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Le problème de Jérusalem

Il n'est pas surprenant que la question de Jérusalem soit la plus ardue pour les négociateurs israéliens et palestiniens: les questions de souveraineté, de démographie s'y mêlent étroitement avec l'identité religieuse des protagonistes.

L'inextricable question de Jérusalem (carte de la vieille ville)

Le 28 juin 1967, soit dix-huit jours après la fin de la guerre des Six Jours au cours de laquelle Israël a conquis Gaza, le Golan, la Cisjordanie et Jérusalem-est, le parlement israélien (la Knesset) décide d'annexer le secteur arabe de Jérusalem. Depuis 1950, le secteur oriental de la ville sainte était, comme la Cisjordanie, sous contrôle jordanien. En 1980, la Knesset adopte une loi proclamant Jérusalem «réunifiée capitale éternelle d'Israël». Cette annexion et le transfert de Tel Aviv à Jérusalem de la capitale d'Israël ne sont pas acceptés par la communauté internationale. La quasi-totalité des ambassades étrangères demeurent à Tel Aviv et la résolution 672 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 13 octobre 1990, qualifie Jérusalem-est de «territoire occupé».

C'est pourquoi, lorsque le processus de paix a démarré à Madrid en 1991 en prenant comme base les résolutions 242 et 338, les Palestiniens ont considéré qu'elles s'appliquaient à Jérusalem-est, comme au reste des territoires occupés. Devant la complexité de cette question, les accords d'Oslo, signés en septembre 1993, ont laissé la question en suspens jusqu'à la fin de la période intérimaire qui s'achève le 13 septembre 2000.

Mais depuis la conquête et l'annexion israéliennes de Jérusalem-est, les autorités de l'Etat hébreu ont bouleversé la démographie. L'implantation de colonies juives dans la partie orientale de la ville, le non renouvellement du permis de séjour de résidents arabes de Jérusalem, la démolition de maisons et la quasi-interdiction de construire des logements pour les habitants non-juifs ont inversé la démographie. Depuis le milieu des années 90, les juifs sont désormais majoritaires dans la partie orientale de la ville. Les colonies construites en Cisjordanie, au nord et à l'est de la ville, entourent désormais d'une ceinture juive Jérusalem-est, coupant la ville arabe de son arrière-pays.

A ces facteurs politiques s'ajoute la dimension religieuse: Jérusalem, ville trois fois saintes, est revendiquée par les trois religions monothéistes. Les juifs ont célébré voici quelques mois le troisième millénaire de Jérusalem. Les chrétiens y comptent de nombreux lieux saints, et notamment le Saint-Sépulcre, église bâtie sur les lieux où fut enterré le Christ après la crucifixion et le Vatican demande pour Jérusalem un statut international. La mosquée el Aqsa commémore le voyage que, selon les musulmans, fit Mahomet à Jérusalem avant de monter au ciel. Rien n'illustre mieux l'imbrication de ces lieux saints que la vision du mur des Lamentations, le dernier pan de mur du temple d'Hérode: c'est le mur de soutènement sur lequel s'appuie l'esplanade des mosquée où se trouvent le Dôme du Rocher et la mosquée el Aqsa.

Les églises inquiètes sur Jérusalem

Les trois patriarches chrétiens de Jérusalem - catholique, grec-orthodoxe et arménien - ont envoyé une lettre commune à Bill Clinton, Ehud Barak et Yasser Arafat pour que leurs églises soit associées aux discussions de Camp David et que les quartiers chrétiens de la vieille ville ne soient pas séparés quoiqu'il arrive. La gestion des lieux saints des trois grandes religions monothéistes demeure l'un des aspects essentiels de l'avenir de la ville sainte.

Les trois patriarches chrétiens réagissent principalement à la proposition d'Ehoud Barak prêt à transférer le contrôle des quartiers chrétien et musulman de la vieille ville à l'Autorité palestinienne, alors que les quartiers arménien et juif resteraient sous contrôle israélien.

En refusant toute séparation entre les quartiers chrétiens de Jérusalem-est, les trois patriarches réaffirment la position traditionnelle des églises chrétiennes.

Cette position se fonde sur le statu quo entre les trois grandes religions monothéistes observé par l'empire ottoman et confirmé par le traité de Berlin en 1878. La Société des nations avait repris cette disposition, de même que le mandat britannique jusqu'à la première guerre israélo-arabe de 1947-48. En 1947, la résolution 181 des Nations Unies sur le plan de partage a entériné le principe d'une garantie internationale d'accès des différentes communautés à leurs lieux saints. Il est alors convenu que Jérusalem «sera constitué en corpus separatum sous un régime international spécial».

Dans un document signé avec l'OLP le 15 février dernier, le Vatican renouvelle cette position en précisant que «des décisions et actions unilatérales modifiant le caractère spécifique et le statut de Jérusalem sont moralement et juridiquement inacceptables».

Yasser Arafat, qui s'efforce de maintenir une présence importante des Palestiniens chrétiens au sein de l'Autorité et de son administration, est sur la même ligne. Autant dire que la bataille de Jérusalem est loin d'être terminée...

L'enjeu de Jérusalem

Jamais la paix israélo-palestinienne n'a été aussi proche, mais les derniers mètres à parcourir sont les plus difficiles à franchir. Les négociateurs palestiniens et israéliens, sous la férule du médiateur américain redoublent d'ardeur pour trouver une solution. Le statut de Jérusalem-est, annexée par Israël en 1967 et revendiquée par les Palestiniens comme capitale de leur Etat est la pierre d'achoppement de ces négociations.

A quelques heures du départ pour le Japon du président Clinton qui doit participer au sommet du G-8, les négociations-marathon engagées le 11 juillet à Camp David prennent désormais l'allure d'un sprint. Le président américain, qui ne peut pas retarder indéfiniment son départ pour le Japon, souhaiterait à l'évidence retrouver ses pairs ayant arraché aux Palestiniens et aux Israéliens la signature d'un accord. Tout est mis en £uvre pour y parvenir. «Le rythme et l'intensité des négociations s'accélèrent», a indiqué le porte-parole de la Maison-Blanche Joe Lockhart qui, depuis une semaine, s'évertue à en dire le moins possible aux journalistes présents aux portes de Camp David. Bill Clinton lui-même, rompant le silence qu'il s'imposait depuis le début des négociations, a lâché: «Dieu que c'est dur» devant un journaliste du New York Daily News.

Les négociateurs eux-mêmes redoublent d'ardeur. Certains d'entre eux ont poursuivi des discussions jusqu'à cinq ou six heures du matin pour être à nouveau à pied d'£uvre deux heures plus tard. Les rares photos diffusées de manière très ciblée montrent des rictus et des visages tendus. Nul doute qu'ils reflètent très exactement l'extraordinaire difficulté de ces pourparlers. Mais leur choix obéit sans doute aussi à d'autres considérations, relevant davantage des relations publiques et de la préparation psychologique. Si un accord est conclu, il mécontentera nécessairement de larges secteurs de l'opinion publique des deux protagonistes. Ces photographies visent donc à persuader le public que le compromis auquel Barak et Arafat seront parvenus aura été mûrement réfléchi et que chaque concession lâchée par l'un est contrebalancée par une concession de l'autre.

Des «lignes rouges» incompatibles

De ce point de vue, il semble que les négociateurs aient considérablement progressé sur l'ensemble des dossiers, à l'exception du statut de Jérusalem qui devient donc le point de blocage. Sur les frontières, Ehoud Barak semble avoir sensiblement assoupli sa position de départ. Voici quelques mois, on évoquait côté israélien une rétrocession de l'ordre de 60% de la Cisjordanie. Dans les cercles officiels, on parle désormais de rendre 90% voire davantage des terres occupées en 1967 (hormis Jérusalem-est). L'annexion par Israël de quelques colonies de Cisjordanie serait compensée par l'ajout de territoire pris au désert du Néguev pour agrandir une bande de Gaza déjà surpeuplée. Le droit au retour des réfugiés palestiniens, naguère encore sujet tabou en Israël, paraît faire l'objet d'un compromis, fruit de concessions réciproques des Israéliens et des Palestiniens. Bien d'autres questions restent en suspens mais donnent toujours lieu à d'âpres négociations. Aucune, cependant, n'est aussi ardue que la question de Jérusalem.

Sur cette question, Israéliens et Palestiniens ont fixé d'emblée des «lignes rouges» parfaitement incompatibles. Ehoud Barak est prêt à accorder une très large autonomie civile aux habitants palestiniens de Jérusalem-est, mais sans remettre en cause l'unité de la ville et la souveraineté israélienne sur la partie arabe de Jérusalem, conquise et annexée en 1967. Les Palestiniens, pour leur part, construisent dans un secret de polichinelle un parlement à Abou Dis, une localité voisine de Jérusalem, admettant de fait que les institutions politiques de l'Etat palestinien se situent hors des frontières historiques de la ville sainte. En revanche, ils tiennent bon en ce qui concerne la souveraineté sur les lieux saints chrétiens et musulmans, notamment le Saint-Sépulcre et la mosquée d'Al Aqsa.

A Gaza et en Cisjordanie, les manifestants palestiniens incitent leurs négociateurs à ne rien céder. Dimanche soir, à Tel Aviv, sur la place Yitzhak Rabin, la droite, l'extrême-droite et les colons ont rassemblé 150 000 manifestants pour dénoncer les concessions que s'apprête à faire, selon eux, Ehoud Barak.

En cas de rupture, Ehoud Barak et Yasser Arafat pourraient parfaitement rentrer chez eux en faisant valoir la fermeté dont ils ont fait preuve et en tirer un éphémère regain de popularité. Mais rien ne pourrait dissimuler la gravité de cet échec. Surtout pas l'explosion imminente à laquelle chacun s'attend dans les territoires palestiniens si la paix n'est pas au rendez-vous de Camp David.

Article publié le 19/07/2000