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Sénégal

Le «nomadisme politique» a commencé

En cette période de saison des pluies, les conversations des sénégalais ne portent ni sur l'abondance des précipitations, ni sur les inondations enregistrées dans certaines localités du pays. Ce qui anime allègrement les discussions, c'est le phénomène tout à fait local de la «transhumance» politique ou «nomadisme» politique.
Ces mots qui occupent désormais une place importante dans le vocabulaire des Sénégalais désignent
le comportement de certains hommes et femmes politiques qui passent facilement d'un parti à un autre.
Cette pratique typiquement sénégalaise était quasiment inexistante sous la présidence du père de l'indépendance Lépold Sédar Senghor. Ce dernier s'attachait plutôt à fusionner son parti avec d'autres partis venus se dissoudre dans l'UPS (Union progressiste sénégalaise), devenu par la suite Parti socialiste. Sous Abdou Diouf, son successeur, confronté à la pugnacité du leader de l'opposition et actuel président Abdoulaye Wade, le phénomène de la transhumance politique a pris une ampleur de plus en plus grande. Pour réduire l'influence du mouvement de ce dernier, le Parti démocratique sénégalais (PDS), les partisans d'Abdou Diouf se sont livrés à un débauchage systématique de ses compagnons. Le cas le plus frappant aura été, au début des années quatre-vingt, celui de feu Fara Ndiaye, qui fut l'adjoint du leader du PDS et le président de son groupe parlementaire. Intensément démarché par les socialistes dès l'avènement de Diouf à la magistrature suprême, cette personnalité forte du parti des libéraux abandonna son camp pour rejoindre celui d'Abdou Diouf. Le coup fut rude pour l'opposant Wade.

Fort de leur succès, les socialistes ont redoublé d'ardeur, s'attaquant également à d'autres partis de l'opposition, comme le PAU de Mahmouth Diop, la LDMPT du professeur Abdoulaye Bathily ou l'AJ/PADS de Landing Savané. Le phénomène s'est accentué avec une série de démissions de hautes personnalités de l'opposition passés avec armes et bagages chez les socialistes. A l'occasion des élections législatives ou présidentielle, c'est à qui enregistre le plus de nouvelles recrues. Les va-et-vient d'un parti à un autre sont médiatisés dans le but de démoraliser l'adversaire et de se présenter en un parti attractif.

La stupeur des Sénégalais

Pour ce qui concerne le P.S, la récente élection présidentielle qui se sont déroulée au Sénégal et qui a abouti à l'alternance à la tête de l'Etat le 19 mars 2000, aura particulièrement favorisé la transhumance politique. Avant, puis après le premier tour, un conseiller de presse du président Diouf avait comme mission de recevoir les «transhumants» politiques et de se faire photographier avec eux sur les marches de la présidence. Cette méthode n'a pas empêché Abdou Diouf d'être largement battu par maître Wade. Elle y a même contribué. Parmi les multiples causes de cette défaite, il convient de retenir la volonté manifeste des Sénégalais de sanctionner cette pratique de transhumance, jugée comme une perversion des m£urs politiques sénégalaises.

Or, quatre mois seulement après sa victoire, le président Wade, qui a focalisé l'espoir de tout un peuple pour le changement, semble avoir repris la méthode à son compte. Selon la plupart des observateurs, celle-ci a pris des proportions inquiétantes. Depuis quelques temps, on se bouscule pour faire allégeance au nouveau pouvoir, y compris parmi les caciques du moribond Parti socialiste. Presque tous les soirs, la télévision nationale au cours de son journal télévisé se complait dans la diffusion d'images montrant les transhumants politiques en compagnie du président Wade qui affiche un malin plaisir à accueillir ses détracteurs d'hier. Les Sénégalais stupéfaits regardent défiler sur leur petit écran des personnalités qu'ils espéraient ne plus revoir dans les allées du pouvoir. Leur agacement a atteint son paroxysme lorsqu'ils ont vu des hommes et femmes comme Abdoulaye Diack, actuel président du Sénat, qui, il n'y a pas si longtemps, était encore l'un des ennemis jurés de maître Wade. Après Abdoulaye Diack, d'autres responsables politiques sont venus se rallier. Il s'agit notamment de Landing Sané, ancien ministre de l'Equipement, et des maires de commune d'arrondissements ou de ville, comme Aida Ndiongue, Mbackiou Faye, Alioune Kebe ou Lamine Thiam.

Tandis que maître Wade s'accorde avec beaucoup de risque de cette transhumance politique, le premier ministre Moustapha Niasse, dissident du PS et leader de l'Alliance des forces du progrès (AFP), compte les points avec détachement et espère enregistrer des dividendes tant le phénomène est devenu impopulaire au Sénégal. D'autant que les transhumants sont généralement rejetés part les militants. C'est dire que maître Wade et son parti se livrent à un périlleux exercice à l'approche des prochaines législatives.



par A Dakar, Pape  TOURE

Article publié le 06/09/2000