Immigration
France: le mythe brisé de l'immigration zéro
Le drame de Douvres et ses 58 morts a rappelé aux nations européennes à quel point leur politique officielle d'immigration très restrictive ne dissuadait en rien les candidats à l'eldorado occidental. Dès lors, le débat sur l'ouverture des frontières est relancé. Notamment en France, où le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a même brisé un tabou en souhaitant, pour la première fois, que l'on réfléchisse à la régulation de l'immigration par le biais des quotas.
Cela s'est fait discrètement. Par une simple circulaire, signée de la main de Martine Aubry, la ministre de l'Emploi. Les préfets étaient invités à faciliter l'obtention de titres de séjour à des informaticiens étrangers. Un millier d'entre eux - des Russes, des Roumains et des Indiens - ont bénéficié de cette mesure en 1999, sous prétexte de préparer la parade au "bogue de l'an 2000". Ouverture très ponctuelle ou esquisse d'une politique de quotas? Pour l'heure, le gouvernement français n'a officiellement rien changé à sa politique de l'immigration. Celle-ci demeure très restrictive. En 1998, 110 000 personnes ont reçu un visa de long séjour, préalable à l'obtention d'une carte de résident. Mais l'écrasante majorité de ces immigrants légaux est entrée en France au titre du regroupement familial, les demandeurs d'asile et surtout les titulaires d'un permis de travail étant réduits à la portion congrue. Depuis 1975 en effet, les autorités françaises sont restées fidèles - quelles que soient les majorités politiques - à la doctrine de "l'immigration zéro". Un slogan, un mirage, plus qu'une réalité: jamais le flux ne s'est complètement tari, même au plus fort de la crise économique des années 80.
Aujourd'hui pourtant, le débat sur l'immigration resurgit, à la faveur de la croissance retrouvée et de l'embellie du marché de l'emploi. Certes, le niveau du chômage reste globalement élevé, en dépit d'une diminution constante depuis deux ans: 9,8% de la population active est encore sans emploi. Mais la forte reprise de l'activité économique entraîne, dans certains secteurs comme le bâtiment, les travaux publics, le tourisme, la santé ou l'informatique, une pénurie de main d'£uvre et de cerveaux. Dans ces secteurs, les chefs d'entreprise se plaignent de pas trouver, sur le marché du travail, de personnel suffisamment formé. Et nombre d'entre eux réclament l'autorisation de pouvoir embaucher hors des frontières. Des médecins hospitaliers, des ingénieurs informaticiens mais aussi des ouvriers du bâtiment seraient ainsi les bienvenus : "Nous sommes actuellement en mesure d'accueillir un nouvel afflux de population immigrée, avec l'ouverture à l'Europe centrale et orientale", assurait ainsi récemment l'Union professionnelle artisanale. Un nouveau cycle d'immigration est-il donc envisageable? Sans doute, si l'on se réfère au passé. Lors de chaque phase d'expansion économique, la France a fait appel à de la main d'£uvre étrangère : après la première guerre mondiale, lorsqu'elle manquait de bras pour reconstruire le pays; lors des "trente glorieuses" - des années 50 à la fin des années 70 - lorsque les usines et les chantiers tournaient à plein régime.
Mais la France est-elle prête? Peut-être si l'on en juge par l'évolution du débat politique sur l'immigration. Les crispations des années 80 et 90 semblent désormais appartenir au passé. Même si les problèmes d'intégration des communautés étrangères, de discriminations et de tensions ethniques demeurent bien vivaces, ils ne constituent plus un objet de clivage politique entre la droite et la gauche. L'affaiblissement de l'extrême-droite et, plus sûrement encore, la vigueur retrouvée de l'économie expliquent cet apaisement. Preuve de cette évolution : l'hiver dernier, l'ancien Premier ministre RPR Alain Juppé pouvait, sans encourir l'opprobre de son camp, évoquer tranquillement la nécessité, pour la France, de rouvrir ses frontières à l'immigration économique. "L'immigration zéro ne veut pas dire grand chose, reconnaissait-il, le regroupement familial est un droit, et l'Europe, compte tenu de sa démographie, aura sans doute besoin d'apports de main d'£uvre étrangère". Plus récemment, c'est le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, qui avançait, prudemment, l'hypothèse des quotas : "En général, expliquait-il, la thèse des quotas heurte notre sensibilité. C'est attentatoire à certains droits, mais beaucoup de pays gèrent leur politique d'immigration sous forme de politique de quotas pour adapter celle-ci aux besoins de leur économie et à leur capacité d'intégration".
En France cependant, la tradition n'est pas celle des quotas, ni par pays d'origine ni par profession. Les principales objections sont de nature morale : instaurer des quotas reviendrait, selon certains, à considérer les candidats à l'immigration comme une marchandise économique, gérée en fonction des besoins des Etats et des entreprises, négligeant les droits fondamentaux des individus, en particulier celui de la libre circulation des hommes. "Quand j'entends quota en ce moment, explique le président de SOS Racisme, je vois pointer une main d'£uvre corvéable à merci, de nouveaux négriers". A l'inverse, les partisans des quotas font valoir que seul ce système permettrait d'avoir un discours clair à l'égard de l'opinion publique, de reconnaître que la France est un pays d'immigration, qu'elle a besoin de main d'£uvre et d'un rajeunissement de sa population. A l'appui de cette thèse, un récent rapport des Nations unies soulignait que l'Europe, actuellement en période de basses eaux démographiques, aurait besoin de 159 millions d'immigrés d'ici à 2025. Le départ à la retraite des générations nées dans les années 50 et 60 risque en effet de créer un brutal déséquilibre entre actifs et inactifs.
Ces projections sont sans doute un peu mécaniques et politiquement peu réalistes mais elles ont le mérite d'alimenter le débat. En Europe, quelques pays ont décidé d'expérimenter la méthode des quotas. Le chancelier allemand, Gerhard Schröder, a ainsi lancé le recrutement, en Inde et en Europe centrale, de 20 000 informaticiens. Plus ambitieuse, l'Irlande, en plein boom économique, a planifié l'arrivée sur son territoire, en sept ans, de 200 000 travailleurs hautement qualifiés. Ainsi, souvent décrite dans l'hémisphère sud comme une forteresse, l'Europe entrouvre timidement ses portes. Si elle ne le faisait pas, l'immigration illégale ne ferait qu'accroître sa pression. Avec son cortège de drames et d'exploitation. Aujourd'hui, selon les estimations du Bureau international du travail, le marché du trafic de clandestins représenterait entre 35 et 50 milliards de francs de chiffre d'affaires pour les passeurs et les différentes mafias qui les emploient. Et, si l'émotion consécutive à la tragédie de Douvres a un temps sensibilisé les pouvoirs publics, l'efficacité des politiques européennes communes en matière de lutte contre ces trafics semble toute relative.
Aujourd'hui pourtant, le débat sur l'immigration resurgit, à la faveur de la croissance retrouvée et de l'embellie du marché de l'emploi. Certes, le niveau du chômage reste globalement élevé, en dépit d'une diminution constante depuis deux ans: 9,8% de la population active est encore sans emploi. Mais la forte reprise de l'activité économique entraîne, dans certains secteurs comme le bâtiment, les travaux publics, le tourisme, la santé ou l'informatique, une pénurie de main d'£uvre et de cerveaux. Dans ces secteurs, les chefs d'entreprise se plaignent de pas trouver, sur le marché du travail, de personnel suffisamment formé. Et nombre d'entre eux réclament l'autorisation de pouvoir embaucher hors des frontières. Des médecins hospitaliers, des ingénieurs informaticiens mais aussi des ouvriers du bâtiment seraient ainsi les bienvenus : "Nous sommes actuellement en mesure d'accueillir un nouvel afflux de population immigrée, avec l'ouverture à l'Europe centrale et orientale", assurait ainsi récemment l'Union professionnelle artisanale. Un nouveau cycle d'immigration est-il donc envisageable? Sans doute, si l'on se réfère au passé. Lors de chaque phase d'expansion économique, la France a fait appel à de la main d'£uvre étrangère : après la première guerre mondiale, lorsqu'elle manquait de bras pour reconstruire le pays; lors des "trente glorieuses" - des années 50 à la fin des années 70 - lorsque les usines et les chantiers tournaient à plein régime.
Mais la France est-elle prête? Peut-être si l'on en juge par l'évolution du débat politique sur l'immigration. Les crispations des années 80 et 90 semblent désormais appartenir au passé. Même si les problèmes d'intégration des communautés étrangères, de discriminations et de tensions ethniques demeurent bien vivaces, ils ne constituent plus un objet de clivage politique entre la droite et la gauche. L'affaiblissement de l'extrême-droite et, plus sûrement encore, la vigueur retrouvée de l'économie expliquent cet apaisement. Preuve de cette évolution : l'hiver dernier, l'ancien Premier ministre RPR Alain Juppé pouvait, sans encourir l'opprobre de son camp, évoquer tranquillement la nécessité, pour la France, de rouvrir ses frontières à l'immigration économique. "L'immigration zéro ne veut pas dire grand chose, reconnaissait-il, le regroupement familial est un droit, et l'Europe, compte tenu de sa démographie, aura sans doute besoin d'apports de main d'£uvre étrangère". Plus récemment, c'est le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, qui avançait, prudemment, l'hypothèse des quotas : "En général, expliquait-il, la thèse des quotas heurte notre sensibilité. C'est attentatoire à certains droits, mais beaucoup de pays gèrent leur politique d'immigration sous forme de politique de quotas pour adapter celle-ci aux besoins de leur économie et à leur capacité d'intégration".
En France cependant, la tradition n'est pas celle des quotas, ni par pays d'origine ni par profession. Les principales objections sont de nature morale : instaurer des quotas reviendrait, selon certains, à considérer les candidats à l'immigration comme une marchandise économique, gérée en fonction des besoins des Etats et des entreprises, négligeant les droits fondamentaux des individus, en particulier celui de la libre circulation des hommes. "Quand j'entends quota en ce moment, explique le président de SOS Racisme, je vois pointer une main d'£uvre corvéable à merci, de nouveaux négriers". A l'inverse, les partisans des quotas font valoir que seul ce système permettrait d'avoir un discours clair à l'égard de l'opinion publique, de reconnaître que la France est un pays d'immigration, qu'elle a besoin de main d'£uvre et d'un rajeunissement de sa population. A l'appui de cette thèse, un récent rapport des Nations unies soulignait que l'Europe, actuellement en période de basses eaux démographiques, aurait besoin de 159 millions d'immigrés d'ici à 2025. Le départ à la retraite des générations nées dans les années 50 et 60 risque en effet de créer un brutal déséquilibre entre actifs et inactifs.
Ces projections sont sans doute un peu mécaniques et politiquement peu réalistes mais elles ont le mérite d'alimenter le débat. En Europe, quelques pays ont décidé d'expérimenter la méthode des quotas. Le chancelier allemand, Gerhard Schröder, a ainsi lancé le recrutement, en Inde et en Europe centrale, de 20 000 informaticiens. Plus ambitieuse, l'Irlande, en plein boom économique, a planifié l'arrivée sur son territoire, en sept ans, de 200 000 travailleurs hautement qualifiés. Ainsi, souvent décrite dans l'hémisphère sud comme une forteresse, l'Europe entrouvre timidement ses portes. Si elle ne le faisait pas, l'immigration illégale ne ferait qu'accroître sa pression. Avec son cortège de drames et d'exploitation. Aujourd'hui, selon les estimations du Bureau international du travail, le marché du trafic de clandestins représenterait entre 35 et 50 milliards de francs de chiffre d'affaires pour les passeurs et les différentes mafias qui les emploient. Et, si l'émotion consécutive à la tragédie de Douvres a un temps sensibilisé les pouvoirs publics, l'efficacité des politiques européennes communes en matière de lutte contre ces trafics semble toute relative.
par Francine Quentin
Article publié le 27/07/2000