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Festival d''Avignon

Dansons sur le pont

Avignon, c'est bien sûr du théâtre comme s'il en pleuvait (plus de 600 spectacles, cette année, pour le seul festival «off»). Mais c'est aussi de l'opéra, du cirque, du café-concert, du mime et, bien sûr, de la danse. Avec Les mariés de la tour Eiffel, le Français Vincent Colin ébouriffe Cocteau et fait souffler une brise d'air frais dans le théâtre municipal de la cité des Papes.
De notre envoyée spéciale à Avignon

Un grand bol d'air frais dans la moiteur de la nuit avignonnaise, une poignée d'étincelles jetées aux yeux si vite blasés des festivaliers, des vitamines pour le c£ur et l'esprit : autant le dire tout de suite, cette adaptation des Mariés de la tour Eiffel, pièce déclarée «inmontable» par son auteur lui-même, le génial Cocteau, est un (im)pur moment de bonheur.

Impur à plus d'un titre, puisque Vincent Colin, qui fut directeur de compagnie, puis patron du théâtre des Arts de Cergy Pontoise (où il monta entre autres Monsieur Jourdain au Tonkin) et aujourd'hui, du Centre d'Art dramatique de l'Océan Indien (Saint-Denis de la Réunion), a choisi de faire cohabiter l'orchestre de la Réunion ûqui joue la musique originale de la pièce : Milhaud, Honegger, Poulenc, Auricà- avec le ballet de Namibie. Le résultat est au-delà de tout ce qu'on pouvait espérer. La pièce de Cocteau conte, dans une veine surréaliste, l'histoire d'un groupe d'Africains (la mère, le père, les deux mariés et un général septuagénaire) qui décident de célébrer leur noceà sur la Tour Eiffel. Panique du directeur de la dite tour, qui finit pourtant par mettre les petits plats dans les grands. Mais voilà qu'un photographe s'invite et détraque tout : chaque fois qu'il dit «Le petit oiseau va sortir», c'est une autruche, une vraie, en chair et en plumes, qui sort de l'appareil.

L'argument est mince, mais c'est sans compter sur la verve inouïe de Cocteau qui, à partir de ce qui ressemble plus à un conte enfantin qu'à un spectacle pour adultes s'emploie en magicien malicieux à mettre en pièces la machine narrative. Du coup, les histoires prolifèrent, les personnages aussi, puisque du capharnaüm qui s'ensuit vont débouler sur scène un lion, une jolie cycliste en jupe culotte très Années Folles, un tueurà Mais ce que Cocteau s'emploie par dessus tout à détraquer (et il le fait avec une verve, un bonheur, une malice sans égales), c'est la machine à (bons) mots. Ainsi, lorsque le père prononce l'oraison funèbre du général, tué par le lion (il faut bien que ces bêtes-là s'alimentent), cela donne en substance : «Son courage était légendaire. Il ne se rendit jamais, même pas à l'évidence». Si l'on ajoute à cela que les danseurs namibiens, aériens, gracieux, corps poétiques et burlesques tout à la fois, sont absolument fabuleux, on aura compris que Les mariés de la tour Eiffel sont l'un des spectacles les plus roboratifs de ce festival.

Côté off, la danse aussi est à l'honneur avec Shakti, une Japonaise qui propose un spectacle construit autour de la danse indienne (mais pas seulement). Shakti n'est pas seulement une danseuse exceptionnelle, mais aussi une comédienne tout-terrain. Dans une salle minuscule de l'hôtel Méridien, à quelques rues du Palais des Papes, dans les vapeurs d'encens, dans une lumière changeante, verte, dorée, puis rouge façon peep show, elle est tour à tour un poisson effaré que l'on tire du filet, l'instigatrice d'un rituel sado-maso, une prêtresse vaudoue, une mère qui berce son enfant d'un geste d'une infinie tendresse, une strip-teaseuse au regard acéré. De quoi nous parle-t-elle ? De désir, toujoursà In et off, appel de l'intellect et appel des sens, plaisir et désir : entre Les mariés et Shakti, on aura fait le tour de ce que le festival peut nous offrir de meilleur.



par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 23/07/2001