1992). Co-auteurs de </i>Les Phéniciens. Aux origines du Liban</i> (éditions Découvertes Gallimard)
27/10/2007 à 21:05 TU