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«Botsy vezo» , la goélette du rêve

par Agnès Rougier

Article publié le 12/02/2008 Dernière mise à jour le 18/02/2008 à 17:22 TU

Goélette en chantier(Photo : Agnès Rougier/ RFI)

Goélette en chantier
(Photo : Agnès Rougier/ RFI)

Sur la côte ouest de Madagascar, de petites goélettes cabotent, du nord au sud, de Nosy Be à Tuléar et retour, sans s’arrêter. Au petit jour, leurs voiles rectangulaires, couleur soleil levant, croisent au large, mais encore faut-il que le vent souffle… Ces bateaux, en malgache botsy vezo, sont différents des boutres arabes par le gréement : une coque large, deux mâts, des voiles carrées, un pont vaste et un château arrière pointu. Ces goélettes transportent hommes et marchandises de port en port, sont toutes construites sur le même modèle et sortent des chantiers navals de Bélo-sur-mer.

Theophile Edmond.(photo: Agnès Rougier)

Theophile Edmond.
(photo: Agnès Rougier)

A Théophile Edmond, pêcheur, charpentier et « goélettier »

A Bélo, j’ai rencontré Théophile Edmond. Il n’est plus tout jeune mais il a réussi à finir sa goélette de 25 tonnes, aujourd’hui pilotée par son fils : cela lui a pris 7 ans. Sept années d’un dur travail manuel avec des outils rudimentaires -hachette, marteau, rabot-, dans la plus pure tradition du XIXe siècle …

A Bélo-sur-mer, les Vezo ont deux métiers

Le peuple Vezo, qui vit sur cette partie de la côte malgache au sud de Morondava, ne fait qu’un avec la mer. Les Vezo sont tous pêcheurs, mais à Bélo, ils sont aussi charpentiers de marine. Chaque famille a pour objectif de construire sa propre goélette et de l’affréter pour compléter son maigre revenu issu de la pêche ; rares sont les jardins où il n’y a pas quelques coques en chantier. Mais la construction d’un gros bateau est un travail de longue haleine, surtout quand il n’y a ni électricité ni outils modernes. Et à Bélo, on construit aujourd’hui les goélettes comme on le faisait au XIXe siècle, quand les frères Joachim sont venus de l’île de La Réunion pour créer la première école de charpenterie de marine de Madagascar.

Une histoire bretonne

Pendant le règne de Radama II (1861-1863), Madagascar entretenait de bonnes relations commerciales avec les contrées voisines. Si bien que Radama II demanda à la France de lui envoyer un charpentier de marine capable d’enseigner aux Malgaches les techniques de construction de grands bateaux.

Enasse Joachim, un breton émigré à la Réunion, est alors envoyé à Madagascar avec ses trois fils : Albert, Ludovic et Fernand. Malheureusement, peu après leur arrivée, le roi est assassiné et la reine Ranavalona, qui lui succède, pourchasse les Européens. Les Joachim doivent alors fuir et finissent par arriver à Tuléar, sur la côte ouest, en 1888. La famille circule du nord au sud pendant quelques années et, en raison de l’abondance de bois différents dans la région, elle finit par établir, en 1904, le chantier naval à Morondava et l’école de charpenterie de marine à 70 km au sud, à Bélo-Sur-Mer.

A l’origine, seuls quelques villageois prenaient des cours, mais ils apprirent aux autres les techniques de charpenterie, techniques qui se sont transmises de père en fils jusqu’à ce jour. 

Construire une goélette, une affaire de famille

Plan de la goélette et gréement.© Kira Lin Irving

Plan de la goélette et gréement.
© Kira Lin Irving

Quand on se promène le long de la plage de Bélo, on voit sur la plage les squelettes de goélettes en construction, et dans l’eau, des enfants qui jouent avec des répliques très réalistes de goélettes et de pirogues. Aucun doute : c’est une affaire de famille.

Avant de commencer à construire un bateau, le charpentier dessine le gabarit de sa goélette – de 20 tonnes à 60 tonnes, de 12 à 20m de long pour environ 4m de large – pour déterminer la quantité de bois dont il aura besoin. Mais pour acquérir le bois, le charpentier, qui est avant tout pêcheur, doit gagner l’argent nécessaire en vendant le produit de sa pêche. Ce qui explique la lenteur du processus.

Première étape, le choix du bois. Des bois durs qui flottent  -nato, katrafay, voavy - constituent le squelette de la goélette. Ces arbres poussent dans la forêt à une dizaine de kilomètres de Bélo. Le charpentier doit les acheter au peuple Masikoro et les rapporter sur une charrette tirée à bras d’homme. 

Chantier de goélette terminée sur le sable blanc.(Photo: Agnès Rougier)

Chantier de goélette terminée sur le sable blanc.
(Photo: Agnès Rougier)

La construction de la goélette commence par l’étrave, la quille, et se poursuit avec l’assemblage d'une quarantaine de membrures -taroma-, selon la taille de l'embarcation; elles ressemblent à des côtes fixées sur la colonne vertébrale d’une baleine. Et chaque membrure est prélevée sur un arbre qui a la forme en « V » requise. Après l’assemblage, le fanonoa ambao constitue le processus le plus long : les plats-bords et autres parties arrondies du bateau sont courbés au feu, après avoir été enduits d’huile de requin -ou en dernier recours, d’huile de vidange ! Les diverses parties de la coque sont alors assemblées par des chevilles de bois, ou sovy.

Puis, quand la coque est terminée, vient le calfatage ou kalafaty , avec de l’étoupe, latopo, en malgache, et de la résine ou kolitara. Peint, le bateau est alors prêt à mettre à l’eau. Le pont peut être ajouté n’importe quand, simplement quand on en a besoin. Viennent enfin les cordages et les voiles, lesquelles mesurent quelque 175 m² pour une goélette de 40 tonnes: la grand voile, le foc, la flèche et la misaine sont respectivement appelées garavoadyjib, lafisely et lamizeny.

Enfin, la goélette prend la mer…

La construction d’une goélette étant une affaire de famille, et la famille étant au cœur du petit village, la goélette ne peut pas prendre la mer sans une grande fête - kimandjymandjy - et sans recevoir les vœux de tous. On consulte les ombiasy, c’est-à-dire les augures. Tout le monde danse et boit de l’alcool avant la mise à l’eau : zatso botsy. Le propriétaire remercie les ancêtres et tous ceux qui ont participé à l’élaboration de la goélette, en leur offrant thé, café, gâteau de riz et un voyage gratuit.

…Et navigue jour et nuit

Arrivée d'une goélette à Belo.(Photo : Agnès Rougier/ RFI)

Arrivée d'une goélette à Belo.
(Photo : Agnès Rougier/ RFI)

Aux côtés du capitaine, le nahoda botsy ou kapiteny, se trouve l'équipage, formé de 6 à 10 matelots. Mais l'équipage se paye, il faut donc chercher le fret et naviguer le plus possible ! C’est ainsi qu’entre Bélo et Morondava, les nombreuses goélettes se retrouvent à faire la queue pour charger le sel au bord des salines, perdant ainsi du temps et des ariarys ...(monnaie malgache).

La navigation se fait à vue des côtes, car les goélettes ne sont pas équipées de matériel électronique. Le capitaine navigue à l'estime, grâce à la connaissance qu’il a des fonds, de la côte, des étoiles, du vent et de tous les paramètres qui constituent son environnement.

Roger Barro, capitaine de goélettes depuis 1959, nous confiera qu’en dépit de son expérience et sa connaissance de la côte, il a subi quelques accidents, le plus grave étant sa collision avec un bateau sans éclairage, qui a coûté la vie à quatre matelots et quatre passagers !

Une économie qui ne prend pas l’eau… mais un écueil est en vue

Naviguer à la voile permet l’indépendance. N'étant pas assujettis au cours du gasoil, les goélettiers peuvent pratiquer des prix raisonnables. Et ces goélettes, au final, sont de merveilleux bateaux, qui continuent de naviguer grâce à leur faible coût de construction et d’entretien ... Mais pour combien de temps encore ? Car la déforestation agit ici comme ailleurs dans l'île de Madagascar et il est de plus en plus difficile de trouver les bois nécessaires à leur construction. Certes, les constructeurs de goélettes coupent les arbres les plus anciens, mais la forêt est aussi détruite par brûlis afin de créer de nouvelles parcelles agricoles.

Par ailleurs, une partie de la forêt a été classée « aire protégée », elle est donc soumise au contrôle de l’Association nationale pour la gestion des aires protégées (ANGAP), et les charpentiers, à leur grand dam, ne peuvent plus se servir comme ils le souhaitent.

La solution : modernisation ?

Et si les botsy vezo s’adaptaient ? Car après tout, s'il n'y a plus de bois, pourquoi ne pas imaginer, alors, des coques en résine ou en époxy ? Celles-ci seraient plus solides, moins vulnérables aux chocs, plus résistantes lors des collisions.

Certes, une telle évolution impliquerait un investissement qui ne pourrait venir que de l’extérieur et nécessiterait un outillage plus performant et efficace ... Mais ce serait, disons, « enfin de bons outils ! », et une technologie nouvelle qui répondrait aux vœux les plus chers de Théophile Edmond, parce qu’à l’heure actuelle, confie-t-il, construire une goélette « c’est de l’esclavage ».

                                    Hahao ley ! ... hissez les voiles!

 (Photo : Agnès Rougier/ RFI)

 

 

Pour en savoir plus :

Le chasse-marée n° 160, Histoire et ethnologie maritime / mai 2003

Bélo, les charpentiers de la mer, Bernard Grollier  in Océan Indien Magazine / décembre-mars 2002.

Google maps / Bélo-Sur-Mer : http://maps.google.com/

La Navigation à travers les siècles : une étude des traditions des goélettes de Madagascar et une analyse de leur futur, Kira Lin Irving, Printemps 2006

Audio

Atelier des Sciences

Les goélettes de Madagascar

Reportage

18/02/2008 par Agnès Rougier