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Angolagate

Corruption : les riches sur la sellette

La lutte contre la corruption et la recherche de la transparence, conditions imposées de l'aide au développement, ne sont plus l'apanage des pays pauvres. Les pays occidentaux, principaux bailleurs de fonds, sont aujourd'hui eux-mêmes sur la sellette, sous la pression le plus souvent d'un pouvoir juridique indépendant de l'exécutif.

La communauté internationale vient de franchir un nouveau pas dans la guerre contre le crime organisé et le blanchiment de l'argent sale en signant, à la mi-décembre, sous les auspices de l'Onu, une convention à Palerme, en Sicile, fief de la mafia italienne. L'appartenance à un groupe criminel organisé, le blanchiment, la corruption et l'entrave au bon fonctionnement de la justice sont désormais considérés comme des délits universels, selon ce texte qui vise à renforcer la justice internationale à l'heure de la mondialisation économique. La nouvelle convention fait notamment suite à la croisade anti-corruption dans le monde des affaires, lancée depuis la fin de la guerre froide par des organisations comme l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui n'hésitent plus à mettre en cause les « paradis fiscaux » quels qu'ils soient.
Après les scandales financiers en Italie, où de « petits juges » ont ébranlé le pouvoir politique, l'Allemagne et la France ont à leur tour été épinglées dans des « affaires ». Des commissions occultes liées à l'achat, par le groupe pétrolier français Elf, d'une raffinerie dans l'ex-Allemagne de l'Est ont ainsi provoqué la déchéance de l'ex-chancelier, Helmut Kohl, au sein de son parti démocrate-chrétien. En France, plusieurs affaires ont éclaté, dont certaines liées à l'Afrique, éclaboussant la droite comme la gauche.

« Quelles sont vos relations avec le marchand d'armes Falcone ? »

La dernière en date concerne des ventes d'armes à l'Angola, qui mettent en cause non seulement les trafiquants eux-mêmes mais aussi des personnalités politiques de tous bords, entendues pour le moment comme témoins. Parmi elles, l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, dont le bureau et le domicile ont été perquisitionnés, Jean-Christophe Mitterrand, le fils de l'ancien président socialiste et responsable de la cellule africaine de l'Elysée jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, Jacques Attali, ancien conseiller du président, et Jean-Charles Marchiani, un député européen, ex-préfet, proche de Pasqua, ont également été interrogés. Marchiani est connu, notamment, pour le rôle qu'il avait joué dans la libération des otages français au Liban, avec l'ancien ministre de la Coopération Michel Roussin, lui-même impliqué dans une affaire purement française de commissions pour le financement de partis politiques.
Les témoins ont été interrogés sur leurs relations avec l'homme d'affaires et marchand d'armes franco-brésilien Pierre Falcone, arrêté depuis le début du mois de décembre, et son partenaire russe Arkadi Gaïdamak, qui est désormais sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Les deux hommes, proches de la présidence angolaise, faisaient depuis plusieurs années l'objet d'un redressement fiscal à la suite des ventes d'armes de fabrication russe à travers des sociétés écrans en 1993 et 1994, au moment où le gouvernement angolais avait un besoin urgent de matériel militaire après la reprise de la guerre civile.

Quand Tarallo et l'affaire Elf refont surface

Le dossier angolais a resurgi en juillet dernier, à l'occasion d'une autre affaire impliquant l'avocat des deux marchands d'armes et hommes d'affaires, chargé de les défendre contre le fisc. Falcone, qui a été mis en examen pour commerce illicite d'armes et fraude fiscale, avait travaillé pour la Sofremi, une agence de ventes d'armes de l'Etat français dépendant du ministère de l'Intérieur, à l'époque où celui-ci était dirigé par Pasqua. Selon les enquêteurs et des sources angolaises informées, c'est Jean-Christophe Mitterrand qui aurait mis Falcone en contact avec Luanda ; celui-ci nie avoir tiré profit de ses relations avec l'homme d'affaires franco-brésilien. L'Angola, qui n'est pas en cause dans l'affaire, a déjà été au centre du scandale qui a éclaté en juillet 2000 à la suite du témoignage, devant la justice française, d'André Tarallo, l'ancien « monsieur Afrique » du groupe Elf.
L'homme avait affirmé que pendant plus de vingt ans, des commissions ont été versées à des dirigeants des pays producteurs de brut autour du Golfe de Guinée û Angola, Gabon, Congo, Cameroun et Nigeria. Ces révélations avaient été faites dans le cadre de l'enquête toujours en cours sur les activités de Elf, qui a depuis fusionné avec le groupe TotalFina. Elf était devenu, au fil des ans, un véritable Etat dans l'Etat en Afrique francophone, en particulier au Gabon et au Congo Brazzaville, où se côtoyaient anciens diplomates, agents des services secrets français et pétroliers. Véritable empire politico-économique, Elf a été gangrené de l'intérieur, permettant à un groupe de travailler pour son propre compte sous la direction d'Alfred Sirven, actuellement en fuite et contre lequel a également été lancé un mandat d'amener international.
Toutes ces affaires, y compris l'enquête sur les commissions perçues sur les contrats pour la rénovation des lycées de l'Ile de France et distribuées aux partis politiques de droite comme de gauche û dans laquelle Michel Roussin, proche collaborateur à l'époque de l'actuel président Chirac, tient la vedette û, sont suivies de près par les Africains qui se sont longtemps senti seuls accusés de corruption. « Pour danser le tango il faut être deux, corrupteur et corrompu », soulignait un éditorialiste de la presse indépendante angolaise au moment des révélations de Tarallo sur les pots de vin distribués par Elf.



par Marie  Joannidis

Article publié le 21/12/2000