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Indonésie

Suharto bientôt devant ses juges ?<br>

La justice indonésienne a ce jeudi inculpé l'ancien président de corruption. Suharto est accusé d'avoir détourné entre 150 et 550 millions de dollars. Théoriquement, plus rien ne s'oppose à sa comparution devant un tribunal. Mais il y a parfois loin de la théorie à la pratique.
Le dernier obstacle légal avant un procès de l'ancien président indonésien vient d'être levé. En inculpant officiellement Suharto de corruption, le procureur général ouvre la porte de la Cour de justice à celui qui a dirigé l'Indonésie d'une main de fer pendant 32 ans. Il est passé du statut de suspect à celui d'accusé, sa mise en résidence surveillée a été prolongée et le procureur a promis d'ouvrir son procès avant le 10 août.

Cette inculpation formelle est l'aboutissement d'une longue saga entamée au lendemain de la chute de Suharto en mai 1998. Les milliers d'étudiants qui avaient envahi les rues de Djakarta et des grandes villes du pays avaient alors deux mots d'ordre qu'ils scandaient sur tous les tons: la démission de Suharto et sa traduction en justice. Leur premier v£u a été exaucé. Le second risque d'être plus difficile à satisfaire. Depuis que le nouveau procureur général Marzuki Darusman a pris ses fonctions et décidé de rouvrir l'enquête close pour faute de preuve par son prédécesseur, il s'est heurté à un barrage très efficace des amis et des avocats de Suharto. Menacé personnellement, Darusman ne se déplace plus sans garde du corps et évite de manger de la nourriture dont il ne peut vérifier la provenance.

Il y a quelques semaines, une bombe a explosé dans ses bureaux alors que l'un des fils de Suharto venait d'être interrogé par les enquêteurs. Les avocats de Suharto ont aussi tout fait pour ralentir le cours de l'enquête. Aujourd'hui, ils répètent que le vieil homme de 79 ans est trop faible pour comparaître devant une cour et qu'il souffre de pertes de mémoire irréversibles. Ils déploieront à n'en pas douter toute leur énergie pour lui éviter l'humiliation d'un procès. Les étudiants sont alors redescendus dans les rues ce jeudi pour répéter que le peuple jugerait l'ancien despote si la justice n'en était pas capable. Ils se disent aussi déçus par la maigreur des charges retenues contre lui. Suharto est accusé d'avoir détourné entre 150 et 550 millions de dollars de diverses fondations qu'il dirigeait alors que la fortune de sa famille est estimée à plusieurs milliards de dollars.

Mais surtout, c'est pour violations des droits de l'homme qu'ils voudraient le voir jugé. Pendant ses trente-deux années de règne, il a envoyé son armée massacrer tout ce qui semblait constituer une menace: activistes étudiants, opposants politiques, défenseurs des droits de l'homme, séparatistes d'Aceh, d'Irian Jaya, sans compter l'occupation sanglante du Timor oriental qui aurait fait entre 1975 et les années quatre-vingt-dix quelque 200 000 morts. Ce dossier brûlant, ce dossier des "années noires Suharto" n'a pas été ouvert par la justice. Sans aller jusque là, si celui qui aimait qu'on l'appelle le Général Souriant devait comparaître, même pour le détournement de quelques millions de dollars, cela serait symboliquement très fort pour la société indonésienne.

Ce serait le signe que le nouveau gouvernement du président Wahid a décidé de mettre un terme à l'impunité des puissants. Ce serait poser la première pierre d'un nouvel Etat de droit. Les prochaines semaines diront si la justice indonésienne a la volonté et la capacité d'aller jusque là.



par A Djakarta, Marie-Pierre  VEROT

Article publié le 03/08/2000

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