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Algérie

Un autre ramadan dans le sang

Une quarantaine de morts, en vingt-quatre heures seulement. Comme les autres années, l'Algérie est confrontée à une recrudescence des attentats durant le mois de jeûne. A Médéa une vingtaine de lycéens ont été massacrés dans leurs dortoirs.
C'est dans la nuit de samedi à dimanche que l'Algérie a connu un autre massacre qui marquera l'histoire d'une guerre qui dure depuis 1992 et aurait déjà fait plus de 100.000 victimes. Au lycée technique de Médéa, une petite ville située à 80 kilomètres seulement au sud d'Alger, les internes gagnent leurs dortoirs, vers 21h, pour la révision quotidienne de leurs cours. Tandis que les surveillants se retrouvent dans une salle voisine pour établir leurs rapports journaliers. Soudain une baisse de tension inquiète un garde, qui s'assure aussitôt du bon fonctionnement des disjoncteurs ; puis, rassuré, il dit aller regarder la télé dans le foyer. En fait un groupe de terroristes s'est déjà infiltré dans un des blocs de l'internat, en passant par la façade aveugle du lycée dressée en contrebas, qui longe l'oued Lahreche, non loin d'un bois connu de tous : il est devenu depuis longtemps une véritable base de repli pour un des GIA qui ont refusé l'offre d'amnistie du président Bouteflika d'il y a un an et demi.

En quelques minutes seulement le massacre est accompli. Presque en centre-ville, pas dans un douar isolé sur les collines de Médéa. Les terroristes, portant des vestes civiles mais des pantalons militaires, ouvrent d'abord le feu dans le dortoir, puis achèvent les jeunes lycéens à la hache; tandis que la panique gagne tous les présents. « Nous ne savions plus que faire, a raconté par la suite un surveillant. Tout le monde cherchait un coin obscur pour déjouer l'attention des terroristes. Je ne sais même plus qui a mis la sirène en marche ». Selon lui, cette sirène a fait fuir le commando « ou du moins écourté leur acte sanglant ». Six ou sept minutes plus tard les services de sécurité étaient sur les lieux. Ils n'ont pu que constater le massacre : « les cadavres des internes baignaient dans le sang. La plupart s'étaient cachés sous les lits », a précisé le surveillant. Quelques heures plus tard, dix-neuf lycéens âgés de 15 à 18 ans et deux surveillants gisaient à la morgue de Médéa. D'autres, grièvement blessés, étaient soignés à l'hôpital.

«L'Etat algérien existe-t-il encore ?»

Ce massacre est le premier depuis deux ans a être officiellement confirmé par l'agence officielle APS, qui a gardé un silence plus que gêné sur les actes de terrorisme depuis que la politique de « concorde nationale » a été lancée par le président Bouteflika. II a été attribué à un groupe armé appartenant au GIA (Groupe armé islamique) d'Antar Zouabri.

Dimanche 17 décembre, deux autres massacres sont perpétrés. A Tenes (200 kilomètres à l'ouest d'Alger), quinze voyageurs qui se rendent dans le village d'El Marsa, vers 20h, après la rupture du jeûne du ramadan, sont tués par un autre groupe armé qui ouvre le feu sur leur autocar. Une heure plus tard cinq autres personnes, dont trois femmes, sont tuées, à Khemis Miliana (120 kilomètres à l'ouest d'Alger), alors qu'elles se promènent dans les rues de la cité Boutane après la rupture du jeûne.

Depuis le début du ramadan, le 27 novembre, plus de 230 personnes ont péri dans des attentats terroristes, dont une majorité de membres des forces de sécurité et d'islamistes armés. Il s'agit, bien entendu, d'évaluations établies par les journaux.

Ces attentats sont attribués soit au GIA, soit à un groupe rival : le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) de Hassan Hattab. Mais ce qui inquiète le plus, c'est le fait que ces attentats sont apparemment perpétrés en pleine agglomération. Les « cibles » choisies semblent indiquer que leur seul objectif est de semer la terreur et la psychose chez les Algériens, au moment du ramadan, mais aussi que les différents GIA peuvent en même temps narguer ouvertement les autorités politiques et militaires.

D'autre part la presse a révélé dimanche que les forces de sécurité ont riposté de façon inattendue à l'assassinat de neuf gardes communaux, non loin de Jijel, dans l'est du pays, à la suite d'un guet-apens. Toute cette région a été littéralement bouclée par l'armée algérienne et a été l'objet de bombardements intenses par des hélicoptères venus de bâtiments de la marine nationale. Ce qui aurait déjà provoqué la mort d'une vingtaine de terroristes appartenant eux aussi au Groupe salafiste de Hassan Hattab.

Sous le titre « irresponsabilité » le quotidien El Watan se demande le 18 décembre: « l'Etat algérien existe-t-il encore ?Les Algériens sont tués dans l'indifférence du pouvoir. Plus personne ne s'émeut, plus personne ne réagità Nos dirigeants ont apparemment décidé de banaliser le crime islamiste pour pouvoir l'absoudre, comme il le font avec la concorde civileà Au pays de la révolution de la Révolution de Novembre (1954) l'immobilisme est devenu la règle ».

De son côté le quotidien La Liberté se pose de plus en plus de questions sur la « concorde nationale » : « Que reste-t-il finalement de celle-ci, lorsque elle est, au rythme des attentats et des massacres, éclaboussée, chaque jour un peu plus, par le sang des innocents ? Rien ou si peu. Les processions vers les cimetières pour enterrer les victimes du terrorisme n'ont pas cessé. La mort violente continue à faucher, aux quatre coins du pays, des citoyens anonymes et de valeureux éléments des forces de sécurité. Pendant ce temps, alors que faux barrages, explosions de bombes et autres "descentes punitives" se multiplient, le discours officiel û à tous les niveaux û se veut, avec une insistance qui frise l'indécence, une invite au pardon et à l'oubli. »



par Elio  Comarin

Article publié le 18/12/2000