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Economie solidaire

Trois questions à Jacques Bugnicourt, <br> secrétaire exécutif de l'association Enda-tiers-monde : " Au sud, des exemples nombreux et pertinents "

RFI : L'économie solidaire ou populaire est en avance, dans les pays en développement, sur les pays industrialisés. Quelles leçons le Nord peut-il tirer de l'expérience du Sud ?

Jacques Bugnicourt : Plutôt que de dire que l'une est en avance sur l'autre, je dirais que les exemples au sud sont nombreux et largement pertinents, mais dans un contexte de niveau de vie et d'évolution des mentalités bien différent. Ainsi, les tontines reposent sur un fait économique, on met en commun de l'argent, mais aussi sur une ancienne tradition, celle de la cotisation. On touche ici à la liaison permanente entre le sociologique et l'économique. Dans le Nord ce n'est pas le même contexte économique et social. Mais il y a des intentions du même ordre. Des deux côtés le profit maximal est mis en cause, on cherche des solutions répondant au plus grand nombre et on voudrait que la manière de vivre ait une plus grande place.

RFI : Cette économie est-elle, dans les pays en développement un pis-aller au chômage et à la pauvreté ou peut-on espérer l'émergence d'un véritable tiers-secteur économique ?

JB : Dans l'immédiat, c'est évidemment un pis-aller. Si ces systèmes n'existaient pas, ce serait bien pire. Notamment, on ne peut espérer du secteur moderne qu'il absorbe plus d'un cinquième ou un sixième des demandeurs d'emplois. C'est l'économie dite "informelle" à tort qui offre le maximum de possibilités. C'est un atout face aux crises mais, bien au-delà, car, selon la Banque mondiale, en Afrique subsaharienne la croissance de l'économie populaire dans les grandes villes est de 7% par an alors que l'économie moderne peine à croître de 2 ou 3%. Elle répond aux besoins essentiels des populations : nourriture, transport, habillement, mobilier et aussi l'habitat.
Cette fonction évolue, il y a là un dynamisme extrêmement utile et précieux qui s'exerce, c'est important, sur le marché intérieur. Plus personne, en effet, ne croit que les exportations, mêmes bénéfiques, vont pouvoir entraîner rapidement les pays du sud dans la voie de la croissance.

RFI : A quelles conditions l'économie populaire peut-elle susciter un décollage économique durable ?

JB : Elles sont difficiles à réunir. La première consiste à remettre en cause les théories et les manières de faire dominantes. La deuxième, c'est la mise en cause des mécanismes de fabrication de la pauvreté qui s'exercent à travers la majeure partie des règlements de l'Organisation mondiale du commerce, mais aussi la spéculation urbaine.
La croissance future, sachons-le, sera faite d'éléments modernes et d'autres qui le sont moins. Il y a des technologies destructrices d'emplois, une modernité à contre-temps et, à l'inverse, ce qui est le plus utile, au moindre coût, pour le plus grand nombre. Normaliser à tout prix l'informel n'est pas la bonne piste. Il faut éviter une multiplication de règlements, là où ils sont souvent plus nocifs qu'utiles. Cela doit s'accompagner, aussi, d'un rééquilibrage des flux culturels : moins de pré-importé et d'imitation, et un appui très large à "la modernité de la tradition", la créativité et l'originalité.





par Propos recueillis par Francine  Quentin

Article publié le 12/07/2000