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Bioéthique

<i>«La loi est indispensable»</i>

Autorisation de la recherche sur l'embryon humain, loi sur l'euthanasie aux Pays-Bas, prolongation du délai de l'interruption volontaire de grossesse, création du «Collectif des parents contre l'handiphobie» : les questions éthiques sur les limites de la science et de la médecine se posent avec de plus en plus d'acuité. Dans un récent sondage publié par Le Monde les Français manifestent à la fois leur intérêt et leurs craintes. Ils font bien davantage confiance aux scientifiques qu'aux responsables politiques pour fixer les bornes de la morale en ce domaine. Telle n'est pas l'opinion de Alain Etchegoyen, philosophe, membre du Comité national consultatif d'éthique et auteur, notamment, de «La valse des éthiques» (éd.Pocket-Agora), pour qui le dernier mot doit rester à la loi.
RFI : Qui, des scientifiques, des politiques ou autres doivent, selon vous, fixer les règles éthiques de la recherche?

Alain Etchegoyen : «La méfiance que les Français éprouvent vis-à-vis des politiques ne doit pas leur faire surévaluer la capacité des scientifiques à fixer les règles éthiques de la recherche. En effet, surtout en ce qui concerne le vivant, des marchés très importants sont en jeu et les scientifiques ou médecins n'y échappent pas. Les exemples récents du sang contaminé, des hormones de croissance contaminées, ou de la fécondation in vitro sont assez explicites. Sur ces deux derniers cas, des techniques à objets thérapeutiques très louables, la lutte contre le nanisme ou contre la stérilité, ont été dévoyées par des marchés juteux. La loi est indispensable dans ce domaine et la loi est votée par les parlementaires. Les clivages politiques sont moins simplistes sur les questions qui concernent le vivant : ils restent plusieurs mois pour débattre d'enjeux qui concernent l'humanité. Si nos élus parviennent à se mobiliser en dehors d'enjeux électoraux, en dehors de vaines polémiques, la fonction politique gagnera en dignité : c'est indispensable pour la démocratie, c'est-à-dire pour les citoyens.»

RFI : Quelle est la place du Comité national consultatif d'éthique dans ce cadre?

A.E. : «Ce Comité est consultatif. Il donne des avis quand il est saisi d'une question. Composé de scientifiques mais aussi des principales familles spirituelles, de philosophes, de médecins, de sociologues, il travaille sur la base de débats ouverts et longuement mûris. Il est très normal qu'il ne soit pas une instance de décision : il éclaire le législateur mais ne légifère pas.»

RFI : Comment analysez-vous le regain d'intérêt actuel pour les questions éthiques portant sur la vie et la mort, notamment la protestation de parents de handicapés contre l'arrêt récent de la Cour de Cassation accordant des indemnités à un enfant né handicapé ?

A.E. : «Tout ce qui concerne les enfants passionne les hommes et les femmes. Je comprends la réaction des parents de handicapés : ils ont le sentiment qu'on voudrait que leurs enfants n'existent pas. Nous courons le risque d'une société intolérante, obsédée par la normalité. Les pressions sont nombreuses, sociales et économiques. En France, les assurances ont adopté une sage position mais les Anglais les ont autorisées à exiger une analyse génétique dans un certain nombre de cas. La pression est de plus en plus forte et l'Europe jouera un rôle décisif car si les législations ne sont pas harmonisées nous assisterons aux mêmes «migrations» qu'à propos de l'IVG quand celle-ci n'était pas permise en France. La conjugaison d'une certaine idéologie du progrès et d'un marché très porteur est grosse de dangers qui
ont de quoi inquiéter. La sensibilité que nous voyons croître à propos des problèmes d'environnement est encore plus grande quand les enfants, c'est-à-dire l'humanité, sont en jeu.»



par Propos recueillis par Francine  Quentin

Article publié le 03/12/2000