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Défense

Le projet de bouclier antimissiles américain fait des vagues

Un peu partout dans le monde, c'est l'inquiétude. Le projet américain de déploiement d'un bouclier antimissiles NMD (National Missile Defence), censé protéger le territoire des Etats-Unis contre une attaque venant de l'extérieur, fait resurgir les vieilles peurs héritées de la « guerre froide ». Mis entre parenthèses par l'administration Clinton, ce projet pourrait voir le jour sous la présidence Bush. Peut-être d'ici à 2 005. Il risquerait alors de compliquer les relations transatlantiques et inciter certains Etats à s'armer davantage, réduisant à néant bien des efforts en matière de désarmement.
Pour une première sortie, c'était réussi. Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense, était le premier membre de l'administration Bush à avoir risqué son nez hors des frontières des Etats-Unis. Venu, début février à Munich pour participer à une Conférence sur la sécurité européenne, il s'est aussitôt heurté à ses homologues européens. Accompagné d'Henri Kissinger, ancien chef de la diplomatie sous les présidents Nixon et Ford, de Richard Burt et de Richard Perle, deux anciens experts de l'administration Reagan, Donald Rumsfeld avait pour mission de tâter le terrain en défendant le plan de bouclier antimissiles NMD (National Missile Defence) que les Etats-Unis entendent mettre au point pour protéger le pays d'attaques éventuelles provenant des « Etats-voyous » (rogue States), comme la Corée du Nord, l'Iran ou l'Irak. Donald Rumsfeld connaît bien le dossier : depuis des années, il est un ardent défenseur de ce projet de bouclier. En 1998, il révélait, dans un rapport qui porte son nom, que quelque vingt-cinq pays dans le monde avaient déjà déployé ou étaient soupçonnés de préparer des armes de destruction massive (ADM) dont la portée - plusieurs milliers de kilomètres û est assimilée à un risque majeur pour la sécurité internationale. Il avait très vite conclu à l'existence d'une menace balistique globale et à la nécessité de lui opposer une défense antimissile, présentée comme la panacée.

Aux Etats-Unis, l'idée d'un bouclier antimissiles n'est pas nouvelle. On se souvient de la fameuse « Guerre des Etoiles » (IDS) chère à Ronald Reagan dans les années 80 (un système de missiles lancés depuis l'espace et capables d'anéantir les milliers de têtes russes). Finalement, le projet avait dû être abandonné parce qu'il coûtait trop cher et qu'il subissait des échecs constants lors des tests effectués. Mais les Américains n'en démordent pas : il faut coûte que coûte imaginer un autre bouclier, même plus modeste, pour protéger le pays. Et qu'importe l'avis de certains hauts responsables de l'armée de l'air qui craignent que les investissements nécessaires à cette nouvelle panoplie ne soient prélevés sur les crédits alloués à la modernisation des forces aériennes. Et qu'importe l'hostilité de la plupart des scientifiques américains envers toute innovation, car ils se sentent responsables du développement des armes nucléaires et qu'ils veulent les faire disparaître.

Entre lobbies industriels et influence stratégique

Aux Etats-Unis même, il existe maintenant un réel sentiment de vulnérabilité vis-à-vis des Etats « trublions », dont les dirigeants seraient insensibles à la logique de la dissuasion nucléaire. D'une manière générale, la menace NBC (nucléaire, biologique et chimique) est prise très au sérieux en Amérique. Mais qui est concerné en réalité ? La menace nord-coréenne est encore hypothétique et même fortement contestée par certains experts. En revanche, le modeste système balistique chinois actuel pourrait être contré efficacement par la NMD. Il pourrait en être de même pour la Russie si les contraintes économiques conduisaient à une trop forte réduction de son arsenal balistique stratégique. En fait, ce projet est soutenu vigoureusement par les lobbies industriels, car la NMD offre aux Etats-Unis un projet fédérateur, une nouvelle frontière technologique qui leur permettra de rester à la pointe du progrès scientifique et de garder une large avance sur les autres pays. Enfin les Etats-Unis estiment les TMD indispensables pour garantir les équilibres stratégiques dans les zones à risques et y conserver leur influence : Asie (Japon, Corée, Taïwan), Moyen-Orient et Europe.

De part le monde, le projet américain suscite bien des questions et inquiète. A Moscou, on considère que ce projet risque de détruire l'équilibre de la dissuasion. Pour Vladimir Poutine, ce projet est un « remède pire que le mal ». Côté français, Jacques Chirac, de passage à Ottawa fin décembre, a rappelé que Paris et les autres capitales européennes étaient « plus que réservées » sur cette initiative qui risque de « relancer fortement la prolifération » dans le monde et remettre en cause le traité antimissile balistique (ABM) de 1972, signé entre les deux « Grands ». La Chine, qui craint que le bouclier protège Taïwan contre ses fusées, s'apprêterait à imaginer d'autres types d'armes. En Europe, d'une manière générale, on redoute que ce projet mine les relations de l'Ouest avec Moscou et renforce la ligne dure au sein du pouvoir chinois.

On le voit : la NMD provoque un vif débat entre les Etats-Unis et leurs Alliés quant à l'opportunité de ce futur bouclier antimissiles, et surtout quant à l'appréciation de la nature des menaces. Certains reprochent aux Américains d'exagérer la menace coréenne, et de ne pas tenir compte des avancées diplomatiques. Pourtant, la Corée du Nord poursuit les essais au sol de son missile, ce qui constituerait une menace, à terme, pour l'Amérique. En outre, elle fournit l'Iran et d'autres pays. Quant à la Libye, elle chercherait à se doter de missiles de plus longue portée.



par Pierre  DELMAS

Article publié le 09/02/2001