Médias et guerre
Al Jazira, la voix arabe qui dérange Washington
Les autorités américaines ont engagé un véritable bras de fer avec la chaîne qatariote et les médias audiovisuels américains qui retransmettent les bandes vidéo d'Al Qaida.
La bataille médiatique autour de la «couverture» des déclarations d'Al Qaïda par la télévision arabe du Qatar Al Jazira a vraisemblablement fait une première victime de taille : les télévisions américaines d'information en continue, telles que CNN, NBC et Fox, et la Voix de l'Amérique, qui ont accepté de se plier aux «requêtes» de la Maison Blanche, qui avait demandé avec insistance de ne plus retransmettre en direct Al Jazira qui diffuse les déclarations de l'organisation islamiste de Oussama Ben Laden ou des Taliban.
Mercredi, le secrétaire d'Etat Colin Powell, a une nouvelle fois reproché à l'influente chaîne de télévision basée à Doha de diffuser des déclarations «au vitriol» et «irresponsables» et confirmé qu'il était intervenu à ce propos auprès des dirigeants politiques qatariotes, apparemment en vain. «Al Jazira donne un temps et une attention très larges à certaines déclarations au vitriol. Nous avons attiré l'attention des autorités du Qatar et aussi d'autres pays» sur ce sujet, a dit Powell. Il y a une semaine, le secrétaire d'Etat avait déjà exprimé ses «préoccupations» directement à l'émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, en visite à Washington. Colin Powell avait alors admis qu'Al-Jazira était «une station importante» et rappelé qu'il avait accepté d'être interviewé par elle, avant d'indiquer que le président George W. Bush était lui aussi prêt à s'exprimer sur cette chaîne, quelques jours après le premier ministre britannique, Tony Blair. Ce qui ne peut que conforter l'image de cette chaîne de télévision arabe qui, en quelques années seulement, a su s'imposer dans un contexte médiatique très difficile, au moment même où sa «grande s£ur», qui lui a servi de modèle, CNN, se plie aux injonctions des principaux responsables américains. La chaîne a indiqué qu'elle voulait désormais «éviter de diffuser tout message (qui) pourrait faciliter tout acte terroriste», ajoutant même qu'elle recueillerait l'avis des «autorités compétentes» avant toute diffusion.
Condoleezza Rice a sermonné les médias américains
Sans aller jusqu'à imposer une censure pure et simple les services de la présidence américaine ont d'abord demandé aux médias de «mettre un bémol» au caractère «sensationnaliste» des déclarations «guerrières» de Ben Laden et de ses lieutenants. Ensuite, préoccupée par l'effet psychologique de ces déclarations sur la population américaine - et tout particulièrement celle de religion musulmane - elle a fait savoir que Ben Laden pourrait utiliser ces messages, non seulement pour enflammer les masses arabes, mais aussi pour transmettre des messages codés à ses partisans : une technique que les spécialistes américains du renseignement appellent «codage en sources ouvertes» (open sources coding).
C'est la conseillère de Bush pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, qui a contacté dès mercredi les principaux médias américains pour leur demander d'exercer un «jugement éditorial» préalable sur les cassettes vidéo avant de les diffuser. Le porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer a d'autre part admis que les services de renseignement américains, qui ont visionné ces bandes, y ont trouvé une mine de renseignements intéressants, mais n'ont détecté pour l'instant aucun message codé ou subliminal.
Dans un premier temps, ces bandes vidéo préenregistrées ont été retransmises immédiatement par Al Jazira - mais aussi par de nombreuses télévisions d'information en continu toujours très friandes de «scoops» - sans être visionnées par avance. Ce n'est que mardi dernier, lors de l'arrivée à Doha de la dernière bande vidéo, en provenance du bureau de la chaîne qatariote de Kaboul où elle avait été livrée par un «coursier» anonyme, que les responsables d'Al Jazira ont pris le temps de visionner le dernier message d'Al Qaida. Après avoir entendu les menaces du porte-parole de l'organisation dirigée par Ben Laden, ils ont décidé de construire un sujet tout à fait complet autour de cette bande, et notamment de programmer en même temps un « papier » commentaire et d'autres points de vue, à la fois arabes et occidentaux.
Al Jazira a fait ce choix professionnel normal, parce qu'elle bénéficie d'une réelle liberté (à l'exception notable des affaires concernant directement le Qatar). C'est au nom de la liberté de la presse que le chef de la diplomatie qatariote n'a pas hésité, mercredi dernier, à défendre la chaîne satellitaire la plus regardée dans le monde arabe qui venait d'être critiquée par Washington pour sa «rhétorique incendiaire». «L'émir du Qatar est soucieux de promouvoir la liberté de la presse et l'Etat de droit, a-t-il déclaré, avant de se dire «surpris» par les critiques américaines. «Les Etats-Unis sont un Etat duquel nous avons appris la liberté de la presse», a précisé Cheikh Hamad répondant à une question d'un journaliste sur les raisons de la «demande américaine de fermer Al Jazira».
Cette prise de position assez nette pourrait avoir des répercussions allant au-delà de la simple «bataille médiatique» en cours. La Maison Blanche, plus que jamais décidée à contrôler la «couverture» du conflit en cours, a engagé un véritable bras de fer dès le 11 septembre, d'abord avec la Voix de l'Amérique : elle lui a reproché d'avoir retransmis une courte interview du mollah Omar, dans laquelle le chef des Taliban justifiait la décision de Kaboul de ne pas livrer Oussama Ben Laden aux Etats-Unis. «Nous ne pensons pas que le contribuable américain, la Voix de l'Amérique, doivent diffuser la voix des Taliban, avait alors déclaré le porte-parole du Département d'Etat. Aujourd'hui, force est de constater qu'il a eu gain de cause. "Je reconnais sincèrement qu'il y a quelques problèmes et quelques fautes dans notre couverture de cet événement historique" a en effet déclaré mercredi le président de la VOA, Marc Nathanson, qui aurait souhaité que l'interview du mollah Omar et une autre émission citant un Egyptien vivant à Londres sans expliquer ses liens avec un groupe islamiste «fussent traitées autrement».
Mercredi, le secrétaire d'Etat Colin Powell, a une nouvelle fois reproché à l'influente chaîne de télévision basée à Doha de diffuser des déclarations «au vitriol» et «irresponsables» et confirmé qu'il était intervenu à ce propos auprès des dirigeants politiques qatariotes, apparemment en vain. «Al Jazira donne un temps et une attention très larges à certaines déclarations au vitriol. Nous avons attiré l'attention des autorités du Qatar et aussi d'autres pays» sur ce sujet, a dit Powell. Il y a une semaine, le secrétaire d'Etat avait déjà exprimé ses «préoccupations» directement à l'émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, en visite à Washington. Colin Powell avait alors admis qu'Al-Jazira était «une station importante» et rappelé qu'il avait accepté d'être interviewé par elle, avant d'indiquer que le président George W. Bush était lui aussi prêt à s'exprimer sur cette chaîne, quelques jours après le premier ministre britannique, Tony Blair. Ce qui ne peut que conforter l'image de cette chaîne de télévision arabe qui, en quelques années seulement, a su s'imposer dans un contexte médiatique très difficile, au moment même où sa «grande s£ur», qui lui a servi de modèle, CNN, se plie aux injonctions des principaux responsables américains. La chaîne a indiqué qu'elle voulait désormais «éviter de diffuser tout message (qui) pourrait faciliter tout acte terroriste», ajoutant même qu'elle recueillerait l'avis des «autorités compétentes» avant toute diffusion.
Condoleezza Rice a sermonné les médias américains
Sans aller jusqu'à imposer une censure pure et simple les services de la présidence américaine ont d'abord demandé aux médias de «mettre un bémol» au caractère «sensationnaliste» des déclarations «guerrières» de Ben Laden et de ses lieutenants. Ensuite, préoccupée par l'effet psychologique de ces déclarations sur la population américaine - et tout particulièrement celle de religion musulmane - elle a fait savoir que Ben Laden pourrait utiliser ces messages, non seulement pour enflammer les masses arabes, mais aussi pour transmettre des messages codés à ses partisans : une technique que les spécialistes américains du renseignement appellent «codage en sources ouvertes» (open sources coding).
C'est la conseillère de Bush pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, qui a contacté dès mercredi les principaux médias américains pour leur demander d'exercer un «jugement éditorial» préalable sur les cassettes vidéo avant de les diffuser. Le porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer a d'autre part admis que les services de renseignement américains, qui ont visionné ces bandes, y ont trouvé une mine de renseignements intéressants, mais n'ont détecté pour l'instant aucun message codé ou subliminal.
Dans un premier temps, ces bandes vidéo préenregistrées ont été retransmises immédiatement par Al Jazira - mais aussi par de nombreuses télévisions d'information en continu toujours très friandes de «scoops» - sans être visionnées par avance. Ce n'est que mardi dernier, lors de l'arrivée à Doha de la dernière bande vidéo, en provenance du bureau de la chaîne qatariote de Kaboul où elle avait été livrée par un «coursier» anonyme, que les responsables d'Al Jazira ont pris le temps de visionner le dernier message d'Al Qaida. Après avoir entendu les menaces du porte-parole de l'organisation dirigée par Ben Laden, ils ont décidé de construire un sujet tout à fait complet autour de cette bande, et notamment de programmer en même temps un « papier » commentaire et d'autres points de vue, à la fois arabes et occidentaux.
Al Jazira a fait ce choix professionnel normal, parce qu'elle bénéficie d'une réelle liberté (à l'exception notable des affaires concernant directement le Qatar). C'est au nom de la liberté de la presse que le chef de la diplomatie qatariote n'a pas hésité, mercredi dernier, à défendre la chaîne satellitaire la plus regardée dans le monde arabe qui venait d'être critiquée par Washington pour sa «rhétorique incendiaire». «L'émir du Qatar est soucieux de promouvoir la liberté de la presse et l'Etat de droit, a-t-il déclaré, avant de se dire «surpris» par les critiques américaines. «Les Etats-Unis sont un Etat duquel nous avons appris la liberté de la presse», a précisé Cheikh Hamad répondant à une question d'un journaliste sur les raisons de la «demande américaine de fermer Al Jazira».
Cette prise de position assez nette pourrait avoir des répercussions allant au-delà de la simple «bataille médiatique» en cours. La Maison Blanche, plus que jamais décidée à contrôler la «couverture» du conflit en cours, a engagé un véritable bras de fer dès le 11 septembre, d'abord avec la Voix de l'Amérique : elle lui a reproché d'avoir retransmis une courte interview du mollah Omar, dans laquelle le chef des Taliban justifiait la décision de Kaboul de ne pas livrer Oussama Ben Laden aux Etats-Unis. «Nous ne pensons pas que le contribuable américain, la Voix de l'Amérique, doivent diffuser la voix des Taliban, avait alors déclaré le porte-parole du Département d'Etat. Aujourd'hui, force est de constater qu'il a eu gain de cause. "Je reconnais sincèrement qu'il y a quelques problèmes et quelques fautes dans notre couverture de cet événement historique" a en effet déclaré mercredi le président de la VOA, Marc Nathanson, qui aurait souhaité que l'interview du mollah Omar et une autre émission citant un Egyptien vivant à Londres sans expliquer ses liens avec un groupe islamiste «fussent traitées autrement».
par Elio Comarin
Article publié le 11/10/2001