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Tchad

Habré ne sera pas jugé au Sénégal

La justice sénégalaise n'est pas compétente pour juger l'ancien président tchadien Hissène Habré, accusé de «complicité d'actes de torture», a estimé à Dakar la Cour de cassation. Cette décision a provoqué la colère des victimes et des défenseurs des droits de l'homme.
«Les juridictions sénégalaises sont incompétentes pour connaître d'actes commis par des auteurs présumés à l'extérieur du Sénégal». La Cour de cassation a rendu ainsi, mardi 20 mars, le même avis que la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar en juillet 2000. Cette décision est définitive, elle n'est pas susceptible d'appel, et elle met donc un terme à toutes les poursuites engagées depuis le 25 janvier dernier par sept victimes de sévices commis durant le régime de l'ancien homme fort de N'Djamena. Le dictateur dêchu, âgé aujourd'hui de 58 ans, et qui vit en exil à Dakar depuis sa chute en décembre 1990, ne sera donc plus inquiété par la justice sénégalaise.

Aussitôt connue, la décision a suscité la colère chez les victimes et leurs représentants, qui se disent «indignés, frustrés, et déçus». Ils ont affirmé qu'ils allaient entamer des démarches pour que l'ancien président soit jugé ailleurs qu'au Sénégal, pays contre lequel ils ont en outre l'intention de porter plainte devant les Nations unies. Les avocats des victimes estiment que le Sénégal n'a pas respecté les engagements découlant de l'adhésion aux traités internationaux, en particulier la Convention de 1984 contre la torture. Ce texte, selon eux, aurait dû permettre aux tribunaux sénégalais de juger Hissène Habré, même si les crimes qu'on lui impute ont été commis en dehors du pays.

Les défenseurs des victimes dénoncent des pressions politiques

«Ce verdict n'arrêtera pas les victimes dans leur quête de justice», a promis Reed Brody, directeur adjoint de Human Rights Watch (HRW), au cours d'un point de presse à Dakar. Quant à la fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), elle estime que le Sénégal est devenu «un sanctuaire pour chefs d'Etat criminels». La Rencontre africaine des droits de l'homme (RADDHO), organisation basée à Dakar, a exprimé son «indignation», en s'inquiétant «du processus de domestication des institutions sénégalaises en cours sous le nouveau régime» en place depuis avril 2000.

Selon les plaignants, Hissène Habré et sa police politique sont responsables de la mort de milliers de personnes, mortes en détention, torturées ou exécutées en huit ans de pouvoir. Des milliers d'autres sont toujours portées disparues. Expliquant ce qui constitue, à leurs yeux, un déni de justice, les porte-parole des victimes ont évoqué des pressions politiques. Déjà, après la décision de la Cour d'appel en juillet dernier, la partie civile avait dénoncé l'ingérence du pouvoir politique sénégalais dans les affaires judiciaires, rappelant que Madické Niang, avocat d'Hissène Habré, était aussi conseiller juridique du président de la République Abdoulaye Wade. Le défenseur de l'ex-président a estimé, au contraire, que la décision de la Cour de cassation était «une victoire de la justice sénégalaise», en se félicitant du fait que «la recolonisation par les droits de l'homme n'ait pas prospéré au Sénégal».



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 21/03/2001