par Valérie Hirsch
Article publié le 24/04/2008 Dernière mise à jour le 25/04/2008 à 08:42 TU
De notre correspondante à Johannesburg, Valérie Hirsch
David Livingstone
(Crédit: Helge Bendl)
Sur les bords du Zambèze, debout sur de frêles pirogues, les pêcheurs lozis transportent leurs familles vers la terre ferme. Chaque année, ils quittent leurs cabanes en roseaux, menacées par la montée des eaux. Ils accompagnent leur roi, assis sous un immense éléphant stylisé au centre d’une impressionnante pirogue manœuvrée par 50 pagailleurs.
Dans ce royaume aquatique, inaccessible en voiture, la vie ne semble pas avoir tellement changé depuis 1855, quand David Livingstone découvrait les chutes Victoria dans le sud de la Zambie. Les moustiques pullulent toujours le long du fleuve et le plasmodium falsiparum (à l’origine de la malaria cérébrale, qui avait emporté son épouse) reste endémique sur ses rivages…
Sur les traces de l’explorateur anglais, David Livingstone
Les pays occidentaux ont longtemps ignoré le fléau du paludisme. Il a fallu attendre la mobilisation suscitée par le drame très médiatique du sida pour qu’ils s’impliquent dans la lutte contre cette maladie tropicale, notamment à travers le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cette première journée mondiale de lutte contre le paludisme marque donc un tournant important dans la mobilisation générale.
L’expédition «Zambèze » est partie le 29 mars 2008 de la source du fleuve, sur les traces de l’explorateur anglais. Après 2 500 kilomètres de voyage, les quatre zodiacs devraient atteindre son embouchure au Mozambique, fin mai, après avoir traversé six pays d’Afrique australe. Cette équipée, financée par des sponsors privés, est parrainée par Roll back malaria (« Faire reculer le paludisme »), une agence de l’Organisation mondiale de la santé basée à Genève. «Nous voulons mobiliser la communauté internationale contre le paludisme, ce tueur silencieux », explique Hervé Verhoosel de Roll back malaria.
Un des quatre bateau sur la rivière angolaise.
(Crédit: Helge Bendl)
Assis au coin du feu, dans le campement de tentes installé sur une rive du Zambèze, le chef de l’expédition Andy Leeman, qui a déjà descendu le Mekong et l’Orenoque, soigne ses mains entaillées : «En Angola, pendant 150 km, on dû se frayer un chemin à la machette tellement le fleuve était étroit et embroussaillé, raconte ce Suisse de 54 ans. Ensuite, après de nombreux rapides, on est arrivé à une gorge profonde, impossible à franchir. L’armée angolaise a dû nous héliporter !».
Ruée sur les moustiquaires
En Zambie, le fleuve devient très large et se calme. Presque chaque jour, l’expédition – qui emporte des journalistes et du personnel médical local à bord- s’arrête dans un village : après des danses pour attirer la foule, un groupe de théâtre explique comment lutter contre le paludisme. Ensuite, c’est la ruée sur les moustiquaires imprégnées d’insecticides, distribuées aux plus vulnérables : les femmes enceintes, les mères avec de jeunes enfants et les malades du sida (22 % des adultes sont séropositifs).
« C’est la première fois que j’ai assisté à une telle mobilisation sur le paludisme, confie Simon Mudenmba, un médecin congolais attaché au service pédiatrique de l’hôpital de Lukulu, dans l’ouest de la Zambie. On a souvent des séminaires sur le sida, mais jamais rien sur la malaria, alors qu’il fait beaucoup bien de victimes parmi les enfants. Il faudrait augmenter les budgets car ici, on manque de moustiquaires, on ne fait pas d’épandages d’insecticides dans les maisons et parfois, il y a des ruptures de stocks de certains traitements ».
Paludisme, 1ère cause d’hospitalisation
Une fille dans un village Angolais, avec un sac d'insecticide.
(Crédit: Helge Bendl)
La Zambie est pourtant un pays modèle dans la lutte contre le paludisme : traitement préventif des femmes enceintes, distribution massive de moustiquaires (3 millions en 2007), recours aux traitements combinés plus efficaces que la quinine, etc. La maladie reste néanmoins la première cause d’hospitalisation (4,3 millions malades par an, soit 40 % de la population) et elle provoque 40 % des décès de jeunes enfants (7 700 en 2007). « Grâce aux nouveaux traitements, nous avons réduit le taux de mortalité de 80 à 47 pour 100 000 dans notre district », se réjouit le Dr Francis Liywalii, directeur de la santé à Mongu, une bourgade qui surplombe les plaines inondées par le Zambèze. « Mais, poursuit-il, pour vraiment avoir un impact sur le nombre de malades, il faudrait que 80 % de la population dorme sous des moustiquaires. On va aussi commencer à pulvériser les maisons. Mais il faudra du temps pour éradiquer le paludisme ».
A l’hôpital de Chitoloki, Ireen berce son bébé, mis sous quinine. La malaria a déjà fauché l’un de ses enfants, arrivé dans un état anémique. Souvent les parents consultent d’abord un guérisseur traditionnel ou viennent trop tard à l’hôpital. «A cause des crocodiles, c’est très dangereux de voyager en pirogue la nuit », explique Justin Chamanga. Mais cet infirmier déplore aussi «le comportement égoïste des hommes qui utilisent les moustiquaires pour pêcher et, avec l’argent gagné, s’offrir une bière ! ».
Cette expédition est la première initiative trans-frontières liée à la lutte contre le paludisme : dans sa foulée, tous les pays traversés par le Zambèze (sauf le Mozambique) vont coopérer ensemble pour être plus efficaces. En attendant, habillé d’un vieux costume de général en grand apparat, le roi des Lozis est sorti de son bateau pour s’installer dans sa résidence à l’abri des eaux. Mais pas des moustiques …