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Ukraine

«<i>L'Ukraine et l'Europe dansent le tango</i>»

Trois questions à Lionel Stoleru, ancien ministre français, professeur d'économie, et ancien conseiller économique du président ukrainien.
RFI : Le parlement ukrainien vient de voter une résolution condamnant le gouvernement du libéral Viktor Iouchtchenko, au moment où Javier Solana, le «monsieur politique étrangère» de l'Union européenne était à Kiev. Est-ce un coup d'arrêt à la politique ukrainienne d'ouverture vers l'Europe ?
Lionel Stoleru : Je pense plutôt qu'il s'agit de rapports de forces politiques entre le parlement et le président. Ce dernier traverse une passe difficile, compte tenu notamment des atteintes à la liberté de la presse, pour dire les choses en termes modérés. Ce sont des manifestations de politique interne qui n'ont rien à voir avec les options extérieures. En Ukraine, le parlement n'a pratiquement aucun pouvoir, donc ce débat est tout à fait accessoire par rapport à ces questions. C'est le président, en liaison avec la Russie, qui choisit son orientation de politique étrangère.

RFI : Comment définiriez-vous les relations entre l'Ukraine et l'Europe ?
LS : C'est un tango à deux personnages où chacun fait autant de pas en arrière qu'en avant. Du côté européen, la question centrale, qui est «jusqu'où va l'Europe?», n'a jamais été tranchée, sauf par quelques déclarations d'opportunité ici et là, pour dire que l'Ukraine fait partie de l'Europe, ou bien au contraire qu'elle n'en fait pas partie. Dans le processus d'élargissement de l'Europe, il y a deux points d'interrogation, la Turquie et l'Ukraine, le reste de l'Europe étant à peu près bien définie. Ce sont deux questions politiques majeures. Examinons l'Ukraine, le cas qui nous intéresse. L'Ukraine fait partie de l'Europe, puisque quand on se promène à Kiev, il est évident qu'il s'agit d'une ville européenne. On ne voit pas la différence avec Budapest ou avec d'autres villes qui font partie de la civilisation européenne. Le problème est plutôt de savoir si l'Ukraine est liée à la Russie au point de rester dans l'orbite future de Moscou, ou bien si elle a vocation a rejoindre l'Europe. Là dessus, les chefs d'Etat européens ne se sont jamais prononcés.

RFI : Et l'attitude de l'Ukraine ?
LS : Eh bien le tango se danse à deux, et du côté ukrainien c'est la même indétermination. A l'époque où j'étais conseiller du président ukrainien, j'ai préparé, au début des années 90, le premier accord de coopération entre l'Europe et l'Ukraine. Il a été signé à Bruxelles par Léonid Kravtchouk et Jacques Delors, le président de la Commission européenne. C'était le premier accord entre l'Union européenne et une des quinze républiques de l'ancienne URSS, après que le bloc soviétique eut implosé en 1992. Le souhait de Kravtchouk, c'était un statut d'association. Quand Léonid Kourchma a été élu, il a fait un pas de plus. Il a déclaré, à Paris, et à la surprise générale, que l'Ukraine voulait entrer dans l'Otan. Cela, vraiment, on ne s'y attendait pas. Quant à l'Europe, il a déclaré officiellement que son pays était candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Donc tout le monde a considéré que Kiev, avec la bénédiction de Boris Elstine, entamait un virage vers l'Europe.
L'arrivée de Poutine au Kremlin, puis la mauvaise évolution du régime Koutchma après sa réélection en 1999 font qu'aujourd'hui les choses sont beaucoup moins claires. Les relations avec la Russie sont maintenant plus étroites. Poutine et Koutchma ont des intérêts politiques communs qui font que, face à leurs opposants, ils font front commun, et étant politiquement dans un même combat, les relations géostratégiques en découlent. Résultat: Koutchma n'a pas renouvelé, récemment, les déclarations qu'il a faites il y a quatre ans, quand il disait clairement «nous voulons faire partie de l'Union européenne». Nous sommes donc en plein tango, et personne, ni d'un côté ni de l'autre, ne souhaite répondre à la question de l'entrée de l'Ukraine dans l'Europe.



par Propos recueillis par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 20/04/2001