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Culture

Kandahar, images dévoilées

Hasard de l'actualité, l'Afghanistan est au centre du dernier film de l'iranien Mohsen Makhmalbaf. «Kandahar» sort dans les salles françaises le 24 octobre prochain. Primé à Cannes, il a reçu mercredi un prix à l'Unesco. Le cinéaste a glissé sa caméra sous la burqa (le voile) des Afghanes alors que l'éclipse solaire approche. Et filmé l'improbable quête d'un monde meilleur.
«Dommage que ce prix ne soit pas un vent de liberté pour soulever le tchadri des femmes», regrette le cinéaste Mohsen Makhmalbaf en recevant sur la scène de la salle de cinéma de l'Unesco la médaille d'or Fellini. «Jusqu'aux événements du 11 septembre, l'Afghanistan était un pays oublié, et aujourd'hui que le monde s'y intéresse, c'est moins pour l'aider que pour assouvir un désir de vengeance».

A ses côtés, la comédienne américaine Marisa Berenson, endeuillée depuis les attentats anti-américains du 11 septembre dernier. Sa s£ur est morte dans l'un des avions détournés par les terroristes. Elle est ici, dit-elle, car «le message de la paix est plus fort que le message de la mort». Elle est félicitée pour «son engagement en faveur des femmes afghanes».

«Si au cours de ces 25 dernières années, au lieu de lancer des roquettes on avait planté du blé, des millions d'Afghans ne seraient pas partis à la dérive, fuyant la faim et la mort», poursuit en persan le cinéaste, interrompu par des salves d'applaudissements. Mais l'héroïne de cette soirée particulière, placée sous haute surveillance, se tient discrètement dans l'ombre du réalisateur, vêtue d'une robe rouge et ample. Niloufar Pazira a joué son propre rôle dans «Kandahar», Prix £cuménique au festival de Cannes. Nafas, une journaliste afghane qui vit en exil au Canada, retourne clandestinement dans son pays pour secourir sa s£ur. Celle-ci, mutilée après avoir perdu ses jambes en sautant sur une mine, projette de se suicider lors de l'éclipse solaire qui va balayer cette région du monde dans quelques jours.

Ballet d'unijambistes

Pour Nafas, le compte à rebours a commencé et c'est le début d'un long et périlleux parcours dans ce pays défiguré qu'elle ne reconnaît pas depuis que les Taliban y sèment la terreur. Pour mieux le traverser, elle va se glisser sous la burqa, le voile-grillage qui couvre les Afghanes de la tête aux pieds, emprisonne leur regard et leur beauté. Peuple de l'ombre, les silhouettes se meuvent entre les dunes, dépossédées de leurs âmes. Sont-elles Pachtouns, Ouzbeks ou Tadjiks ? L'icône de tissu ou la négation de l'image à l'état pur. L'amour traverse-t-il les burqas ? s'interroge Mohsen Makhmalbaf. Dans ces cages de toile, elles pleurent, rient, prient, se maquillent même. Pour elles, pour ne pas suffoquer. Les hommes aussi ont leurs burqas : la barbe qui voile en partie leur face. Son port est obligatoire.

En route, on s'arrête dans une école coranique où de jeunes Afghans sont soumis à un rude apprentissage des textes religieux. Etre mollah devient la seule issue pour survivre dans ce pays déchiré par les mines, la famine. Les fillettes apprennent à se méfier des poupées jetées sur des routes minées, et des cohortes d'éclopés attendent dans l'angoisse le parachutage par la Croix Rouge de prothèses de jambes. L'hélicoptère humanitaire arrive. C'est la ruée, au ralenti, dans un ballet d'unijambistes. Image surréaliste. Don du ciel. On croise aussi des Talibans. Ils interceptent un cortège voilé qui se rend en chantant à un mariage. Instruments de musique et livres sont confisqués.

Présenté au dernier festival de Cannes, «Kandahar» se retrouve au c£ur de l'actualité. Si Mohsen Makhmalbaf hésite entre pamphlet et fiction û l'incongrue présence d'un médecin noir Américain, faux barbu en guise de pied de nez aux intégristes, il cède en revanche aux sirènes de l'esthétisme. On les trouverait presque belles ces burqas chatoyantes filmées au ras du sable.



par Sylvie  Berruet

Article publié le 05/10/2001