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Biodiversité

Les lémuriens sont en danger

par Agnès Rougier

Article publié le 31/03/2008 Dernière mise à jour le 04/04/2008 à 13:10 TU

Lémurien Propithèque de Verreaux.(Photo : Jean-Louis Vandevivère/ sous <em>Creative Commons Attribution</em>)

Lémurien Propithèque de Verreaux.
(Photo : Jean-Louis Vandevivère/ sous Creative Commons Attribution)

De nombreuses espèces ont disparu depuis que l’homme s’est installé à Madagascar, il y a 2000 ans, mais 49 espèces connues de ces petits mammifères, les plus primitifs des primates identifiés, sont en survie sur l’île. D’où sont-ils originaires ? D’un 6ème continent, perdu, de l’océan Indien baptisé Lémurie ? En fait, l’hypothèse de l’existence d’un continent englouti a été abandonnée avec la découverte de la dérive des continents … mais les lémuriens ont gardé leur nom de baptême et l’arrivée des lémuriens leur arrivée sur l’île de Madagascar n’est pas encore complètement élucidée.

« Les lémuriens sont des prosimiens, les plus primitifs des primates, plus primitifs que leurs cousins singes qui sont restés sur le sol africain. S’il existe quelques espèces nocturnes sur le continent, comme les Galagos ou les Arctocèbes, la majorité des lémuriens, diurnes et nocturnes, a évolué en solitaire sur l’île ; raison pour laquelle ils ne ressemblent à aucun autre mammifère », explique Claude-Marcel Hladik, éco-anthropologue au Muséum d’histoire naturelle.

Des niches écologiques très spécifiques 

L’arrivée des lémuriens sur l’île de Madagascar laisse place aujourd’hui à deux théories, et les primatologues ne sont pas tous d’accord : ou bien les lémuriens étaient déjà présents avant la séparation en deux du Gondwana, le continent primaire, il y a 165 millions d’années ; ou bien ils auraient traversé le canal du Mozambique sur des radeaux de troncs d’arbres, quand Madagascar était encore assez proche du continent, il y aurait 60 millions d’années. Mais, quoiqu’il en soit, l’éloignement et l’insularité ont préservé l’évolution de ces animaux.

En l’absence de prédateurs, les lémuriens se sont accaparés des niches écologiques très spécifiques, restreintes, et ils se sont adaptés à des conditions très différentes, se partageant les territoires entre nocturnes et diurnes, vivant au sol ou dans les arbres. Le plus souvent, les lémuriens diurnes vivent en groupe. Lors d’un reportage en forêt de Kirindy, nous avons pu observer, d’ailleurs, une bande d’Eulemurs Fulvus roux, dirigés par les femelles, fondre sur les poubelles d’une buvette, en quête d’épluchures de mangues et autres petits gâteaux.

 Lemur catta - Louisville Zoo, USA.(Photo : <a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/User:Ltshears" target="_blank">domaine public</a>)

Lemur catta - Louisville Zoo, USA.
(Photo : domaine public)


Des mammifères à museau de chien

Les lémuriens sont des mammifères. Ils ont des pieds et des mains préhensiles, avec un pouce opposable : ils sont donc très agiles dans les arbres, sautant à toute allure d’une branche à l’autre et capables de se rattraper in-extremis par la queue (à l’exception des Indris, dont la queue est trop courte). Par ailleurs, les lémuriens ont dans leur ensemble un museau long comme celui des chiens et non pas plat comme le museau des singes ... Claude-Marcel Hladik suggère même que, « si l’homme avait pu également évoluer à Madagascar, alors nous aurions, nous aussi, un long museau de chien !»

Quand l’évolution ralentit !

Sur les îles, les animaux restent entre eux, un équilibre s’instaure et, en l’absence de nouveaux arrivants, prédateurs potentiels ou concurrents sur le territoire, la pression de sélection est moins forte, c’est à dire qu’ils n’ont pas à s’adapter rapidement pour survivre, il subissent alors le syndrome îlien.

Chez les lémuriens, cela se traduit par un ralentissement du métabolisme. Ainsi, leur température interne est plus basse, et du coup, on peut les surprendre entrain de se chauffer au soleil le matin en haut des arbres. Leur cycle de reproduction est également plus long que pour les autres mammifères de la même taille. Les femelles des plus grandes espèces mettent bas un seul petit à la fois -parfois des jumeaux-, tous les deux ou trois ans ; et le petit indri peut rester aux côtés de sa mère pendant deux ans.

Un indri et son petit(Photo : Marius Conjeaud sous <em>GNU Free Documentation license</em>)

Un indri et son petit
(Photo : Marius Conjeaud sous GNU Free Documentation license)


Quelques lémuriens à rencontrer

Le plus gros lémurien actuel est l’Indri ou Babakoto (prononcer baba-koot) en malgache, qui signifie « père du petit garçon », un lémurien à la fourrure grise et noire, au visage noir, avec des oreilles rondes et poilues qui le font ressembler à un nounours, et qui mesure 65 à 70 centimètres de long. L’Indri est connu pour son chant territorial qui porte jusqu’à deux kilomètres. On le trouve dans les forêts humides, à l’est de Madagascar.

Ne pesant que 80 à 100 grammes et ne mesurant qu’une dizaine de centimètres de long, le microcèbe, ou « lémur-souris », Tilitilivaha en malgache, est quant à lui le plus petit des lémuriens. Jusqu’il y a peu, on croyait qu’il était effectivement le plus petit primate, mais la découverte récente du microcèbe nain, qui pèse seulement 50g à l’âge adulte, l’a renvoyé en seconde place !

Le plus populaire des lémuriens est sans doute le lémur Catta ou Maki en malgache. De la taille d’un gros chat, il a une fourrure claire, une queue rayée de quatorze anneaux noirs et blancs et des lunettes noires. On le connaît mieux que les autres parce qu’il se reproduit facilement dans les zoos.

Et c’est grâce à Gérald Durrell et à son ouvrage Le Aye Aye et moi, que l’on a rencontré le timide Aye Aye, un petit lémurien très discret, aux oreilles de chauve-souris, doté d’incisives de rongeur et d’une queue d’écureuil. Son troisième doigt de la main, particulièrement long, lui sert à attraper les larves dans les troncs des arbres, son met préféré.

La sympatrie ou les ressources en partage

Dans la forêt de Kirindy, à l’ouest de l’île, cinq espèces de lémuriens vivent en sympatrie, c’est-à-dire qu’ils se partagent le territoire, sans s’hybrider : chacun d’eux a une niche écologique particulière ainsi qu’une façon personnelle de se nourrir et de bouger dans les arbres. Une place déterminée et complémentaire.

Ainsi, les petits Microcèbes, vivent en bas dans les broussailles et chassent les insectes, tandis que le Phaner furcifer ou « Phaner à fourche » se promène le long des troncs d’arbres pour racler, avec son peigne dentaire, les gommes qui en exsudent. A la tombée de la nuit, ce dernier use de cris perçants pour défendre son territoire.

Le Chirogale, lui, accumule de la graisse. Son but ?  Dormir en paix dans un tronc creux pendant la saison sèche, tout comme le Microcèbe, d’ailleurs, dont la queue finit par ressembler à une grosse saucisse ! L’Eulemur fulvus rufus qui doit son nom à un front rouge est, quant à lui, à la fois diurne et nocturne, changeant d’activités en fonction de l’éclairage de la lune.

 Lémurien: Eulemur Rufus, parc de l'Isalo, Madagascar.(Photo : Bernard Gagnon/ sous <em>GNU Free Documentation license</em>)

Lémurien: Eulemur Rufus, parc de l'Isalo, Madagascar.
(Photo : Bernard Gagnon/ sous GNU Free Documentation license)


Sauver un capital forêt

Très diversifiées, les 49 espèces de lémuriens identifiées par les primatologues sont toutes en voie d’extinction. En effet, les forêts, en butte aux feux de brousse, aux coupes de bois, à la culture sur brûlis, disparaissent. Madagascar, vu d’avion, montre aujourd’hui des patchs de forêts déconnectés entre eux. Les forêts se restreignent pour laisser place aux terres cultivables et les lémuriens voient donc leurs écosystèmes disparaître, sans possibilité de déménagement.

Le Professeur Gisèle Randria-Ravololonarivo, primatologue disparue en ce début d’année 2008, affirmait lors du reportage en forêt de Kirindy, que même si le Guidjou (« lémurien », en malgache) est fady (« tabou ») pour la majorité des Malgaches, voire même parfois masiny (« sacré »), la pauvreté est si grande dans certaines régions, que les lémuriens sont braconnés pour être mangés.

Les lémuriens, jardiniers de la forêt

Pourtant, si les lémuriens disparaissaient, d’autres espèces pourraient suivre le même chemin, car ces primates sont aussi les jardiniers de la forêt : ils mangent les fruits, rejettent les graines plus loin, et c’est ainsi que la forêt s’étend et se renouvelle. Or, à l’heure des modifications climatiques rapides, des sécheresses imprévisibles et des saisons des pluies retardataires, les forêts sont aujourd’hui un capital précieux. Il se pourrait même que les surfaces forestières deviennent bientôt financièrement négociables en terme de « crédit carbone » pour les pays en développement, ce qui serait un atout pour les espèces qui y vivent.

Région du lac Alaotra classée « site Ramsar »

Hapalemur aureus(Photo : Daniel Montagnon)

Hapalemur aureus
(Photo : Daniel Montagnon)

Pour lutter contre le phénomène de perte de biodiversité, l'Association nationale pour la Gestion des aires protégées (ANGAP), ONG créée en 1990 dans le cadre du Plan d’action environnemental du ministère de l’Environnement malgache, s’est vue confier la mission de gérer 18 parcs nationaux et 28 réserves, pour préserver la faune et la flore, mais dans un pays aussi affaibli économiquement, la tâche est immense.

En 2004, la région du lac Alaotra, le plus grand écosystème d’eau douce de Madagascar, qui couvre quelque 722 500 hectares (dont près de 20 000 ha de lac), a été classée « site Ramsar ». Il fait donc partie de la Convention sur les zones humides d’importance internationale. L’ONG Durrell Wildlife Conservation Trust a été désignée pour travailler à la protection de cet écosystème avec les populations locales. Peut-être le Bandro, ou Hapalemur griseus alaotrensis, sera-t-il ainsi sauvé de la disparition …

D’autres programmes de sensibilisation sont en cours, comme celui du Groupe d’Etude et de Recherche des Primates de Madagascar (GERP), regroupant des primatologues malgaches, et qui s’est associé à  l’ONG monégasque Act for Nature, formée d’experts internationaux en écologie et biodiversité, pour élaborer un programme de protection des lémuriens endémiques menacés par les activités anthropiques.

De part et d’autre, on le voit, des scientifiques et des ONG travaillent à Madagascar dans le sens de la préservation d’une biodiversité rare, mal connue et dont les lémuriens sont emblématiques, mais les conditions économiques du pays et l’accroissement de la population rendent difficiles une action rapide et efficace.

Pour en savoir plus :

Images des Lémuriens de Ranomafana : (cliquez ici) et là (lémuriens)

Site des parcs nationaux de Madagascar : (cliquez ici)

Site du GERP (cliquez ici)

Thèse de Claire Harpet (cliquez ici)

A lire :

Le lémurien : du sacré et de la malédiction (Madagascar), Paris, l’Harmattan, de Claire Harpet,

Le aye-aye et moi, Petite Bibliothèque Payot, de Gerald Durrell. Site de Gerald Durell, en anglais, (cliquez ici)  

Audio

Atelier des Sciences

Les Lémuriens

04/04/2008 par Agnès Rougier

Dossier

RFI