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Internet et vie privée

Le Net sous haute surveillance

L'une des premières actions entreprises par les agents du FBI à la suite des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, a été de se rendre chez les principaux fournisseurs d'accès à Internet du pays (AOL, Earthlink) pour procéder à l'examen minutieux des mails, des connexions et essayer de trouver les traces des échanges que les terroristes ont pu avoir dans les jours ou les semaines qui ont précédé l'attaque.
Cette initiative du FBI n'est pas due au hasard. Internet est aujourd'hui, semble-t-il, un outil dont les terroristes ont parfaitement assimilé le fonctionnement et qu'ils utilisent couramment pour transmettre des ordres ou des informations. C'est l'une des raisons pour lesquelles le projet de loi intitulé «Combating terrorism act», que le ministre de la Justice, John Ashcroft vient de présenter devant le Sénat et la Chambre des représentants, contient des mesures destinées à renforcer les pouvoirs des enquêteurs et à alléger les procédures d'autorisation qui leur permettent de perquisitionner ou de mettre en place des systèmes de surveillance des réseaux électroniques. L'objectif prioritaire étant de disposer des «outils nécessaires pour identifier, démanteler, désorganiser et punir les organisations terroristes avant qu'elles ne frappent à nouveau». Pour John Ashcroft, il s'agit avant tout de «renforcer les lois» et de les adapter aux nouvelles technologies. Il est ainsi question, par exemple, de permettre au FBI d'installer chez les fournisseurs d'accès à Internet des systèmes de surveillance des e-mails pendant 48 heures sans nécessité d'obtenir un mandat du juge. Ces propositions font resurgir le débat sur l'utilisation du fameux système «Carnivore» qui permet d'intercepter et de trier les mails douteux grâce à une machine que l'on branche sur le serveur d'un fournisseur d'accès ou le réseau d'une entreprise, que le FBI avait tenté de faire valider il y a quelques mois, provoquant de nombreuses protestations.

Des procédures simplifiées

Le cryptographie, qui permet aux internautes d'envoyer des messages codés et donc d'en assurer la confidentialité, est aussi sur la sellette. Certains responsables américains estiment que la possibilité offerte aux utilisateurs d'Internet de chiffrer leurs messages laisse une trop grande marge de manoeuvre aux terroristes pour échanger des informations en échappant à la surveillance des enquêteurs. Un sénateur républicain, Judd Greg, propose donc d'interdire les logiciels d'encryptage lorsque les autorités ne détiennent pas les clefs qui permettent de les déchiffrer en cas de besoin. Il s'agit là d'un retournement de la position américaine qui, jusqu'aux attentats du 11 septembre, était plutôt favorable à la libéralisation totale du cryptage. Ce système était alors considéré comme le meilleur moyen de sécuriser et donc d'encourager le commerce électronique.

Les propositions du ministre de la Justice n'ont pas fait l'unanimité aux Etats-Unis. Malgré l'union sacrée du peuple américain et de ses représentants pour soutenir la lutte contre le terrorisme et trouver les moyens de punir les responsables des attentats, certaines voix se sont élevées pour mettre en garde contre l'adoption de mesures ou de modifications de la constitution, justifiées sur le moment par le caractère urgent et dramatique de la situation, mais qui remettraient en cause durablement le respect de la vie privée. Une coalition en faveur de la défense des libertés individuelles, qui regroupe aussi bien des libéraux que des conservateurs, s'est donc formée aux Etats-Unis et a préparé une proposition en 10 points intitulée «Pour défendre la liberté en temps de crise». Ce texte vise à inciter le Congrès à considérer la nouvelle loi sur le terrorisme «calmement et en délibérant pour protéger les libertés civiles qui définissent le style de vie américain».

Au plan international aussi, il semble que la nécessité de trouver les moyens de lutter contre le cybercrime, notamment en matière de terrorisme, apparaît comme une priorité. Jacques Chirac qui a ouvert la conférence annuelle des commissaires à la protection des données personnelles de la Commission nationale de l'informatique et des libertés à Paris, le 24 septembre, s'est exprimé à ce sujet. Il s'est prononcé en faveur de l'élaboration d'un «cadre juridique universel, efficace et évolutif, à la mesure du caractère mondial de l'Internet, qui définisse les infractions et fixe les procédures pour les réprimer». Mais, a-t-il ajouté, si le crime de haute technologie «est une dimension d'un combat qu'il nous faut mener, plus énergiquement que jamais, contre le terrorismeà à aucun prix nous ne voulons édifier un système répressif international qui mettrait en danger les libertés si chèrement acquises par nos concitoyens».

Tout l'enjeu du débat est là. Comment concilier une extension des pouvoirs de la police, gage de son efficacité, avec le respect de la vie privée quand on fait sauter la plupart des barrières de protection des données personnelles et de contrôle des procédures comme cela est envisagé dans le «Combating terrorism act» ? Pour les défenseurs des libertés individuelles, les attentats du 11 septembre risquent de faire pencher la balance du côté de la sécurité à tout prix, avec à long terme des conséquences inévitables sur le respect de la vie privée. Pour Lionel Jospin, qui a clôturé la conférence de la Cnil : «L'actualité [les attentats] pousse aujourd'hui les Etats à accélérer l'adaptation des dispositifs juridiques de prévention, en étendant les moyens d'investigation aux nouvelles technologies. La nécessaire contrepartie réside dans des garanties accrues quant à l'indépendance et aux moyens des instances de contrôle».



par Valérie  Gas

Article publié le 17/09/2001