Présidentielle 2000
Une élection atypique et très ouverte
A la veille du scrutin présidentiel de dimanche 22 octobre, la Côte d'ivoire semble, à juste titre, retenir son souffle. Car, ce premier rendez-vous électoral depuis le putsch de Noël 1999 ne ressemble à aucun autre et son issue est bien plus incertaine qu'on le croit dans de nombreuses chancelleries. Même si deux candidats seulement ont des chances de figurer au deuxième tour, voire de l'emporter dès le premier : le général-président Robert Gueï, qui représente de facto le « courant houphouëtiste », et l'opposant de toujours Laurent Gbagbo, du FPI (Front populaire ivoirien), socialiste.
Cette élection intervient après dix mois de « révolution nationale » inattendue. Une révolution ponctuée de mutineries, de (vrais-faux ?) putschs et de poussées de fièvre nationalistes, mais suivie de près par la population, qui a montré un intérêt réel pour un rendez-vous qui conditionnera la suite des événements, à commencer par les élections législatives. En réalité, la mise à l'écart de Henri Konan Bédié a marqué le vrai début de l'après-Houphouët-Boigny et l'implosion de son parti-Etat : le PDCI, dont les dépouilles sont aujourd'hui revendiquées par une bonne demi-douzaine de courants, tous légitimes mais aussi en compétition acharnée entre eux.
En fait cette décomposition a commencé par la dissidence de l'ex-premier ministre Alassane Ouattara, écarté de la succession par le clan Bédié, qui a par la suite créé son propre parti, le RDR : un parti réformateur qui a aussitôt été qualifié de « nordiste » en raison de son implantation géographique et du fait que la plupart de ses membres sont musulmans. A cela s'ajoute le fait que Ouattara a constamment été perçu comme « le candidat de l'étranger » et des milieux financiers internationaux ; ce qui l'a de facto éliminé de la scène politique, avant même que sa candidature ne soit écartée par la Cour constitutionnelle pour « nationalité douteuse ».
Cette mise à l'écart est d'abord due à une poussée de nationalisme sans commune mesure avec ce qui se passait du temps de Houphouët-Boigny. Celui-ci avait fait de la Côte d'Ivoire une terre d'asile ouverte à tous, des ouvriers agricoles burkinabé qui travaillent dans des conditions de quasi esclavage dans les cacaoyères et les caféières ivoiriennes, aux hauts fonctionnaires et autres ministres qui ont fait fortune auprès du « Vieux » avant de regagner leur propre pays d'origine.
Un duel très indécis
Depuis la disparition d'Houphouët-Boigny, la « question nationale » s'est posée dans toute son urgence. Et elle est désormais exploitée, notamment sur le plan électoral, par tous les protagonistes, car elle concerne l'identité même de ce pays issu de l'AOF et qui, contrairement aux autres, ne dispose pas d'un véritable « noyau central » autour duquel la nation ivoirienne aurait pu peu à peu se bâtir. De plus, la « révolution nationale» en cours provoque plus qu'ailleurs des poussées de xénophobie parce que la Côte d'Ivoire n'a pas encore retrouvé toute son autonomie vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale, notamment sur le plan économique et politique.
Pour tout cela, les Ivoiriens semblent déterminés à profiter du scrutin de dimanche pour se positionner. Y compris vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Union européenne, qui ont suspendu leur aide. Pour cela ils ont lancé des souscriptions pour assurer le financement des élections. Un geste inattendu et atypique, mais qui en dit long sur leur volonté d'aller jusqu'au bout de la transition en cours, et qui place en porte-à-faux ceux qui, en Côte d'Ivoire comme ailleurs, parlent de «mascarade» ou appellent au boycott du scrutin. L'échec de la journée « ville morte » de lundi 16 mars lancée par le Forum (proche d'Ouattara), y compris à Bouaké et à Korhogo, semble indiquer que le boycottage du scrutin n'a des chances d'être suivi d'effet que dans le nord du pays. Vraisemblablement parce que le choix qui est proposé aux Ivoiriens ce dimanche est tout de même à prendre en considération.
Le «candidat du peuple» Robert Gueï a peu à peu remplacé ses uniformes par des costumes de premier choix , et tente de se placer «au dessus des partis» et de jouer le rôle du « sauveur de la patrie », tout en récupérant une grande partie de la machine électorale du PDCI et de l'héritage politique du «vieux» Houphouët-Boigny. Il sait, pour en en avoir été membre, que ce parti n'a pas de «culture d'opposition». Mais l'ex-général a visiblement du mal à faire oublier son passé de militaire, ses manières fortes et surtout le fait de ne plus vouloir quitter le pouvoir après avoir «balayé la maison». Il semble en réalité que le général-président soit désormais prisonnier de son propre entourage (houphouëtiste) : des courtisans déterminés plus que le général lui-même à ne pas abandonner le pouvoir. Ce qui conforte tous ceux qui pensent que Gueï représente plus que jamais le passé, le côté paternaliste et quasi patriarcal du «Vieux», et donne une très mauvaise image de la Côte d'Ivoire en raison de son appartenance aux forces armées.
Pour cela aussi Laurent Gbagbo n'a pas trop de mal à se faire passer pour le candidat de l'avenir et du changement, tout en répétant que le pays doit au plus vite «sortir de la transition». Un message qui a l'air d'être perçu favorablement, pas uniquement dans l'Ouest du pays, d'où sont originaires à la fois Gueï et Gbagbo. En 1995 le FPI de Gbagbo a recueilli 24% des voix aux législatives, contre 11% au RDR de Ouattara. «Je suis candidat, je bats campagne et aujourd'hui c'est moi qui vais gagner, dit Gbagbo ; car le pays ne souhaite pas qu'on élise quelqu'un qui a fait un coup d'état». C'est vrai, mais Robert Gueï contrôle l'armée et celle-ci assure la logistique du scrutin.
Les dizaines d'observateurs européens dépêchés en Côté d'Ivoire semblent incapables de contrôler les milliers de bureaux de vote. Certes le FPI dispose lui aussi d'une machine électorale assez rodée, et le RDR et le PDCI ont tout intérêt à suivre de près les opérations de vote, pour savoir si leurs consignes de boycott auront été suivies. Mais l'histoire nous a appris - notamment au Cameroun - que les fraudes ne s'arrêtent pas lors la fermeture des bureaux de vote
En fait cette décomposition a commencé par la dissidence de l'ex-premier ministre Alassane Ouattara, écarté de la succession par le clan Bédié, qui a par la suite créé son propre parti, le RDR : un parti réformateur qui a aussitôt été qualifié de « nordiste » en raison de son implantation géographique et du fait que la plupart de ses membres sont musulmans. A cela s'ajoute le fait que Ouattara a constamment été perçu comme « le candidat de l'étranger » et des milieux financiers internationaux ; ce qui l'a de facto éliminé de la scène politique, avant même que sa candidature ne soit écartée par la Cour constitutionnelle pour « nationalité douteuse ».
Cette mise à l'écart est d'abord due à une poussée de nationalisme sans commune mesure avec ce qui se passait du temps de Houphouët-Boigny. Celui-ci avait fait de la Côte d'Ivoire une terre d'asile ouverte à tous, des ouvriers agricoles burkinabé qui travaillent dans des conditions de quasi esclavage dans les cacaoyères et les caféières ivoiriennes, aux hauts fonctionnaires et autres ministres qui ont fait fortune auprès du « Vieux » avant de regagner leur propre pays d'origine.
Un duel très indécis
Depuis la disparition d'Houphouët-Boigny, la « question nationale » s'est posée dans toute son urgence. Et elle est désormais exploitée, notamment sur le plan électoral, par tous les protagonistes, car elle concerne l'identité même de ce pays issu de l'AOF et qui, contrairement aux autres, ne dispose pas d'un véritable « noyau central » autour duquel la nation ivoirienne aurait pu peu à peu se bâtir. De plus, la « révolution nationale» en cours provoque plus qu'ailleurs des poussées de xénophobie parce que la Côte d'Ivoire n'a pas encore retrouvé toute son autonomie vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale, notamment sur le plan économique et politique.
Pour tout cela, les Ivoiriens semblent déterminés à profiter du scrutin de dimanche pour se positionner. Y compris vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Union européenne, qui ont suspendu leur aide. Pour cela ils ont lancé des souscriptions pour assurer le financement des élections. Un geste inattendu et atypique, mais qui en dit long sur leur volonté d'aller jusqu'au bout de la transition en cours, et qui place en porte-à-faux ceux qui, en Côte d'Ivoire comme ailleurs, parlent de «mascarade» ou appellent au boycott du scrutin. L'échec de la journée « ville morte » de lundi 16 mars lancée par le Forum (proche d'Ouattara), y compris à Bouaké et à Korhogo, semble indiquer que le boycottage du scrutin n'a des chances d'être suivi d'effet que dans le nord du pays. Vraisemblablement parce que le choix qui est proposé aux Ivoiriens ce dimanche est tout de même à prendre en considération.
Le «candidat du peuple» Robert Gueï a peu à peu remplacé ses uniformes par des costumes de premier choix , et tente de se placer «au dessus des partis» et de jouer le rôle du « sauveur de la patrie », tout en récupérant une grande partie de la machine électorale du PDCI et de l'héritage politique du «vieux» Houphouët-Boigny. Il sait, pour en en avoir été membre, que ce parti n'a pas de «culture d'opposition». Mais l'ex-général a visiblement du mal à faire oublier son passé de militaire, ses manières fortes et surtout le fait de ne plus vouloir quitter le pouvoir après avoir «balayé la maison». Il semble en réalité que le général-président soit désormais prisonnier de son propre entourage (houphouëtiste) : des courtisans déterminés plus que le général lui-même à ne pas abandonner le pouvoir. Ce qui conforte tous ceux qui pensent que Gueï représente plus que jamais le passé, le côté paternaliste et quasi patriarcal du «Vieux», et donne une très mauvaise image de la Côte d'Ivoire en raison de son appartenance aux forces armées.
Pour cela aussi Laurent Gbagbo n'a pas trop de mal à se faire passer pour le candidat de l'avenir et du changement, tout en répétant que le pays doit au plus vite «sortir de la transition». Un message qui a l'air d'être perçu favorablement, pas uniquement dans l'Ouest du pays, d'où sont originaires à la fois Gueï et Gbagbo. En 1995 le FPI de Gbagbo a recueilli 24% des voix aux législatives, contre 11% au RDR de Ouattara. «Je suis candidat, je bats campagne et aujourd'hui c'est moi qui vais gagner, dit Gbagbo ; car le pays ne souhaite pas qu'on élise quelqu'un qui a fait un coup d'état». C'est vrai, mais Robert Gueï contrôle l'armée et celle-ci assure la logistique du scrutin.
Les dizaines d'observateurs européens dépêchés en Côté d'Ivoire semblent incapables de contrôler les milliers de bureaux de vote. Certes le FPI dispose lui aussi d'une machine électorale assez rodée, et le RDR et le PDCI ont tout intérêt à suivre de près les opérations de vote, pour savoir si leurs consignes de boycott auront été suivies. Mais l'histoire nous a appris - notamment au Cameroun - que les fraudes ne s'arrêtent pas lors la fermeture des bureaux de vote
par Elio Comarin
Article publié le 19/10/2000