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Prix littéraires

Pascal Quignard :<br>mieux qu'un style, une voix!

Les quatorze jurés de l'Académie française ont décerné le Grand Prix du roman, dès le premier tour, au discret Pascal Quignard, l'un des meilleurs écrivains actuels de langue française.
Belle surprise : la saison des prix littéraires, souvent controversés à juste titre, s'ouvre ce jeudi 26 octobre par un prix bien mérité, décerné à Pascal Quignard pour son roman Terrasse à Rome, mais aussi pour l'ensemble de son £uvre. Distinction d'autant plus méritée que ce romancier et essayiste, qui nous enchante depuis plus de vingt ans - on se souvient du poignant Tous les matins du monde, adapté à l'écran avec grand bonheur, ou du Salon du Wurtemberg - n'avait encore jamais été lauréat d'un prix grand public(exception faite, au printemps dernier, du Grand Prix de Monaco dont on parle hélas peu dans les salons parisiensà).

D'un montant de 100 000 F, créé en 1918, le Grand Prix du roman de l'Académie française est l'un des plus réputés et des plus anciens en France. Il compte à son palmarès, entre autres, de grands écrivains comme Pierre Benoît, François Mauriac, Joseph Kessel, Georges Bernanos, Saint-Exupéry, Albert Cohen ou encore Patrick Modiano. Puis, à l'image de la littérature en général, les très grosses pointures ont laissé la place à de bons écrivains, certes, des auteurs au métier sûr mais dont tous ne seront pas des "classiques". Rappelons qu'il a récompensé, en 1996, l'un des auteurs les plus en vue du continent africain, l'énergique et truculente Calixthe Beyala, pour Les Honneurs perdus.

D'illustres figures traversent la cour des bâtiments historiques de l'Académie, au 23 quai de Conti, en cet après-midi d'octobre : Maurice Druon, Pierre Messmer, Jean Dutourd, Jacqueline de Romilly, Alain Decauxà Tous un peu courbés par les ans - excepté les «benjamins» Hector Bianciotti ou Jean-Marie Rouart - mais tous heureux de leur choix, le sourire aux lèvres. Modeste, le lauréat à peine arrivé se dérobe : «C'est l'histoire curieuse d'un homme qui ne peut pas revoir son fils tant il ressemble à la femme qu'il a jadis aimée», dit-il de son livre. «C'est tout.».

« C'est l'histoire curieuse d'un homme... »

Terrasse à Rome raconte en 47 courts chapitres le périple d'un graveur du XVIIe siècle, défiguré par un fiancé jaloux, mais qui saura «faire de ce désastre une chance» en excellant dans son art. C'est surtout un livre, comme tous ceux du même auteur, qui donne à voir, a humer, à entendre, à ressentir. Un texte écrit dans une prose poétique qui ne relève pas que d'un travail de forme mais résonne dans l'âme, sentiments et émotions mêlés, du lecteur. Une musique, des couleurs, un paysage, un appel. Plus qu'un style, a pu écrire le journal Le monde : une véritable voix dans la littérature contemporaine.

Les deux autres finalistes du prix étaient le sulfureux Gabriel Matzneff, chantre des passions non conformes, d'un certain épicurisme et, selon ses termes, de «la résistance à l'ordre moral». Et Eric-Emmanuel Schmitt, connu surtout en tant qu'auteur dramatique, qui vient de se glisser dans la peau de Ponce Pilate pour écrire un roman sur le Christ et sa mystérieuse disparition trois jours après la crucifixion.

Les télévisions ne daignent plus couvrir ce Grand Prix de l'Académie française qui inaugure une saison par ailleurs très médiatisée. Est-ce une indication sur sa qualité ? Cette année, en tout cas, les amateurs de belle littérature, sobre et profonde, peuvent être satisfaits.



par Henriette  SARRASECA

Article publié le 26/10/2000