Nigeria
Le géant de l'Afrique au bord de l'explosion
Près de deux ans après son arrivée au pouvoir, Olusegun Obasanjo est sur la corde raide. L'état de grâce dont jouissait le premier président nigérian élu démocratiquement n'a duré qu'un temps. Apprécié des partenaires occidentaux séduits par son engagement à assainir l'un des Etats les plus corrompus du monde, le numéro un nigérian a de plus en plus de mal à s'imposer, alors que le pays est au bord de l'explosion.
«Everything scatter» («tout s'écroule»), chantait il y a un peu plus de vingt ans Fela, star disparue de la musique nigériane. A l'époque, le Nigeria vivait sous une dictature militaire dirigée par un certain général Olusegun Obasanjo, dont le chanteur a subi les foudres. Depuis, l'ancien chef de junte a fait du chemin. Après avoir été le premier dirigeant militaire à rendre le pouvoir à un éphémère régime civil en 1979, il a troqué l'uniforme pour le costume de président démocratiquement élu, en février 1999.
Son arrivée au pouvoir a suscité bien des espoirs, après les années de plomb du régime de Sani Abacha, de 1993 à 1998. L'engagement du nouveau numéro un en faveur de la lutte contre la corruption, un mal endémique, lui a valu un soutien appuyé de la communauté internationale et a aiguisé les attentes d'une population tétanisée par cinq années d'une des plus dures dictatures depuis l'indépendance.
Dix-huit mois plus tard, le pays est au bord de l'explosion. Des sanglantes émeutes ont fait plus de 1 000 morts en février et mai 2 000 dans le Nord, dont plusieurs Etats ont décidé d'introduire la loi islamique. Et la capitale économique Lagos a été le théâtre d'affrontements ethniques extrêmement violents du 15 au 18 octobre dernier. Bilan : au moins 100 victimes, le plus souvent décédées dans des circonstances atroces. Les incidents dramatiques de ces derniers mois ont à chaque fois opposé des ressortissants du Nord musulman, Haoussa-Fulani, et des Yoroubas, majoritaires dans le sud-ouest, essentiellement chrétien et animiste.
L'origine de la crise actuelle remonte à octobre 1999, avec la décision du gouverneur de l'Etat de Zamfara, dans le Nord, d'instaurer la charia. Initialement, la décision prise à l'instigation d'un puissant groupe d'anciens chefs de l'Etat «nordistes» visait à faire pression sur Olusegun Obasanjo, un Yorouba. Tout en ayant soutenu sa candidature, ces derniers s'estimaient lésés par ses choix politiques.
Rapidement le mouvement en faveur de la loi islamique, plus populaire que prévu parmi les habitants du nord, a pris une ampleur inattendue, puisqu'un nombre croissant d'Etats se sont engagés dans la même voie. «Les musulmans veulent la charia, nous vivons en démocratie et non sous un gouvernement militaire. En démocratie, le peuple exprime ses souhaits et ses aspirations à ses représentants, et ces derniers sont obligés de mettre en £uvre la volonté du peuple», déclarait récemment l'ancien président Sehu Shagari, au Weekly Trust, l'un des rares journaux du Nord musulman. La position est en tous cas très mal perçue parmi les chrétiens vivant dans la région, même si la charia ne s'applique théoriquement qu'aux musulmans.
Le repli ethnique
Les affrontements sanglants de février et mai 2000 à Kaduna, principale ville du nord du pays, qui ont suivi l'adoption de la loi islamique, ont considérablement accentué la tension déjà existante entre les deux communautés. Résultat : quand les miliciens de l'OPC (Congrès du peuple Odua), une puissante organisation défendant les intérêts de la communauté Yorouba opérant dans le sud-ouest, ont tenté de lyncher un voleur Haoussa dans une banlieue populaire de Lagos, l'explosion a été immédiate.
Mais elle a aussi révélé au monde extérieur le repli ethnique auquel on assiste actuellement au Nigeria. Le Congrès du peuple Odua en est l'exemple le plus significatif. Né à l'époque de la dictature de Sani Abacha, ce mouvement visait essentiellement à défendre les intérêts d'un groupe fortement visé par la répression du régime militaire et à assurer la sécurité des populations, en particulier dans les grandes agglomérations où la délinquance est endémique. Ses miliciens, qui se substituent à une police rongée par la corruption, sont devenus très populaires dans certains quartiers. Mais leurs méthodes sont expéditives. Au point que le pouvoir actuel a jugé bon de faire arrêter le président de l'OPC, le Dr Frederik Fasehun, pour sa responsabilité présumée dans les massacres de fin octobre, avant sa libération vendredi dernier faute de preuves.
Fasehun, un homme aux positions radicales, inquiète d'autant plus qu'il a reçu ces derniers temps le soutien de personnalités au-dessus de tout soupçon, comme le prix Nobel de littérature Wole Soyinka, ou Beko Ransome Kuti, frère de Fela, et célèbre militant des droits de l'homme emprisonné sous Abacha. Ce dernier est même devenu trésorier de l'OPC. «Beaucoup d'entre nous qui avons milité dans les années 90 avons perdu nos illusions. Ce n'est plus dans le cadre d'un gouvernement unitaire qu'on pourra régler les problème», nous a-t-il expliqué dans un entretien téléphonique. «L'expérience que nous avons vécue durant le régime militaire a vraiment accentué la méfiance entre les communautés. De sorte que beaucoup de gens veulent aujourd'hui réécrire la constitution nigériane.»
Comme beaucoup de responsables du sud-ouest du pays, Beko Ransome Kuti réclame l'organisation d'une Conférence nationale souveraine pour revoir les institutions actuelles trop favorables, selon lui, à un Etat centralisé. Pour beaucoup d'observateurs, ces revendications cachent en fait des velléités autonomistes, voire sécessionnistes. D'où le refus catégorique du président Obasanjo pour qui seuls les représentants élus du peuple ont le pouvoir de revoir la constitution.
Mais la crise actuelle pose d'autant plus de questions que les revendications autonomistes ne se limitent pas au sud-ouest. Dans le sud-est, théâtre de la sanglante guerre de sécession du Biafra entre 1967 et 1970, un nouveau mouvement, le MASSOB (Mouvement pour l'actualisation du Biafra), milite ouvertement pour l'indépendance du pays Ibo, sujet considéré encore récemment comme tabou. La région du Delta, d'où sont extraits 90% du pétrole nigérian, connaît régulièrement des troubles en partie attribués à des milices Ijaws, la principale ethnie locale. De là à voir ressurgir les vieux démons, il n'y a qu'un pas.
Son arrivée au pouvoir a suscité bien des espoirs, après les années de plomb du régime de Sani Abacha, de 1993 à 1998. L'engagement du nouveau numéro un en faveur de la lutte contre la corruption, un mal endémique, lui a valu un soutien appuyé de la communauté internationale et a aiguisé les attentes d'une population tétanisée par cinq années d'une des plus dures dictatures depuis l'indépendance.
Dix-huit mois plus tard, le pays est au bord de l'explosion. Des sanglantes émeutes ont fait plus de 1 000 morts en février et mai 2 000 dans le Nord, dont plusieurs Etats ont décidé d'introduire la loi islamique. Et la capitale économique Lagos a été le théâtre d'affrontements ethniques extrêmement violents du 15 au 18 octobre dernier. Bilan : au moins 100 victimes, le plus souvent décédées dans des circonstances atroces. Les incidents dramatiques de ces derniers mois ont à chaque fois opposé des ressortissants du Nord musulman, Haoussa-Fulani, et des Yoroubas, majoritaires dans le sud-ouest, essentiellement chrétien et animiste.
L'origine de la crise actuelle remonte à octobre 1999, avec la décision du gouverneur de l'Etat de Zamfara, dans le Nord, d'instaurer la charia. Initialement, la décision prise à l'instigation d'un puissant groupe d'anciens chefs de l'Etat «nordistes» visait à faire pression sur Olusegun Obasanjo, un Yorouba. Tout en ayant soutenu sa candidature, ces derniers s'estimaient lésés par ses choix politiques.
Rapidement le mouvement en faveur de la loi islamique, plus populaire que prévu parmi les habitants du nord, a pris une ampleur inattendue, puisqu'un nombre croissant d'Etats se sont engagés dans la même voie. «Les musulmans veulent la charia, nous vivons en démocratie et non sous un gouvernement militaire. En démocratie, le peuple exprime ses souhaits et ses aspirations à ses représentants, et ces derniers sont obligés de mettre en £uvre la volonté du peuple», déclarait récemment l'ancien président Sehu Shagari, au Weekly Trust, l'un des rares journaux du Nord musulman. La position est en tous cas très mal perçue parmi les chrétiens vivant dans la région, même si la charia ne s'applique théoriquement qu'aux musulmans.
Le repli ethnique
Les affrontements sanglants de février et mai 2000 à Kaduna, principale ville du nord du pays, qui ont suivi l'adoption de la loi islamique, ont considérablement accentué la tension déjà existante entre les deux communautés. Résultat : quand les miliciens de l'OPC (Congrès du peuple Odua), une puissante organisation défendant les intérêts de la communauté Yorouba opérant dans le sud-ouest, ont tenté de lyncher un voleur Haoussa dans une banlieue populaire de Lagos, l'explosion a été immédiate.
Mais elle a aussi révélé au monde extérieur le repli ethnique auquel on assiste actuellement au Nigeria. Le Congrès du peuple Odua en est l'exemple le plus significatif. Né à l'époque de la dictature de Sani Abacha, ce mouvement visait essentiellement à défendre les intérêts d'un groupe fortement visé par la répression du régime militaire et à assurer la sécurité des populations, en particulier dans les grandes agglomérations où la délinquance est endémique. Ses miliciens, qui se substituent à une police rongée par la corruption, sont devenus très populaires dans certains quartiers. Mais leurs méthodes sont expéditives. Au point que le pouvoir actuel a jugé bon de faire arrêter le président de l'OPC, le Dr Frederik Fasehun, pour sa responsabilité présumée dans les massacres de fin octobre, avant sa libération vendredi dernier faute de preuves.
Fasehun, un homme aux positions radicales, inquiète d'autant plus qu'il a reçu ces derniers temps le soutien de personnalités au-dessus de tout soupçon, comme le prix Nobel de littérature Wole Soyinka, ou Beko Ransome Kuti, frère de Fela, et célèbre militant des droits de l'homme emprisonné sous Abacha. Ce dernier est même devenu trésorier de l'OPC. «Beaucoup d'entre nous qui avons milité dans les années 90 avons perdu nos illusions. Ce n'est plus dans le cadre d'un gouvernement unitaire qu'on pourra régler les problème», nous a-t-il expliqué dans un entretien téléphonique. «L'expérience que nous avons vécue durant le régime militaire a vraiment accentué la méfiance entre les communautés. De sorte que beaucoup de gens veulent aujourd'hui réécrire la constitution nigériane.»
Comme beaucoup de responsables du sud-ouest du pays, Beko Ransome Kuti réclame l'organisation d'une Conférence nationale souveraine pour revoir les institutions actuelles trop favorables, selon lui, à un Etat centralisé. Pour beaucoup d'observateurs, ces revendications cachent en fait des velléités autonomistes, voire sécessionnistes. D'où le refus catégorique du président Obasanjo pour qui seuls les représentants élus du peuple ont le pouvoir de revoir la constitution.
Mais la crise actuelle pose d'autant plus de questions que les revendications autonomistes ne se limitent pas au sud-ouest. Dans le sud-est, théâtre de la sanglante guerre de sécession du Biafra entre 1967 et 1970, un nouveau mouvement, le MASSOB (Mouvement pour l'actualisation du Biafra), milite ouvertement pour l'indépendance du pays Ibo, sujet considéré encore récemment comme tabou. La région du Delta, d'où sont extraits 90% du pétrole nigérian, connaît régulièrement des troubles en partie attribués à des milices Ijaws, la principale ethnie locale. De là à voir ressurgir les vieux démons, il n'y a qu'un pas.
par Christophe Champin
Article publié le 19/11/2000