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Zimbabwe

1890-2000: d'une occupation à l'autre<br>

Robert Mugabe a beau avoir usé et abusé de la redistribution des terres comme argument électoral, leur inégale répartition entre Blancs et Noirs est un fait établi. Héritage de la colonisation, cette question n'a jamais été résolue depuis l'indépendance. Mais la population ne fait plus confiance au gouvernement pour la régler.
"Nous n'aurons jamais la paix dans ce pays tant que la population paysanne n'obtiendra pas satisfaction sur la question de la terre", affirmait Robert Mugabe, en 1979, à la veille de l'indépendance de son pays. Et si, vingt ans plus tard, le président zimbabwéen a lui-même allumé l'incendie, pour des raisons électorales, le constat reste d'actualité. Car la répartition foncière n'a guère évolué en deux décennies. Environ 39% de la surface totale des terres agricoles sont des grandes exploitations commerciales entre les mains de 4800 fermiers blancs pour la plupart. Face à eux, un million de familles de petits cultivateurs noirs se partagent la plus grande partie des terres restantes, dans les zones dites " communales ", moins favorables aux cultures. A peu de choses près, la situation est la même qu'à l'arrivée des Noirs au pouvoir, en 1980.

La question était pourtant au c£ur des revendications des mouvements qui ont combattu contre ce qui s'appelait autrefois la Rhodésie. Et pour cause, au cours de la colonisation britannique, des dizaines de milliers de paysans noirs furent chassés de leur terre et relégués dans les zones dites " tribales " par une succession de lois octroyant les régions les plus fertiles aux colons. " Le système d'expropriation foncière débuta dans les années 1890 avec l'avènement du colonialisme et culmina dans la promulgation de la loi sur la répartition des terres de 1930 qui divisait autrefois le pays en zones européennes et africaines ", explique le sociologue zimbabwéen, James Murambedzi. L'objectif était double : favoriser la concentration de l'agriculture entre les mains d'un petit nombre de colons, tout en limitant la concurrence des fermiers africains, et obliger les Noirs à quitter leurs terres pour travailler comme salariés dans les nouvelles exploitations, dans les mines ou dans les autres industries naissantes. Et lorsque, au milieu des années 60, les mouvements d'opposition noirs prirent les armes contre les tenants d'une Rhodésie indépendante mais dominée par la minorité européenne, ils firent de la redistribution des terres leur cheval de bataille.

Toutefois, lorsque les guérilleros, menés par Robert Mugabe et Joshua Nkomo, signèrent les accords de paix de Lancaster House avec le Premier ministre blanc Ian Smith, fin 1979, ils firent d'importantes concessions sur cette question essentielle. Dans la constitution transitoire, ils acceptèrent d'inclure une clause interdisant toute expropriation de terre pendant dix ans, sauf librement consentie et payée au prix du marché. Le compromis était de taille. Mais Robert Mugabe, leader de l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front Patriotique (ZANU-PF) et futur Premier ministre se voulait pragmatique. " Après avoir constaté les effets de l'imposition soudaine de la politique révolutionnaire du Frelimo au Mozambique, les futurs dirigeants du Zimbabwe avaient pris conscience que les nationalisations et les bouleversements économiques qu'exigeait le socialisme à la Mozambicaine, et leur propre rhétorique, auraient entraîné la fuite de la population blanche et déstabilisé l'économie ", note le politologue américain Jeffrey Herbst.


Pour ne pas décevoir les attentes de la population noire, un programme de redistribution foncière, financièrement soutenu par la Grande Bretagne et censé concerner 162 000 familles, fut tout de même annoncé. Mais dix ans plus tard, il n'avait bénéficié qu'à un tiers d'entre elles. Pire, selon un rapport du contrôleur des comptes du Zimbabwe, publié en 1993, la moitié des terres redistribuées l'ont été dans les zones les moins favorables aux cultures et, faute de paysans formés et d'infrastructures suffisantes, elles n'ont pu être valablement exploitées. Pour sa défense, le gouvernement a toujours affirmé avoir manqué de moyen pour mener à bien la réforme, accusant Londres de ne pas avoir tenu ses engagements. Ce qui n'est pas totalement faux, puisque sur les 2 milliards de dollars promis à l'indépendance, 70 millions seulement ont été décaissés. Sauf que, déjà, la Grande Bretagne évoquait l'absence de transparence dans l'utilisation des fondsà

En tous cas, à partir du début des années 90, Robert Mugabe n'a cessé d'annoncer aux paysans noirs leur " grand soir ", tout en tenant un double discours, tour à tour violemment anti-blanc puis rassurant pour les Zimbabwéens d'origine européenne. A l'époque, il n'a d'ailleurs pas soutenu les premières occupations de fermes blanches, préférant tabler sur une relance de la réforme agraire. En février 1992, le parlement a voté une loi accordant au gouvernement le droit de saisir n'importe quelle propriété agricole à un prix fixé unilatéralement par l'Etat. Il a d'abord dû faire marche arrière face au Syndicat des fermiers commerciaux (CFU), majoritairement blancs, et aux pressions des pays donateurs. La première phase du programme de redistribution, qui concernait 70 exploitations, a finalement démarré en 1993. Mais au lieu de paysans sans terres, ce sont des ministres ou des proches du pouvoir qui en ont bénéficié. Ce qui, lorsque le pot aux roses a été découvert, a fait plutôt mauvais effet dans un pays où la moitié de la population était au chômage.

En 1997, face à une forte contestation sociale, le président a annoncé une nouvelle phase de la réforme, avec la publication d'une liste de 1503 fermes, représentant 5 millions d'hectares, qui devaient être redistribuées. Une mesure forcément mal accueillie par les fermiers blancs, mais aussi par des pays donateurs effrayés à l'idée d'un effondrement de la production agricole d'exportation, essentiellement assurée par le secteur commercial. Ceux-ci ont finalement réussi à convaincre le gouvernement de participer avec des représentants du Syndicat des fermiers commerciaux (CFU) à une conférence internationale sur la réforme foncière et la redistribution, en 1998. Avec pour résultat une promesse de soutien financier des bailleurs de fonds à condition que les choses se déroulent dans la concertation et la transparence. Mais alors que débutaient les premières occupations sauvages, fin février 2000, la réforme tant annoncée n'avait toujours pas progressé. Et dans la perspective d'un scrutin législatif à risque pour le pouvoir, Robert Mugabe a, une fois de plus, pointé du doigt les Blancs, brandissant son éternelle promesse de redistribution foncière.

Mais les Zimbabwéens y croient-ils encore ? Apparemment non. Lors d'un référendum constitutionnel, au début de l'année, ils ont majoritairement rejeté un projet de loi fondamentale comportant, entre autres, un article sur l'expropriation foncière. Il s'agissait certes avant tout d'un vote sanction contre un président aux abois. Mais la victoire du " non " a montré que la population ne fait plus confiance à un régime miné par la corruption pour régler le problème de la terre. D'où le soutien du chef de l'Etat à l'occupation des propriétés blanches, organisée par le parti au pouvoir, qui apparaît clairement comme une ultime tentative de convaincre un électorat pour la première fois largement acquis à l'opposition.



par Christophe  Champin

Article publié le 03/05/2000