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Nicaragua

Elections sur fond de misère

Au Nicaragua, les élections de dimanche devraient permettre au Sandinistes de retrouver le pouvoir. Pour y parvenir, Daniel Ortega a réussi à réunir dans une coalition les gens de l'opposition dans une convergence démocratique.
De notre envoyé spécial

Sur la route de Matagalpa, un gros bourg au nord de Managua, les drapeaux rouges du PLC, le Parti Libéral Constitutionnel se mêlent à ceux, rose pâle, du front sandiniste. Avec les pluies, les couleurs déteignent et on ne sait plus très bien de qui est la propagande. De toute façon, la bipolarisation à 50-50 des forces de droite et de gauche devrait obliger le vainqueur des élections à prendre en compte les attentes de l'autre moitié.

Cela se vérifie à Matagalpa, une grande plaine tropicale consacrée à l'élevage extensif des zébus destinés à l'exportation. Sur les hauteurs, le vert clair de la plaine devient tendre avec les bananiers, puis plus sombre lorsque pousse le café. C'est la principale région productrice de café du pays. Les fincas, les haciendas appartiennent à la vieille oligarchie du Nicaragua : les familles Lacayo, Gomez, Pellas dont les noms furent mêlés à la politique sous le régime du dictateur Anastasio Somoza. Mais depuis quelque temps, le vent a tourné et ces grandes familles se sont vus incapables de faire face à la globalisation. Les producteurs de vaches, puis de café ont vu leurs revenus baisser drastiquement, mais surtout, ils ont perdu peu à peu la confiance des banques qui se sont internationalisées et qui, progressivement leur ont fermé tout crédit.

Les peones, qui durant cinq siècles ont vécu dans un statut de servitude dans les haciendas, cultivant et recueillant le café, ayant supporté de père en fils toutes les vexations, tous les mauvais traitements et l'autoritarisme des contremaîtres, se retrouvent projetés dans la modernité qu'impose le libéralisme. Au croisement de l'Empalme de San Fernando, une centaine de familles sont installées au bord de la route, sur les essarts, vivant de la charité publique.

Sécheresse et baisse des cours du café

Francisco, âgé de 34 ans, tente de maintenir la cohésion du groupe : "Nous sommes 147 familles, plus de 450 avec les enfants. Nous dormons sous des tentes de fortune, nous faisons cuire le riz entre 3 pierres, beaucoup d'entre nous sont malades, surtout les enfants qui toussent ou qui ont de terribles diarrhées. Nous n'avons plus que des hardes et nous sommes là, sur le bord de cette route depuis 6 mois. Nous avons été chassés des haciendas quand le gouvernement a refusé d'accorder de nouveaux crédits aux patrons. A la suite de quoi, les haciendas ont fermé et c'est la raison pour laquelle nous avons du abandonner nos maisons et quand quelqu'un refusait parce qu'il était trop vieux ou que la femme attendait un enfant, et bien le patron faisait détruire le toit de palme pour nous mettre dehors; c'est ce qui nous a obligé à partir, en groupe, et à nous réunir sur cette route".

Cette situation est du en partie à la sécheresse qui a sévit entre juin et octobre et à la baisse des cours du café. Le Nicaragua compte 35 000 haciendas produisant plus de 2000 quintaux de café, 7 000 petits propriétaires récoltant entre 500 et 2000 quintaux et 25 000 paysans dont la production ne dépasse pas les 500 quintaux par famille. Du fait des intermédiaires souvent imposés par le gouvernement, du manque de crédit bancaire, de subventions pour l'achat d'engrais et de fertilisant et de l'absence de politique agricole qui aurait permis aux haciendas de supporter les contraintes macro-économiques des politiques libérales qu'ont imposé depuis 15 ans les institutions financières internationales, le quintal de café est tombé de 5 à 2,5 dollars en un an.

Si quelques puissants exploitants parviennent à tenir le choc, la plupart sont contraints à vendre. Les banques ont saisi d'immenses domaines exploités par les seigneurs de la région, profitant souvent pour régler des comptes politiques. L'hacienda Fraber, entre les mains de familles allemandes depuis 150 ans, n'ayant pas réussi à "s'entendre avec les banques et le gouvernement" ont été vendues pour trois fois rien. De nombreuses haciendas, voyant qu'il n'était pas rentable de récolter le café, ont également préféré se débarrasser d'une main d'oeuvre inutile pourtant bien peu coûteuse (moins de 1 dollar par jour de travail).

Curieusement, à Matagalpa, au siège départemental du Front Sandiniste de Libération nationale, se réunissaient pèle mêle, des patrons d'haciendas, des peones, des commerçants et des éleveurs (pour qui les choses vont également très mal). Tous, pour des motifs très éloignés, ont décidé, au-delà des idéologies de soutenir et de voter pour Daniel Ortega. Les paysans sans terre, les peones de père en fils dans les haciendas, ont mis leur espoirs dans la victoire des sandinistes qu'ils considèrent comme le parti des pauvres. Les grands producteurs de l'oligarchie ont choisi de passer dans le camp de leurs adversaires de toujours pour tenter de reconstruire une société et chasser du pouvoir les affairistes corrompus du Parti Libéral Constitutionnel.



par A Managua, Patrice  Gouy

Article publié le 04/11/2001