par Dominique Raizon
Article publié le 18/03/2008 Dernière mise à jour le 01/12/2008 à 15:25 TU
La planète devra nourrir près de 10 milliards de personnes d’ici 2050. Tout le monde devra-t-il compter avec les insectes ? La question n’est pas à l’ordre du jour : « Il faut rester nuancé, souligne François Malaisse, car si pour certaines populations, la consommation de chenilles, par exemple, constitue la base des apports de protéines animales pendant un tiers de l’année, d’autres n’en consommeront jamais. Les attitudes varient selon les pays et les conditions écologiques ainsi que selon les peuples et les attitudes culturelles ».
Il n’en demeure pas moins qu’« avec plus de 1400 espèces consommées par l’homme dans le monde entier, les insectes représentent un créneau prometteur tant sur le plan commercial que nutritionnel », déclarait Patrick Durst, forestier principal à la FAO à Chiang Mai (Thaïlande), lors de l’ouverture des ateliers d’entomophagie fin février 2008, qui avaient pour objectif d’examiner et de promouvoir le potentiel de développement du secteur dans la région Asie-Pacifique.
Toasts aux larves de charançons du palmier et aux vers de farine, sambussa de grillons à la sauce piquante, salade de chenilles, paella aux criquets et grillons, cakes et pralines aux larves et nymphes de ténébrions … : au moins 1 400 à 1 800 insectes différents sont cuisinés et consommés dans 36 pays d’Afrique, 29 pays d’Asie et 23 pays des Amériques. Sur les centaines d’espèces consommées par l’homme, les principaux insectes appartiennent à quatre grands groupes : punaises; fourmis, abeilles et guêpes; sauterelles et criquets; teignes et papillons. Pour autant, tous les insectes sont-ils comestibles ?
Ethno-entomologiste
« Certains insectes contiennent des substances toxiques, d'autres des substances chimiques intéressantes pour la pharmacopée, et il y a aussi des insectes avec de bonnes protéines comestibles. »
L’entomophagie, ou « consommation des insectes », est attestée dans la bible et la mention la plus ancienne relative à la consommation de chenilles en Afrique se trouverait, selon les indications de François Malaisse (*), dans un manuscrit qui relate l’expédition de Simon van der Stel en 1685-1686 au Namaqualand (Afrique du Sud). Cette pratique serait très répandue dans les régions tropicales et subtropicales du monde entier. Des études réalisées par la FAO en République du Congo, par exemple, révèlent que cette consommation est pratiquée par la majorité des populations des différentes couches sociales du pays. Les orthoptères, isoptères, coléoptères et lépidoptères semblent y être les insectes préférés. Et, les chenilles, commercialisées à Brazzaville, proviennent de toutes les régions du pays et sont consommées fraîches ou fumées.
Au Mexique, quelque deux cents espèces d’insectes sont appréciées par la population, parmi lesquelles figurent les jumiles ou « punaises à bouclier », qui sont parfois consommées vivantes, enrobées de sauce tomate dans une tortilla.
Marjolaine Giroux, entomologiste à l'Insectarium de Montréal révèle dans le magazine canadien Quatre-Temps, que les chrysalides de ver à soie, « réputées pour leur goût semblable aux noix d'acajou, apparaissent au menu de certains restaurants de Chine et du Japon sous forme frites. En Corée du Sud, elles sont mises en conserve puis vendues dans les marchés locaux ou importées dans les pays occidentaux comme les États-Unis. Dans certaines régions de Chine, les chrysalides sont séchées au soleil afin d'être consommées en cours d'année en omelette ou frites avec de l'oignon et de la sauce. »
Récemment, des scientifiques chinois auraient conclu, ajoute Marjolaine Giroux, que « la bonne santé des habitants de certaines régions du sud-ouest de la Chine était directement liée à leur consommation quotidienne de la fourmi Polyrbachis vicina roger. » L’entomologiste canadienne rapporte encore que, selon les scientifiques chinois, « cet insecte, présent dans tout le pays, serait particulièrement efficace pour lutter contre les rhumatismes et les problèmes du système immunitaire, dont l'hépatite B».
Les insectes contiennent des protéines, des lipides, des minéraux (surtout du zinc et du fer), des vitamines (notamment de la riboflavine et de la thiamine) et, bien sûr, de l'eau. Cette richesse nutritive ne parvient cependant pas à combattre nos réticences d’ordre psychologique. Ainsi, pour la plupart des Occidentaux, la consommation des insectes demeure une curiosité alimentaire associée, le plus souvent, à des sociétés tribales. Pourtant, « la chitine, le polymère qui forme l'exosquelette des arthropodes, est reconnue pour ses propriétés médicinales. De plus, il ne faut pas oublier que les insectes sont source de vitamines et de minéraux essentiels ».
« Connaître la biologie des insectes, leurs différentes possibilités d'utilisation, peut déboucher sur une meilleure gestion environnementale. »
La plupart des insectes comestibles sont récoltés dans les forêts naturelles. Mais si les insectes représentent la plus grande part de biodiversité dans les forêts, ils sont plutôt parmi les espèces les moins étudiées de toute la faune. « Il est surprenant de constater que l’on sait si peu de choses sur les cycles de vie, la dynamique des populations », a indiqué Patrick Durst, forestier principal à la FAO, soulignant que « Les responsables des forêts ont des connaissances très limitées sur le potentiel de gestion et de récolte durables des insectes. En revanche, les habitants des forêts et les populations qui en sont tributaires possèdent souvent des connaissances étonnantes sur les insectes et leur gestion ».
Un fort potentiel commercial …
En dehors de leur valeur nutritionnelle, de nombreux experts estiment que les insectes comestibles détiennent un potentiel considérable de création de revenus et d’emplois pour les populations rurales qui s’occupent de leur capture, de leur élevage, de leur transformation, de leur transport et de leur commercialisation. Ainsi, par exemple, au nord de la Thaïlande, des agriculteurs élèvent des vers de bambou ou des criquets pour les vendre aux acheteurs locaux. François Malaisse souligne que « le conditionnement prend des aspects différents selon les territoires. (…) De l’amas de chenilles séchées à la boîte de chenilles à la sauce tomate relevée avec du piment rouge (« chilli ») en passant par les sachets en cellophane (…) ». Patrick Durst, pour sa part, estime qu'il devrait exister des « possibilités d’améliorer le conditionnement et la commercialisation pour rendre les insectes comestibles plus attrayants aux acheteurs traditionnels et pour ouvrir le marché à de nouveaux consommateurs, en particulier en milieu urbain ».
Pour en savoir plus :
- (*) Les chenilles comestibles d’Afrique tropicale, François Malaisse et Georges Lognay (cliquez ici)
- Les insectes, bestioles répugnantes ou plat délicat? FAO : (cliquez ici)
- Les insectes, ressource alimentaire et économique en Afrique centrale, FAO : (cliquez ici)
- Insectes comestibles, importante source de protéines en Afrique centrale, FAO : (cliquez ici)
- Les industries agricoles, FAO : (cliquez ici)
- L’entomophagie : une question de culture ? de Jacques Mignon (cliquez ici) -
Article de Marjolaine Giroux (cliquez ici)
- Pour les amateurs d'insectes, la revue Insectes et plus spécifiquement deux articles sur le même sujet: (cliquez ici) et (cliquez là)
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