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Histoire des Internationaux de France

Deuxième partie: l’ère «open» (1968-2008)

par Marc Verney

Article publié le 08/05/2008 Dernière mise à jour le 08/05/2008 à 17:09 TU

Yannick Noah, vainqueur de Roland Garros en 1983, face au suédois Mats Wilander.(Photo: AFP)

Yannick Noah, vainqueur de Roland Garros en 1983, face au suédois Mats Wilander.
(Photo: AFP)

En 2008, le stade parisien de Roland-Garros fête ses 80 ans. Voilà l’occasion de revenir sur l’histoire longue et passionnante d’un tournoi inséparable d’une enceinte devenue au fil du temps l’emblème du tennis sur terre battue. Deuxième partie de l’histoire : de la fin des années soixante à aujourd’hui.

Les années soixante sont celles de la domination australienne sur le monde du tennis. Chez les hommes, des joueurs comme Neale Fraser, Roy Emerson ou bien encore Rod Laver trustent les places d’honneur et imposent leur style de jeu, fait de maîtrise mentale et de sens tactique aigu. Chez les dames, on remarque Lesley Turner ou bien encore la grande Margaret Smith. A 24 ans, Laver triomphe face à Emerson à Roland-Garros en 1962 mais passe professionnel dès l’année suivante.

Le professionnalisme… voilà la grande affaire de cette nouvelle ère du tennis international. Dès 1960, Jean Borotra, alors président de la Fédération internationale de lawn tennis (FILT) propose d’accepter les tournois « open », c’est-à-dire ouvert aux professionnels. Mais l’ancien Mousquetaire n’obtient pas satisfaction et les Internationaux de France se déroulent sans les stars de l’époque. 1967, qui voit à la porte d’Auteuil la victoire de la Française Françoise Dürr, est une année charnière : Herman David, président du club de Wimbledon annonce que son tournoi sera ouvert aux professionnels dès 1968. C’est l’hécatombe chez les amateurs : Newcombe, Roche, Barthès basculent dans le camp des pros.

Un mai 68 à la couleur de l’argent…

En mars 1968, pliant devant le fait accompli, l’assemblée générale de la FILT accepte le principe des tournois « open ». C’est Bournemouth qui ouvre le bal quelques semaines plus tard, mais c’est à Roland-Garros que les plus grands joueurs du monde toutes catégories confondues se retrouvent. Un accord est trouvé entre la Fédération française et les professionnels : les tennismen obtiennent 100 000 francs de prix et un pourcentage sur les bénéfices.

Mais la France est en ébullition : le 20 mai, quatre jours avant le début de la compétition, le pays se trouve paralysé par de grands mouvements de grève faisant suite à la rébellion des étudiants dans le Quartier Latin à Paris. Dans cette période quasi insurrectionnelle, le public se rue cependant à la porte d’Auteuil pour assister à la victoire du professionnel Ken Rosewall, quinze ans après son succès initial. Il y a quatre joueurs déclarés pros dans le dernier carré de la compétition. Chez les dames cependant, ce premier tournoi « open » est remporté par une joueuse restée « amateur », Nancy Richey.

Mai 68 : « Sous les pavés, la terre »

Extrait de l’ouvrage La fabuleuse histoire de Roland-Garros par Patrice Dominguez, avec Thibaut Fraix-Burnet et Julien Bourhis (Plon/FFT, avril 2008)
« Les joueurs arrivent à Paris comme ils peuvent. La zone des bagages de l’aéroport de Bruxelles voit défiler des sacs débordant de raquettes et des champions un peu perdus. Impressionnés par le climat ambiant, certains étrangers ne se sentent pas toujours rassurés. "Je n’étais pas très fier quand il fallait aller au stade", reconnaît ainsi Rod Laver. D’autres renoncent même à se déplacer comme Lewis Hoad ou Nicola Pietrangeli. De plus, une fois à Paris, rejoindre le stade Roland-Garros relève du parcours du combattant. Les bus, les trains, les taxis et le métro sont immobilisés, et le service de transport des joueurs peine à trouver de l’essence. Certains, comme Torben Ulrich, optent pour la bicyclette. Le Sud-Africain Abe Segall atterrit à Genève, achète une Ford Mustang et un réservoir de 500 l pour faire la route jusqu’à Paris… et abandonne au deuxième tour ! »


Les années 70 sont celles de la reconquête. Le tournoi doit d’abord faire face aux prétentions d’hommes d’affaires, qui, à l’image de Lamar Hunt, organisent des compétitions bien plus richement dotées que les épreuves traditionnelles du Grand Chelem. Le stade de Roland-Garros doit se modifier, s’adapter à une époque ou la puissance de l’image télévisée commence à imposer sa loi : ainsi, le tie break, ou jeu décisif, qui raccourcit les matchs, est-il adopté. Les joueurs, de leur côté, peuvent désormais porter des tenues de couleur sur le central, à la condition « qu’elles soient discrètes et de bon goût ».

De nouveaux champions et championnes se découvrent : l’Espagnol Andres Gimeno, qui bat le Français Patrick Proisy en finale 1972, mais également l’Australienne Evonne Goolagong, l’Américaine Chris Evert, le Roumain Ilie Nastase, le Suédois Björn Borg… Evert et Borg notamment, relanceurs inlassables jusqu’à l’écoeurement, vont remporter à eux deux treize fois le titre français, imposant leur incroyable domination sur la terre battue jusqu’à l’orée des années 80…

Records d’affluence

Le tennis est alors au firmament de sa notoriété. Les chaines de télévision publiques Antenne 2 et FR3 diffusent l’intégralité d’un tournoi qui recueille des records d’audience. En 80, de nouveaux gradins et un court tout neuf (le n°1) surgissent de terre à la porte d’Auteuil. La zone est envahie, le printemps venu, par des milliers de spectateurs qui se pressent dans les tribunes et autour du « village », nouvel espace dévolu aux relations publiques et aux célébrités de passage.

En 1981, l’ère Borg touche à sa fin. En finale, il rencontre et bat difficilement un certain Ivan Lendl, qui dispute à la porte d’Auteuil, la première de ses 19 finales de Grand Chelem. Le tournoi junior est remporté, quant à lui, dans un anonymat total, par un Suédois qui allait briller de mille feux l’année suivante : Mats Wilander. En 1982, en effet, le jeune Suédois, 17 ans et neuf mois, vient à bout du redoutable Guillermo Vilas en quatre sets. Il conservera le « titre » du plus jeune vainqueur de la compétition jusqu’en 1989.

Et voilà Noah…

En France, le nombre de licenciés auprès de la Fédération française de tennis atteint le million de joueurs en 1982. Les Internationaux ont un budget, considérable pour l’époque, de 22 millions de francs et dégagent chaque année de 6 à 8 millions de francs de bénéfices. Tout un pays attend un succès hexagonal à Roland-Garros, trente-sept ans après Marcel Bernard. C’est un prodige Franco-Camerounais de 23 ans, découvert par Arthur Ashe, déjà demi-finaliste en 81 et 82, Yannick Noah, qui accomplit cet exploit.

Dans un court central surchauffé, Noah, libéré et acharné, arrache le titre en trois sets (6-2, 7-5, 7-6) à un Wilander qui n’a jamais baissé les bras. C’est l’euphorie dans les tribunes, qui chavirent quand le joueur vient étreindre son père Zacharie avant de recevoir le trophée des mains de Philippe Chatrier, président de la Fédération française de tennis de 1972 à 1993.

Un an plus tard, en 1984, l’éternelle seconde du tennis féminin, Martina Navratilova, la Tchécoslovaque devenue Américaine, remporte enfin le titre à Roland-Garros, devant Chris Evert (6-3, 6-1). Chez les hommes, les héros de ces années-là s’appellent John Mc Enroe ou bien Henri Leconte mais les victoires sont majoritairement trustées par le métronome Wilander et le frappeur Lendl… Le tennis au féminin pour sa part évolue peu à peu vers plus d’agressivité : les joueuses, à l’image de l’Allemande Steffi Graf (première victoire en 1988, puis 5 autres jusqu’en 1999) se mettent à insérer plus d’intensité dans leur jeu.

Service à la cuillère gagnant !

Roland-Garros ne manque pas d’anecdotes. Lors des huitièmes de finale du tournoi 89, Lendl fait face à un jeune génie américain, Michael Chang. Au bout de quatre sets incroyables, mené sur son service, Chang, inspiré, sert « à la cuillère », quasiment comme un débutant… Dérouté, le Tchécoslovaque perd ses repères et concède finalement le match. En finale, l’Américain va user le suédois Edberg en cinq sets. Michael Chang est, à 17 ans et trois mois, le plus jeune vainqueur des Internationaux de France.

Le centenaire de la compétition française est célébré en 1991. A Roland-Garros, pendant les épreuves, une fresque représentant les 2 973 joueuses et joueurs passés par les courts de la porte d’Auteuil est exposée dans le stade. L’Amérique reste cependant au pouvoir avec Jim Courier qui bat Andre Agassi chez les messieurs. Le vainqueur 1991 va d’ailleurs illustrer parfaitement la nouvelle ère qui s’annonce, celle des « contreurs-lifteurs » qui anéantissent -sur terre battue- les espoirs des attaquants purs comme l’Allemand Becker ou le Suédois Edberg. Chez les dames, Monica Seles remporte le trophée en 1990, 1991 et 1992…

Roland-Garros, terre du Sud…

A la moitié des années 90, la porte d’Auteuil est une terre espagnole. En 1994, la puissante Arantxa Sanchez vient à bout en finale de Mary Pierce, une Française pourtant éblouissante un tour avant face à la reine Steffi. Et chez les hommes qui s’opposent devant le roi d’Espagne, le duel est ibère : Sergi Bruguera conquiert un second titre consécutif devant son compatriote Alberto Berasategui.

La place prépondérante que prennent désormais les tennismen du Sud aux Internationaux de France ne va pas cesser de s’accroitre : en mai 1997, Gustavo Kuerten, un Brésilien inconnu (il est 66e mondial) alors âgé de vingt ans va créer une surprise monumentale. Vainqueur en quarts du tenant du titre, Yevgeny Kafelnikov, celui que les spectateurs vont surnommer « Guga », réussit à user en finale le très solide Sergi Bruguera. Kuerten, chouchou du public parisien qui adore ce genre d’histoire est le joueur le plus mal classé à avoir remporté le trophée de la porte d’Auteuil.

Terre d’exploits…

Les finales de 1999 sont tout bonnement incroyables. Chez les dames, Graf, qui n’a plus remporté de tournoi depuis trois ans, est opposée à la Suissesse Martina Hingis. L’Allemande, qui vit là son dernier tournoi jette toutes ses forces dans la bataille sous les yeux humides de son compagnon, l’Américain Andre Agassi. Graf emporte son sixième titre ; « Je me sens Française », déclarera-telle au public de Roland-Garros qui l’ovationne.

Le lendemain, l’Amérique est devant ses écrans de TV : Sampras et Agassi, leurs deux grandes stars n’ont jamais brillé sur la terre battue. Face à Medvedev, c’est Andre Agassi qui relève le défi. Après avoir perdu les deux premiers sets face à l’Ukrainien, le joueur de Las Vegas remonte à l’énergie et réalise ce que personne n’avait jamais fait avant lui : gagner les quatre tournois majeurs sur quatre surfaces différentes !

Les années 2000 qui s’annoncent confirment la spécialisation des joueurs. Sur terre battue, comptent énormément le jeu de jambes et les déplacements. Le stade de Roland-Garros, refait à neuf, est toujours le lieu des exploits de « Guga », qui empoche les titres 2000 et 2001. Chez les dames, Mary Pierce l’emporte enfin en 2000 devant l’Espagnole Conchita Martinez. Plus tard, Capriati, les sœurs Williams, Anastasia Myskina et surtout Justine Henin (quatre victoires à ce jour) vont inscrire leur nom sur le palmarès de Roland-Garros. Chez les hommes, l’épreuve est plus que jamais, à part l’intermède de l’Argentin Gaudio en 2004, une affaire d’Espagnols amoureux de la terre battue : Costa (2002), Ferrero (2003) et surtout le tonitruant Rafael Nadal (2005, 2006, 2007) se partagent désormais les honneurs à la porte d’Auteuil… Un bonheur que le n°1 mondial actuel, le Suisse Roger Federer n’a jamais réussi à atteindre !

Retour au début de l’histoire des Internationaux de France (lire)

A lire également :

La fabuleuse histoire de Roland-Garros (Patrice Dominguez, avec Thibaut Fraix-Burnet et Julien Bourhis), préface d e Christian Bîmes, président de la Fédération française de tennis, Plon/FFT, avril 2008, 35 euros.
Publié à l’occasion du 80e anniversaire du stade de Roland-Garros, ce livre, passionnant de bout en bout, largement illustré, revient sur la construction de cette enceinte sportive parisienne mythique, qui héberge les Internationaux de France depuis 1928.

Roland-Garros à la une de l’Equipe, diffusion Hachette Livre, 25 euros. Un coffret plutôt original, dans lequel on trouve la reproduction des vingt unes historiques du quotidien sportif consacrées à Roland-Garros et un petit livret de trente-deux pages dans lequel est relatée l’histoire de la compétition.

La saga des Mousquetaires (Fabrice Abgrall et François Thomazeau), Calmann-Levy, mai 2008, 19,90 euros.
Sous-titré « La belle époque du tennis français », le livre revient sur l’épopée peu commune de quatre tennismen hexagonaux de la fin des années vingt et du début des années trente. En effet, c'est le 10 septembre 1927 à Philadelphie que la France remporte pour la première fois la Coupe Davis grâce à des joueurs de légende, Henri Cochet, René Lacoste, Jean Borotra et Jacques Brugnon plus connus sous le surnom de « Mousquetaires ». Jusqu'en 1932, ceux-ci, sans interruption, vont rafler les victoires dans la célèbre épreuve par équipe et incarner l'âge d'or du tennis français.

Plus d’informations :

Le site internet de Roland-Garros (lire)