Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Congo démocratique

Aidan Hartley : «la guerre est pire qu'au moment des accords de paix»<br>

Aidan Hartley et George Bloch, analystes à l'International Crisis Group, un organisme non-gouvernemental basé à Bruxelles, s'apprêtent à publier un important rapport de mission sur le conflit en République démocratique du Congo. Dans l'entretien qu'ils ont accordés à RFI Internet, ils s'inquiètent de la fragmentation croissante du pays et s'alarment de la situation humanitaire.
RFI : Les initiatives se multiplient sans grand succès pour obtenir l'application de l'accord de paix de Lusaka. Quelles sont les chances actuelles d'y parvenir?

Aidan Hartley et George Bloch : Pour l'instant, il n'y a aucune confiance réelle entre eux. Et pour l'heure, aucun progrès n'a été enregistré sur le terrain. La guerre est même pire qu'au moment de la signature des accords de Lusaka. En même temps, on assiste à aucune offensive décisive. A l'évidence, si les troupes rwandaises ou ougandaises prenaient Kinshasa, la responsabilité serait trop lourde. Mais une chose est sûre : alors que la guerre continue, on assiste à une fragmentation croissante du pays. Les mouvements rebelles eux-mêmes se divisent. Du côté gouvernemental, le pouvoir de Kabila est également fragmenté et ce dernier ne peut combattre qu'avec un soutien militaire extérieur.

RFI : Des contacts directs existent entre les belligérants. Le chef d'état-major de l'armée angolaise, le général De Matos, a notamment rencontré les rebelles du MLC de Jean-Pierre Bemba, il y a quelques jours. Comment faut-il interpréter ces contacts?

A.H et G.B : Il y a eu des discussions à Mbandaka [chef-lieu de la province], qui est menacé par l'armée ougandaise et les rebelles du MLC. Les Angolais leur ont lancé un sérieux avertissement en précisant qu'ils feraient intervenir leurs avions de combats, en cas de tentative de prise de la ville. Mais on peut analyser ces contacts à un autre niveau. Il y a beaucoup de spéculations à propos de l'Angola, qui se présente désormais comme le faiseur de rois de la région, et devrait maintenir sa présence militaire au Congo, même si le Zimbabwe s'en va. Les Angolais voient d'un mauvais £il les liens de Jean-Pierre Bemba avec les rebelles angolais de l'UNITA. Ce dernier est par ailleurs trop associé selon eux à leur vieil ennemi Mobutu. D'une manière plus générale, les contacts existent à plusieurs niveaux, y compris militaires, entre les belligérants, mais les combats ne cessent pas pour autant.

RFI: Le conflit actuel ne semble pas pouvoir déboucher sur une prise de Kinshasa à court terme. Pourquoi l'Ouganda et le Rwanda persistent-ils à rester au Congo ?

A.H et G.B : Il ne fait aucun doute qu'ils se sont engagés dans l'exploitation des ressources naturelles, même si ce n'était pas leur objectif initial. Mais ce n'est peut-être pas la raison principale du maintien de leurs troupes. C'est aussi une question de fierté pour leurs dirigeants. Il n'est pas facile pour eux d'admettre ce qui serait considéré comme une défaite. Il y a d'autre part une affaire de rivalité entre le Rwanda et l'Ouganda. Depuis le mois de juin, Kigali a l'impression de perdre du terrain face à Kampala et n'entend pas se laisser dépasser.

RFI: Comment analysez-vous les crises internes traversées par les deux factions du Rassemblement congolais pour la démocratie?

A.H et G.B : Le RCD Goma, soutenu par le Rwanda, est en complète débandade. C'est la raison du départ de Emile Ilunga de la tête du mouvement. Ce mouvement n'a aucune influence politique dans l'est du Congo. Ces dirigeants n'ont d'autre but que le profit et n'ont apporté aucune stabilité dans le Kivu. Contrairement au mouvement de Jean-Pierre Bemba, le RCD Goma n'a aucune indépendance vis-à-vis de son mentor, le Rwanda. La nomination d'Adolphe Onusumba, originaire du Kasaï, peut apparaître comme une volonté du Rwanda de «bembaiser» le mouvement. En ce qui concerne la faction de Wamba Dia Wamba, la question est différente. Certains ont reproché à ce professeur formé en Tanzanie de n'avoir aucune expérience de la gestion. Mais l'attitude de l'Ouganda n'a pas été honnête dans cette affaire. Après une réunion de conciliation à Kampala, durant laquelle il avait été décidé de dissoudre les milices de son rival, les combats ont repris de plus belle, avec des soldats ougandais présents des deux côtés. Ce qui prouve en l'occurrence que Yoweri Museveni, le chef de l'Etat ougandais, ne maîtrise pas entièrement ce qui se passe dans son armée.

RFI : Quelle est la situation humanitaire du Congo démocratique ?

A.H et G.B : Elle est alarmante. Les signes d'une crise grave sont là. Mais l'aide apportée à la RDC est faible notamment en raison de problèmes logistiques. Quelque chose doit être fait rapidement si on veut éviter une catastrophe. Le nombre de décès dus à la famine ou aux maladies indirectement dues au conflit est largement supérieur à celui des victimes des combats. Il faut vraiment faire quelque chose sinon la paix sera encore plus difficile à obtenir.

International Crisis Group : http://www.intl-crisis-group.org/



par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 15/11/2000

Articles