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Peuple autochtone

Les Sâmes, société arctique

par Dominique Raizon

Article publié le 08/01/2008 Dernière mise à jour le 18/01/2008 à 13:49 TU

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

A l’instar d’autres populations autochtones du nord de l’Europe, les Sâmes ont sans doute été, depuis des millénaires, les premiers occupants de la Laponie, une terre appartenant à la calotte nordique, et sont aujourd’hui un peu plus de 70 000 individus -disséminés entre la Finlande, la Norvège, la Russie et la Suède. Colonisés dès le 16e siècle puis christianisés aux 17e et 18e siècles, de manière systématique et parfois dure, les Sâmes ont été largement assimilés mais n’ont pas cessé de revendiquer leur originalité culturelle. Ils se mobilisent encore avec ardeur pour défendre leur identité et leurs droits. Christian Mériot, ethnologue et anthropologue, a consacré plus de 40 ans à des recherches sur ce peuple. Entretien avec l’auteur de Traditions et modernité chez les Sâmes (édition l’Harmattan).

RFI : Depuis quand la présence des Sâmes est-elle attestée dans le Nord de l’Europe ?

Christian Mériot : Les premières traces littéraires remontent à l’historien latin du début de notre ère, Tacite, lequel s’est intéressé aux peuples germaniques. Tacite évoque l’existence des Fennis et les désigne comme « les plus septentrionnaux et sauvages ». Ce peuple est probablement identique à celui qu'on a appelé les Lapons. A l’époque de l’âge du bronze, les Sâmes étaient déjà présents en Finlande du Sud, comme l’attestent de nombreux noms de lieux ainsi que des découvertes archéologiques remontant à 500 à 600 ans avant Jésus-Christ.

RFI : Certains historiens considèrent que cette présence est beaucoup plus ancienne.

C.M. : Des gravures rupestres ont été effectivement découvertes récemment à Alta, dans le Finnmark, au nord de la Norvège. Elles dateraient de sept à huit mille ans avant notre ère, soit approximativement de la dernière glaciation. Celle-ci qui aurait laissé une bande côtière, à l'abri de laquelle des populations auraient pu survivre. Mais, ces populations étaient-elles sâmes ou proto-sâmes, il est difficile d'en décider. Elles auraient pu alors, de toutes façons, se mêler à d'autres populations venues de l'Est, lesquelles auraient pu leur imposer une langue finno-ougrienne, dont on ignore si c'était originellement la leur. 

RFI : Les Sâmes, ou Samis, vivent en Laponie. Bien que souvent désignés comme Lapons, ils apprécient pourtant mal le terme. Pourquoi ?

(Photo : domaine public, 1917, Borg Mesch)

(Photo : domaine public, 1917, Borg Mesch)

C.M. : Leur vrai nom est Sâme, Sabmi. Toutefois, les Finlandais, les Norvégiens et les Suédois avaient coutume de les appeler les Lappi. C'est semble-t-il Saxo Grammoticus qui, le premier, dans les années 1200, note le terme de Lappia pour désigner le pays des Skridfinni, des Skritthifinoi (c'est-à-dire les « Finns aux skis »). Ce terme tardif et obscur s'est imposé longtemps en Europe. D'origine finnoise, il désignait les « déserts du Grand nord » et leurs habitants. Par une assimilation douteuse au terme scandinave lapp, qui signifie « chiffon, guenille », ce terme de lapon a produit une connotation méprisante. De même qu'on ne parle plus d'Eskimos pour désigner les Inuits ni de Samoyèdes pour les Nenets, il importait que ces populations imposassent à nouveau leur nom indigène.

RFI : Que sait-on du mode de vie de ces populations ?

C.M. : Traditionnellement, il s’agissait d’un peuple nomade ou semi-nomade. Pendant des siècles, les Sâmes se sont déplacés au gré des saisons et des richesses de la nature pour vivre des ressources liées à la pêche et à la chasse, observant un mode de vie transhumant. Puis, , dès le 16e siècle, sous l’influence de la colonisation en Norvège, Suède et Finlande, les territoires de pêche et de chasse se sont rétrécis. Ils ont alors été contraints à devenir pasteurs, ce qui est un cas intéressant car les populations du Canada, d’Alaska ou arctiques n’ont jamais pu accomplir, contrairement aux Sâmes, ce passage de la pêche et de la chasse à l’élevage.

RFI : Dans votre ouvrage Tradition et modernité chez les Sâmes, vous évoquez le talent du chanteur sâme Nils-Aslak Valkeapää qui a réussi à faire accepter les Sâmes comme étant des « Indiens blancs ». Comment vivent ces « Indiens blancs » aujourd’hui ?

(Photo : domaine public, 1917)

(Photo : domaine public, 1917)

C.M. : De manière éclatée ! Dans l’imaginaire populaire -et même sâme-, le vrai sâme est celui qui élève des rennes et qui parle sâme. Pourtant, actuellement, ils ne sont plus guère qu’un dixième à vivre de cette activité. Nombreux sont ceux, en effet, qui vivent du secteur tertiaire ou des ressources agricoles. Les enfants sont scolarisés et suivent des études universitaires pour occuper des postes d’instituteurs, de professeurs et d’avocats, etc. Les Sâmes peuvent écouter une radio et une télévision en sâme, discuter avec leurs banquiers sur internet, élire leurs mandatés dans toute une série d’organisations locales, nationales et internationales où leurs intérêts économiques, politiques, culturels, sont en débat. Ils sont munis d’un parlement, d’un drapeau, de lois. Quant aux Sâmes qui continuent à pratiquer l’élevage de rennes, ils sont semi-sédentarisés, exerçant pour la plupart une deuxième activité professionnelle pour compléter leurs revenus. L’élevage s’est modernisé et les Sâmes d’aujourd’hui ont abandonné le renne de trait pour se déplacer plus rapidement en moto-neige, en  motocycle à quatre roues, voire en hélicoptère.

Conducteurs et convoi d'attelages de rennes au cours de la migration de printemps. (Photo : Laboratoire Musée d'ethnographie de Bordeaux 2)

Conducteurs et convoi d'attelages de rennes au cours de la migration de printemps.
(Photo : Laboratoire Musée d'ethnographie de Bordeaux 2)


RFI : Semi-sédentarisés en résidences d’été et d’hiver, les Sâmes sont organisés en « villages », une notion qui ne correspond toutefois pas à l’organisation que nous connaissons …

C.M. : Pas du tout, non. A l’origine, le mot sâme sii' da, qui renvoie au mot village, signifie « partout où il y a des rennes et des hommes », ce qui désigne aussi bien les chemins de transhumance que des zones de résidence ou les pâturages. Sous l’influence de la colonisation et avec la mise en place de systèmes de prélèvement d’impôts, les Sâmes ont été contraints à se sédentariser et le mot a dès lors servi à désigner un groupement plus ou moins familial de chasseurs pêcheurs, qui se déplaçait en commun. Ces « villages » ne sont pas non plus des coopératives car, individuellement, chaque membre d’une famille a le droit d’être propriétaire de rennes, aussi bien la femme que son mari, et leurs enfants. Un « village », c’est en quelque sorte une surveillance collective de propriétés individuelles. Le nombre de ces villages varie selon les pays et leurs divisions administratives et en Suède, par exemple, on en compte une cinquantaine. De nos jours, le « village » est une référence de l'administration étatique pour régler les conditions de vie économique et sociale.

Sâme reconverti dans le tourisme; ici, excursion en attelage de chiens.(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

Sâme reconverti dans le tourisme; ici, excursion en attelage de chiens.
(Photo : Dominique Raizon/ RFI)


RFI : Peut-on parler des Sâmes en terme d’ethnie ? Quelle langue parlent-ils ?

C.M. : Oui, il s’agit bien d’une ethnie, si l’on prend pour critère le fait qu’ils parlent une langue définie et qu’ils occupent un territoire avec des ressources particulières. Depuis l’après-guerre, les Sâmes se battent pour affirmer leurs droits culturels, territoriaux et linguistiques. Bien que pratiquant la langue dominante du pays où ils vivent, les Sâmes ont leur propre langue : à l’origine on dénombrait neuf dialectes, qui n’étaient d’ailleurs pas tous inter-compréhensibles. De nos jours, trois dialectes dominent, dont l'un, celui du Nord, qui s’est largement imposé, celui du nord, où l'on compte le plus de Sâmes éleveurs de rennes. En fait, depuis 1972, des réformes grammaticales et linguistiques ont été entreprises par le comité sâme inter-nordique, qui a réfléchi à la création d’une langue commune pour simplifier les rapports entre eux. En marge de celle-ci, existent deux autres langues très parlées, celle des Sâmes méridionnaux et celle de ceux de Laponie orientale, en Russie.

RFI : Existe-t-il des points de ressemblance entre ce peuple autochtone du nord de l’Europe avec les autres populations de l’Arctique, par exemple, les Inuits du Groenland, mais aussi avec les Evenks, Nénetses, Tchouktches, les Aléoutes etc ?

© Sametinget

© Sametinget

C.M. : Les points de ressemblance entre tous ces peuples de l’Arctique ne sont pas liés à leurs origines car les Inuits viennent de l’Ouest, par l'Amérique, tandis que les Sâmes viennent de l’Est, par les régions ouraliennes. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont en commun un mode de vie lié à leurs territoires, ils participent d’un même environnement, d’un même milieu naturel, avec des conditions de vie âpres et difficiles, des hivers très longs, des étés très courts, peu de végétation. Ils partagent surtout une même culture matérielle avec des ressources qui sont saisonnières et des systèmes d’exploitation socialement compatibles avec une organisation de type libertaire, souple et assez empirique. L’importance et la composition des bandes de chasseurs et d’éleveurs varie en fonction des travaux à accomplir, des époques, des tensions dans le groupe, et cela donne l’impression d’une forme de fluidité sociale. Ces peuples partagent enfin une technologie matérielle commune avec un recours au travail de l’os et de la peau de bête par exemple du vêtement, ou bien encore l’art de construire des embarcations légères.

RFI : Quel est le plus grand fléau auquel ces Lapons russes sont exposés ?

© Sametinget

© Sametinget

C.M. : L’alcool entre autres. Et ce n’est pas nouveau. L’alcool a toujours été un problème en Laponie, lié à la colonisation : quand les prélèvements d’impôts ont été instaurés, les Sâmes devaient les verser aux pasteurs, lesquels en échange leur payaient un petit coup à boire. Par la suite, cette pratique est devenue une coutume pour avoir accès à leurs marchandises telles que les os et les peaux de rennes utilisés dans l’artisanat. Aujourd’hui le recours à l’alcool correspond davantage à l’expression d’un désespoir, au même titre que le suicide.

Mais, parmi les autres fléaux, on peut penser aux retombées toujours présentes de Tchernobyl, qui ont pollué le centre de la Laponie. En ce qui concerne plus précisément les Sâmes russes, il faut mentionnerune exploitation minière (cuivre, nickel, pétrole) sans aucun souci decontrôle écologique, qui a « mité » le paysage et les ressources traditionnelles sâmes (pêche, baies, champignons etc.), sans oublier l'immense dépotoir atomique des bases de la marine à Mourmansk et ses alentours.