La mort de Théodore Monod
Monod et l'Afrique :<br>une longue histoire d'amour
Dunes et oueds n'avaient plus de secret pour lui. Du Hoggar au Tibesti en passant par Ennedi, Théodore Monod a consacré à cette partie de l'Afrique, du Sénégal à la Libye, jusqu'à l'Ouest égyptien, la plus grande partie de son existence, soit trois quarts de siècle. Une véritable histoire d'amour.
Lorsqu'en 1967, Théodore Monod reçoit à Addis Abeba, des mains du «Roi des Rois», l'empereur d'Ethiopie, le prix Haïlé Sélassié de la recherche africaine, c'est tout un continent qui salue les travaux archéologiques, linguistiques et ethnologiques menés par le savant, à travers le Sahara notamment. Il reçoit cette distinction à Addis Abeba. Le prix Haïlé Sélassié est l'équivalent du «Nobel africain». Une médaille d'or et une bourse de 40 000 dollars éthiopiens (80 000 francs français) qu'il partage avec le grand linguiste africaniste, l'Américain Joseph Greenberg, auteur d'une étude sur 750 langues africaines.
«Le plus grand Saharien de tous les temps», comme le qualifie la presse de l'époque, a consacré toute sa vie à l'Afrique et ses découvertes de l'Adrar Ahnet et du squelette fossilisé de l'Homme d'Asselar l'ont rendu célèbre. «Le dernier diplodocus», le «bédouin humaniste», le «Mathusalem des sables», surnoms et qualificatifs ne manquent pas pour parler de cet homme d'exceptionà
On se souvient de la frêle silhouette de cet homme sec, menant des expéditions à la tête de méharées, fouillant inlassablement le sol à la recherche d'échantillons botaniques et géologiques, égrenant le sable pour mieux comprendre le mystère de la création.
Chamelier, 2e classe
Il connaîtra son premier coup de c£ur pour l'Afrique à l'âge de vingt ans. Diplôme en poche û un doctorat de sciences naturelles û il est assistant au Museum d'histoire naturelle de Paris. En 1922, il part étudier la pêche et les poissons en Mauritanie, à Port-Etienne (aujourd'hui Nouadhibou) et c'est au cours de ce voyage qu'il tombe amoureux du désert ! Au terme de ce séjour, au lieu de prendre le bateau pour rentrer à Bordeaux, il prend un chameau et traverse toute la Mauritanie occidentale, jusqu'au Sénégal. Il découvre l'immensité aride et caillouteuse. Ce sera le début d'une longue histoire d'amour et d'une carrière scientifique d'une longévité inégalée. A 22 ans, il organise sa première méharée au Sénégal et en Mauritanie, de Port-Etienne à Saint-Louis, deux ans plus tard il passe sa thèse et part au Cameroun en 1926. Sur les hauts plateaux il y rencontre André Gide, l'H.Q.C.N.P.A.P (l'homme-qui-ne croit-plus-aux-péchés) alors qu'il s'interroge sur les valeurs occidentales dans l'Afrique coloniale et sur le sens de l'oeuvre missionnaire. Très croyant, il est protestant, Théodore Monod apprend l'arabe.
Il enchaîne les missions pour le compte de la Société de géographie. Entre 1928 et 1930, il fait son service militaire dans le Hoggar comme méhariste. Il est chamelier de 2e classe. Au Mali, en 1928, il exhumera à Asselar, un homme fossile, une découverte capitale en Afrique de l'Ouest.
Entre 1930 et 1934 il rentre en Europe et rédige de nombreux travaux et études sur des disciplines aussi diverses et complémentaires que la géologie, la paléontologie, la botanique, la climatologie et bien sûr la géographie.
Loin de tout romantisme et de tout lyrisme, il démythifie le désert qui n'est pas «le royaume du fantastique», comme le chantent les romanciers. Il préfère parler d'une «rude école dont les leçons sont salutaires». Il avoue même s'ennuyer parfois, lors des expéditions en chameau et lors des trajets éprouvants dans la fournaise. «On rêve d'orangeade et de camembert», dira-t-il. Il est le seul homme a avoir parcouru près de mille kilomètres sans rencontrer un seul point d'eau, un périple effectué en compagnie de deux bédouins. Vingt-deux jours pour rallier Ouaden en Mauritanie à Arouane au Mali avec pour seule boisson, neuf verres de thé à la menthe par jour. Bivouacs et étapes se succèdent. Il parcourt le Sahara dans tous les sens, le connaît comme sa poche mais le découvre à chaque fois. Sur des carnets, il note, il ramasse des fossiles, sa mémoire fait le reste.
Fleur de sable
De retour sur le continent africain, il explore en 1934 le Sahara occidental, à la recherche de la météorite de Chinguetti, supposée gigantesque mais qu'il ne trouvera jamais. En 1936, ce sera la première traversée du Tanezrouft, jusque-là inexplorée. «Inspirateur de la recherche scientifique en Afrique», comme l'écrivait récemment le quotidien sénégalais le Soleil, il dirige de 1938 à 1964 l'IFAN, l'Institut français d'Afrique noire. C'est un organisme de recherche en sciences humaines créé sous l'AOF, l'Afrique occidentale française. Sa principale tâche consiste à réaliser des cartes ethno-démographiques, présentant les différents groupes de population, les densités. D'autres cartes sont également établies servant de base à un grand atlas de l'Afrique de l'Ouest.
Pendant la deuxième guerre mondiale, entre 1940 et 1945, il part en expédition dans le Fezzan libyen italien. Il sera accusé d'espionnage, expulsé et renvoyé à Dakar. Il deviendra président de la Fédération d'AOF de la France combattante.
Les années passent, le prestige s'accroît. La passion dure. En 1963, il est élu à l'Académie des sciences mais il reviendra en Afrique après un détour au Yémen et en Iran. Il explore le désert libyen au cours de quatre expéditions entre 1980 et 1982 et récemment, en 1996, il repartait pour le Tibesti à la recherche de Monodiella flexiosa, la petite fleur des sables. Il l'avait découverte en 1940, alors qu'il était caporal-chef. Aussitôt elle avait été classée comme «espèce nouvelle». Sa présence signifiait la proximité d'une source d'eau. Cinquante-six ans après le savant a voulu en avoir le c£ur net, fidèle à sa devise : «Chaque grain de sable est un grain de vérité».
«Le plus grand Saharien de tous les temps», comme le qualifie la presse de l'époque, a consacré toute sa vie à l'Afrique et ses découvertes de l'Adrar Ahnet et du squelette fossilisé de l'Homme d'Asselar l'ont rendu célèbre. «Le dernier diplodocus», le «bédouin humaniste», le «Mathusalem des sables», surnoms et qualificatifs ne manquent pas pour parler de cet homme d'exceptionà
On se souvient de la frêle silhouette de cet homme sec, menant des expéditions à la tête de méharées, fouillant inlassablement le sol à la recherche d'échantillons botaniques et géologiques, égrenant le sable pour mieux comprendre le mystère de la création.
Chamelier, 2e classe
Il connaîtra son premier coup de c£ur pour l'Afrique à l'âge de vingt ans. Diplôme en poche û un doctorat de sciences naturelles û il est assistant au Museum d'histoire naturelle de Paris. En 1922, il part étudier la pêche et les poissons en Mauritanie, à Port-Etienne (aujourd'hui Nouadhibou) et c'est au cours de ce voyage qu'il tombe amoureux du désert ! Au terme de ce séjour, au lieu de prendre le bateau pour rentrer à Bordeaux, il prend un chameau et traverse toute la Mauritanie occidentale, jusqu'au Sénégal. Il découvre l'immensité aride et caillouteuse. Ce sera le début d'une longue histoire d'amour et d'une carrière scientifique d'une longévité inégalée. A 22 ans, il organise sa première méharée au Sénégal et en Mauritanie, de Port-Etienne à Saint-Louis, deux ans plus tard il passe sa thèse et part au Cameroun en 1926. Sur les hauts plateaux il y rencontre André Gide, l'H.Q.C.N.P.A.P (l'homme-qui-ne croit-plus-aux-péchés) alors qu'il s'interroge sur les valeurs occidentales dans l'Afrique coloniale et sur le sens de l'oeuvre missionnaire. Très croyant, il est protestant, Théodore Monod apprend l'arabe.
Il enchaîne les missions pour le compte de la Société de géographie. Entre 1928 et 1930, il fait son service militaire dans le Hoggar comme méhariste. Il est chamelier de 2e classe. Au Mali, en 1928, il exhumera à Asselar, un homme fossile, une découverte capitale en Afrique de l'Ouest.
Entre 1930 et 1934 il rentre en Europe et rédige de nombreux travaux et études sur des disciplines aussi diverses et complémentaires que la géologie, la paléontologie, la botanique, la climatologie et bien sûr la géographie.
Loin de tout romantisme et de tout lyrisme, il démythifie le désert qui n'est pas «le royaume du fantastique», comme le chantent les romanciers. Il préfère parler d'une «rude école dont les leçons sont salutaires». Il avoue même s'ennuyer parfois, lors des expéditions en chameau et lors des trajets éprouvants dans la fournaise. «On rêve d'orangeade et de camembert», dira-t-il. Il est le seul homme a avoir parcouru près de mille kilomètres sans rencontrer un seul point d'eau, un périple effectué en compagnie de deux bédouins. Vingt-deux jours pour rallier Ouaden en Mauritanie à Arouane au Mali avec pour seule boisson, neuf verres de thé à la menthe par jour. Bivouacs et étapes se succèdent. Il parcourt le Sahara dans tous les sens, le connaît comme sa poche mais le découvre à chaque fois. Sur des carnets, il note, il ramasse des fossiles, sa mémoire fait le reste.
Fleur de sable
De retour sur le continent africain, il explore en 1934 le Sahara occidental, à la recherche de la météorite de Chinguetti, supposée gigantesque mais qu'il ne trouvera jamais. En 1936, ce sera la première traversée du Tanezrouft, jusque-là inexplorée. «Inspirateur de la recherche scientifique en Afrique», comme l'écrivait récemment le quotidien sénégalais le Soleil, il dirige de 1938 à 1964 l'IFAN, l'Institut français d'Afrique noire. C'est un organisme de recherche en sciences humaines créé sous l'AOF, l'Afrique occidentale française. Sa principale tâche consiste à réaliser des cartes ethno-démographiques, présentant les différents groupes de population, les densités. D'autres cartes sont également établies servant de base à un grand atlas de l'Afrique de l'Ouest.
Pendant la deuxième guerre mondiale, entre 1940 et 1945, il part en expédition dans le Fezzan libyen italien. Il sera accusé d'espionnage, expulsé et renvoyé à Dakar. Il deviendra président de la Fédération d'AOF de la France combattante.
Les années passent, le prestige s'accroît. La passion dure. En 1963, il est élu à l'Académie des sciences mais il reviendra en Afrique après un détour au Yémen et en Iran. Il explore le désert libyen au cours de quatre expéditions entre 1980 et 1982 et récemment, en 1996, il repartait pour le Tibesti à la recherche de Monodiella flexiosa, la petite fleur des sables. Il l'avait découverte en 1940, alors qu'il était caporal-chef. Aussitôt elle avait été classée comme «espèce nouvelle». Sa présence signifiait la proximité d'une source d'eau. Cinquante-six ans après le savant a voulu en avoir le c£ur net, fidèle à sa devise : «Chaque grain de sable est un grain de vérité».
par Sylvie Berruet
Article publié le 22/11/2000