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Oléoduc Doba-Kribi

Un oléoduc de 1.070 km et des Pygmées très vulnérables

Tout a été prévu, ou presque, si l'on croit la Banque mondiale. Même les préservatifs pour les ouvriers qui passeront de longs mois sur un chantier le plus souvent éloigné des centres urbains tchadiens et camerounais. Car il fallait rassurer des opinions publiques et des associations plutôt inquiètes quant aux retombées réelles de ce projet, sur l'environnement comme sur les hommes qui seront directement touchés par l'oléoduc. A commencer par les Pygmées qui vivent non loin de la ville côtière de Kribi.
Pour transporter le brut qui sera extrait dans les champs pétroliers de Doba jusqu'au terminal maritime de Kribi, un oléoduc de 1.070 kilomètres traversera le Tchad et le Cameroun, enterré à une profondeur d'environ un mètre. Son diamètre sera de 76 cm et la canalisation sera faite en acier de carbone: sa paroi sera plus épaisse que d'habitude pour permettre la traversée des nombreuses rivières. La protection contre la corrosion, notamment pour les vannes et les différents raccords qui seront enfouis sous terre, sera assurée par des revêtements spéciaux.

Mais la pose de cet oléoduc nécessitera une "emprise foncière" - en fait une saignée dans la savane ou la forêt - de quelque 30 à 60 mètres de large: cela dépendra surtout de la traversée des routes et des grandes rivières. En fait, une fois terminée cette largeur se réduira d'environ la moitié, et on pourra apparemment y faire pousser des cultures annuelles, mais pas des arbres, car leur feuillage gênerait les inspections aériennes, et leurs racines risqueraient de s'attaquer à la canalisation. Pour assurer l'entretien de l'oléoduc, des vannes seront installées tous les 35 kilomètres, ainsi que de chaque côté des rivières.

Pour désamorcer toute critique et impliquer les populations concernées, un programme de consultation publique a débuté dès 1993, par des réunions avec les villages et les villes concernées, ainsi que des ONG locales et internationales. Une attention particulière a été portée aux populations pygmées du Cameroun, ainsi qu'à trois "habitats naturels sensibles". Il s'agit de la Vallée Faillée de la Mbéré, de la forêt de Deng Deng et de la Forêt du Littoral atlantique. C'est sur celle-ci que l'attention s'est en grande partie portée, en raison de la présence de nombreux Pygmées, que la Banque mondiale considère comme "une population autochtone vulnérable", à commencer par les Bakolas.

Des pygmées très "vulnérables"

Contrairement aux autres pygmées, les Bakolas, qui vivent en forêt, de part et d'autre d'une des plus vieilles routes camerounaises reliant depuis plus d'un siècle Lolodorf et Kribi, sont entrés en contact assez tôt avec les autres populations du pays, puis avec les colonisateurs français dans les années 30. Ce qui les a poussé à adopter peu à peu des modes de vie moins traditionnels: désormais ils utilisent des produits manufacturés, et occupent des logements permanents, après avoir abandonné leur vie de chasseurs - cueilleurs nomades, au profit d'une agriculture de subsistance. Mais cette petite communauté vit en fait dans un grand dénouement: ils sont frappés de nombreuses maladies et connaissent un taux de mortalité infantile très élevé.

Si l'on croit la Banque mondiale, aucun pygmée Batola ne sera déplacé, et l'impact réel sur cette population ne sera ressenti que pendant les trois mois nécessaires pour l'excavation de la tranchée dans laquelle sera enterré l'oléoduc. Après quoi, la brousse devrait quelque peu retrouver ses droits. Un plan pour les peuples autochtones vulnérables est même prévu, dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'agriculture. Les Bakolas, comme d'autres populations, seront partiellement indemnisés: interrogés, ils ont fait savoir qu'ils préféreraient des indemnisations en nature, telles que des tôles ondulées pour remplacer leurs toits traditionnels.

C'est du moins ce que dit la Banque mondiale, car d'autres Pygmées, interrogés par l'organisation Survival international, sont plus critiques vis-à-vis de l'oléoduc. "Je ne dis pas que la foret sera totalement détruite, mais des arbres seront arrachés que nous utilisons pour les produits ligneux ou la médecine. Moi qui ai l'habitude de trouver du gibier tout près, il faudra faire quinze ou vingt kilomètres. Nous ne sommes pas contre le projet, nous demandons à être davantage impliqués", a déclaré Ngun, un pygmée Bagyeli. Pour lui, cela concerne directement son avenir et celui de sa communauté: "Et après, on nous impose le développement. On nous dit: 'on va vous construire des maisons'. Mais, est-ce que j'ai demandé une maison?".



par Elio  Comarin

Article publié le 03/07/2000