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Racisme

Dakar et Abidjan font tomber la fièvre

Trois jours après les propos controversés du président Wade sur la situation des étrangers en Côte d'Ivoire, les dirigeants sénégalais parlent de «malentendu», tandis que le gouvernement ivoirien appelle au calme.
Le président sénégalais se doutait-il du tollé qu'allaient provoquer ses propos dans une Côte d'Ivoire convalescente? En déclarant, lundi à Dakar, lors d'une conférence contre le racisme, qu'«un Burkinabé subit en Côte d'Ivoire ce qu'un Noir ne subit pas en Europe», Abdoulaye Wade a provoqué, à Abidjan, une brusque poussée de fièvre anti-sénégalaise qui a failli tourner à la crise diplomatique. Au point que les autorités des deux pays s'efforcent à présent de calmer le jeu en multipliant les déclarations apaisantes.

A peine Abdoulaye Wade avait-il prononcé son discours, qu'une partie de l'opinion ivoirienne, relayée par la presse, criait à la provocation, dénonçant l'«irresponsabilité» du chef de l'Etat sénégalais. Mercredi matin, les gros titres de plusieurs journaux le prenaient pour cible. «Abdoulaye Wade insulte la Côte d'Ivoire. Les divagations d'un président dépassé», proclamait Notre Voie, le quotidien du FPI du président Laurent Ggagbo. Le journal gouvernemental Fraternité Matin dénonçait «Le danger Wade», ainsi qu'un «discours irresponsable et susceptible d'attiser les tensions inutiles entre Etats africains». Le National, proche de l'ancien président Bédié, publiait une large photo du président sénégalais avec la légende «Cet homme est dangereux pour la paix en Afrique».

«Rien ne peut opposer nos deux pays»

Parallèlement, quelque 500 personnes manifestaient devant l'ambassade du Sénégal à Abidjan, dans le quartier administratif du Plateau, scandant des slogans hostiles à Wade et brandissant des pancartes «Wade vilain», ou «La Côte d'Ivoire n'est pas la Casamance». Le rassemblement n'a pas dégénéré. Seuls quelques groupes de jeunes manifestants ont ensuite pris la direction du marché du Plateau, proclamant ouvertement leur intention de s'en prendre aux nombreux commerçants sénégalais qui y sont installés. Mais ces derniers avaient prudemment fermé boutique, et face à un marché où ne subsistait qu'une présence policière, les derniers manifestants se sont dispersés en proférant des menaces contre «les étrangers».

Peu après cette manifestation, le ministère ivoirien de l'Intérieur lançait, par la voix de son directeur de cabinet, un «appel au calme» dans le journal télévisé de la mi-journée. «Il ne sert à rien de s'attaquer aux populations étrangères, et sénégalaise en particulier, qui ne sont pas du tout responsables des déclarations de leur chef d'Etat». Le haut fonctionnaire a appelé les Ivoiriens «à ne pas céder à la provocation, car c'est bien ce que cherchent les ennemis de notre pays pour faire en sorte que la Côte d'Ivoire donne l'impression d'un pays qui n'est pas gouverné. Il ne faut pas que nos compatriotes tombent dans ce piège. Le gouvernement s'est déjà saisi de ce problème et le traite à un haut niveau».

De fait, les contacts intenses entre Dakar et Abidjan témoignent de la volonté partagée de désamorcer la crise. Le Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse révélait, dans la soirée, une conversation téléphonique avec le président Gbagbo. Quelques heures plus tôt, en clôture de la même conférence de Dakar où Abdoulaye Wade avait prononcé son discours si controversé, Moustapha Niasse avait plaidé en faveur de l'intégration sous-régionale africaine et proclamé, sous les applaudissements, que «la Côte d'Ivoire a sa place dans cet espace-là». Tout en rappelant les liens qui l'unissent au président ivoirien, le Premier ministre sénégalais a également affirmé avec insistance que «rien ne peut opposer ces deux pays d'Afrique de l'Ouest».

Dans l'après-midi déjà, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, avait déclaré que «s'il y a deux gouvernements qui sont amis dans la sous-région, ce sont les gouvernements ivoirien et sénégalais», qualifiant les propos du président Wade de «sans malice et sans malveillance», et les décrivant comme «ceux d'un intellectuel» qui tente de provoquer la «discussion». Le ministre a proclamé le soutien du Sénégal aux efforts de réconciliation en Côte d'Ivoire, multiplié les déclarations amicales envers le peuple ivoirien, et exprimé ses vifs regrets pour ce qui ne peut être, à ses yeux, qu'un «malentendu». Enfin, pour prévenir tout risque de dérapage xénophobe, il a fermement démenti les rumeurs courant à Dakar sur la mort de deux Sénégalais à Bouaké, au centre de la Côte d'Ivoire, tout en affirmant «sa conviction que l'Etat ivoirien garantira la sécurité des ressortissants sénégalais».



par Philippe  Quillerier-Lesieur (avec AFP)

Article publié le 25/01/2001