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Trafic d'armes

Le règne des marchands de mort

L'Afrique est devenue le terrain privilégié des trafiquants d'armes. Ils sont le plus souvent liés au commerce du diamant et du pétrole, attirés par un marché où ils opèrent quasiment sans contrôle, grâce à des complicités locales. L'affaire Falcone-Mitterrand-Gaydamak a pour la première fois révélé au grand jour les liens occultes entre marchands d'armes et milieux politiques. Mais elle intervient aussi alors que les Nations Unies elles-mêmes ont décidé pour la première fois de pointer nommément du doigt les responsables de ces trafics.
La scène se déroule à Milan début août 2000. Dans la plus grande discrétion, la police italienne interpelle Leonid Minin, un «businessman» israélien d'origine ukrainienne. L'information de son arrestation, révélée par le quotidien belge le Soir, passe alors inaperçue. L'homme est pourtant soupçonné d'être l'un des parrains de la mafia ukrainienne. Minin a effectivement un curriculum vitae bien rempli. Selon un récent rapport d'une commission d'enquête des Nations Unies, il est fiché dans un grand nombre de pays européen pour toutes sortes d'activités criminelles allant du crime organisé en Europe de l'est, au trafic d'oeuvres d'art volées, en passant par le commerce illégal d'armes et le blanchiment d'argent sale. Mais il était aussi un proche et un partenaire de Charles Taylor, chef de guerre devenu président du Liberia en 1997. Recherché par les polices européennes, Minin avait trouvé «asile» à Monrovia, la capitale, en 1996, où il a activement participé à la fourniture d'armes aux rebelles sierra-léonais du RUF (Front révolutionnaire uni). Selon les enquêteurs des Nations Unies, il aurait notamment vendu un avion à Taylor, censé assurer ses déplacements officiels, mais qui aurait également servi à transporter du matériel militaire destiné au RUF.

En ce début de millénaire en Afrique subsaharienne, le cas de Leonid Minin est presque banal. Son originalité serait plutôt de n'avoir pas échappé à la police. Une myriade de personnages tout aussi troubles ont trouvé dans cette partie du monde un terrain idéal pour exercer leurs activités en toute tranquillité avec la complicité de certains chefs d'Etats. En 1997, le chercheur français Jean-François Bayart fut l'un des premiers à s'en alarmer dans un rapport et dans un ouvrage sur la «criminalisation de l'Etat en Afrique». Ses inquiétudes se sont confirmées. La récente affaire Falcone-Mitterrand, qui a révélé un trafic d'armes avec l'Angola, a dévoilé une face particulièrement sombre des relations entre la France et l'Afrique. Mais elle a aussi confirmé l'ampleur du développement de la criminalité internationale et notamment du commerce d'armes à grande échelle dans plusieurs régions d'Afrique. La déliquescence de l'Etat dans certains pays, voire la complicité de leurs dirigeants, a permis à des réseaux mafieux - notamment russes, ukrainiens et israéliens d'étendre leurs activités au continent noir, quitte à traiter avec des intervenants déjà bien implantés, notamment libanais et sud-africains.

La filière burkinabé

En publiant l'année dernière deux rapports explosifs sur l'Angola et la Sierra Leone, les Nations Unies ont pour la première fois nommément mis en cause des acteurs clé du commerce illégal de diamants et d'armes qui alimente deux des plus sanglants conflits qu'ait connu le continent. Publiés en décembre 2000, les résultats des investigations de l'ONU sur la Sierra Leone sont particulièrement éloquents. Outre la confirmation du soutien de Charles Taylor au RUF, un mouvement qu'il a quasiment créé, le rapport détaille les filières qui ont permis d'alimenter les rebelles en armes et en désigne plusieurs responsables. Parmi eux, Leonid Minin, mais aussi Victor Bout, ancien agent russe du KGB qui verse dans la vente d'armes aux pays sous embargo, dont l'Angola et la République démocratique du Congo. Plusieurs de ses avions cargo - il dispose d'une véritable flotte - ont acheminé du matériel lourd (hélicoptères MI-2 ert MI-17), venu d'Europe centrale et d'Asie centrale, au Liberia, entre juillet et août 2000. Manifestement, Bout, à la tête d'un véritable petit empire, n'a pu acheminer une telle quantité d'armes sans complicité.

Le rapport des Nations Unies évoque, parmi beaucoup d'autres, le cas d'une cargaison de 68 tonnes d'armes arrivées à Ouagadougou le 13 mars 1999. D'après le gouvernement ukrainien, elle auraient été livrées dans le cadre d'un contrat conclu entre une société basée à Gibraltar représentant le ministère de la Défense du Burkina Faso et une société d'Etat ukrainienne, Ukrspetsexport. Selon un document signé du chef de la garde présidentielle burkinabé, le lieutenant-colonel Gilbert Diendéré, la destination finale du «colis» était officiellement l'ex-Haute Volta. En réalité, elle aurait été transportée par camion à Bobo-Dioulasso avant d'aboutir au Liberia.

Depuis la publication du rapport, le président Compaoré, déjà mis en cause pour ses liens avec les rebelles angolais de l'UNITA, a nié toute implication de son pays dans ce trafic et dans le conflit sierra-léonais. Mais en annonçant le renforcement des contrôles dans les aéroports de son pays, il a implicitement reconnu que des armes ont pu transiter par son territoire.

«Vedettes» et comparses


Le business des armes en Afrique, la plupart du temps lié à celui des diamants ou du pétrole, associe une multitude d'acteurs, des plus célèbres aux plus discrets. Il a ses «vedettes», Arcadi Gaydamak, Victor Bout, Pierre Falcone, et incidemment Charles Taylor. Il a aussi ses hommes de l'ombre, comme l'homme d'affaire Libanais Talal El-Ndine, un homme clé de l'entourage du président libérien, qui servirait, entre autre, d'interface avec les marchands d'armes et se chargerait d'attirer les investisseurs. On y rencontre également d'ancien militaires sud-africains, tel que Fred Rindel, qui fut attaché militaire à Washington avant d'entraîner les Unités anti-terroristes libériennes, constituées d'anciens rebelles et de ressortissants sierra-léonais, burkinabés, nigériens ou gambiens ; mais aussi des hommes d'affaires véreux comme Sanijavan Ruprah, un Kenyan d'origine indienne, qui a longtemps travaillé pour la société d'exploitation minière Branch Energy, liée à la société de mercenaires sud-africains Executive Outcomes. La liste est longue et non exhaustive.

Les intervenants ont beau être nombreux, les filières sont souvent les mêmes. Hormis la forte quantité d'armes qui circulent depuis de longues années au gré des conflits ou celles saisies régulièrement par les mouvements rebelles sur les troupes gouvernementales - notamment en Sierra Leone, en Angola et en RDC - il y a des constantes. L'Ukraine et la Bulgarie sont régulièrement citées comme les principales sources d'approvisionnement, de même que plusieurs autres pays de l'ancien bloc soviétique. Quant aux lieux de transit, compte tenu de la faiblesse des contrôles dans un grand nombre d'états africains, ils sont nombreux. Dans le cas des armes destinées à la Sierra-Leone, le Burkina Faso n'est pas le seul cité. Le nom de la Côte d'Ivoire, dont l'ancien chef de junte Robert Gueï est un proche de longue date de Charles Taylor, revient à plusieurs reprises dans le rapport de l'ONU. En dehors de l'Afrique, les Emirats arabes unis, jouent un rôle crucial en raison du laxisme de leur législation sur les compagnies aériennes. Un grand nombre de petites compagnies aériennes servant au transport de matériel militaire, y sont basées, dont celle de Victor Bout.

A l'évidence, un large part de ces trafics ne peut que continuer, faute de volonté politique dans un grand de nombre de pays. Mais la publication des deux récents rapports de l'ONU sur l'Angola et la Sierra Leone, et surtout le scandale suscité par l'affaire Falcone en France, dans laquelle on retrouve Jean-Christophe Mitterrand, fils de l'ancien président français, prouve qu'il existe des failles dans lesquelles la justice peut s'engouffrer. L'enquête des juges français a provoqué un véritable électrochoc dans la mesure ou les noms d'autres personnalités de premier plan, tel l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, son homme de main Jean-Charles Marchiani ou l'ex-conseiller de François Mitterrand Jacques Attali, ont été évoqués. Elle pourrait aussi encourager la justice à faire la lumière sur d'autres dossiers sombres, comme celui du Congo-Brazzaville, déchiré à plusieurs reprises par une sanglante guerre civile, qui a abouti en 1997 au retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso.



par Christophe  Champin

Article publié le 05/02/2001 Dernière mise à jour le 25/08/2010 à 14:35 TU