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Internet dans la guerre

Web sous surveillance:<br>«<i>Le débat n'a pas eu lieu</i>»

La loi sur la sécurité quotidienne adoptée le 31 octobre par les parlementaires français renforce la surveillance des réseaux informatiques et élargit les possibilités d'investigation policière visant les internautes. Les mouvements associatifs ont qualifié ces mesures de scandaleuses. Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au Conseil d'Etat préside le Forum des droits sur l'internet dont l'une des missions est d'organiser la concertation entre acteurs publics et privés sur les questions de société liées à l'Internet.
RFI: Surveillance et accès aux données y compris cryptées, perte de contrôle des juges sur les procédures de décryptage, remise en cause du droit à l'anonymat et à la confidentialité des échangesà toutes ces mesures exceptionnelles dans le cadre de la loi sur la sécurité quotidienne vous ont-elles surprises? Quel est le point de vue du Forum des droits sur l'internet?

Isabelle Falque-Pierrotin:
Ce qui nous a surpris, c'est la rapidité du processus législatif choisi par le gouvernement pour l'introduction de ces mesures. Le débat public n'a pas véritablement pu avoir lieu, ni au Forum, ni ailleurs. Nous avons en revanche publié aussitôt que possible un dossier d'analyse complet intitulé "Cybercrime et démocratie" sur les trois amendements à la loi sur la sécurité quotidienne relatifs aux technologies de l'information.

RFI: Ces mesures représentent-elles -comme le déclarent les mouvements associatifs (Imaginons un Réseau Internet solidaire, Reporter Sans Frontières, le collectif LSI Jolieà)- des atteintes aux libertés individuelles?

Isabelle Falque-Pierrotin:
Sans prendre parti, on peut regretter que certains points d'ombre, que nous avons commentés dans notre analyse, subsistent dans le texte final. On pourra également se plaindre que le débat public n'ait pu avoir lieu, et craindre que ces mesures en principe provisoires ne se perpétuent.
Mais il faut également rappeler que ces dispositions sont largement encadrées par le droit français, par l'autorité du juge et, dans le cas des interceptions administratives, réalisées sans contrôle judiciaire, par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.

RFI: Selon vous, en quoi l'action des associations peut-elle être déterminante pour limiter la portée de ces mesures?

Isabelle Falque-Pierrotin:
Les associations sont irremplaçables dans leur rôle de "vigies" des libertés publiques, et ont su médiatiser largement un évènement autour duquel le débat apparaissait souhaitable.

RFI: Quelle est la base de l'action du Forum dans ce domaine ? Quelle est votre marge de man£uvre?

Isabelle Falque-Pierrotin:
La mission du Forum des droits sur l'internet est double. D'une part, nous informons le grand public sur les enjeux de droit et de société sur l'internet. C'est l'objet de nos actualités et de nos dossiers en ligne. Nous réunissons d'autre part ,dans un esprit de dialogue et de construction, les acteurs de la société civile, les autorités et les entreprises privées dans nos groupes de travail et sur les forums du site.
Les amendements à la loi sur la sécurité quotidienne méritaient certainement un débat au sein du Forum, mais les recommandations qui auraient pu en résulter n'auraient pu être prises en compte, faute de temps. Une marge de proposition subsiste en revanche depuis l'adoption de la loi autour des décrets d'application qui doivent préciser certaines des dispositions du texte.
Le Forum des droits sur l'internet a ainsi pris l'initiative d'ouvrir le débat sur la définition et la durée de conservation des données de connexion, qui doivent faire l'objet d'un décret en Conseil d'Etat. Le forum de discussion que nous ouvrons a une durée limitée du 5 au 20 novembre afin de pouvoir élaborer une synthèse reflétant la diversité des points de vue exprimés, qui sera transmise aux pouvoirs publics.

RFI: La France n'est pas le seul pays à s'engager dans une logique du tout-sécuritaire sur l'Internet. Ailleurs en Europe ou aux Etats-Unis, les associations des droits de l'homme et des libertés individuelles s'inquiètent également des mesures anti-terroristes prises par les gouvernements. Peut-on envisager une concertation, une réflexion globale sur le plan européen ?

Isabelle Falque-Pierrotin:
Les mesures anti-terroristes applicables à l'internet ne sont que la partie la plus médiatisée d'un débat mondial qui doit avoir lieu dès aujourd'hui, en Europe notamment. Le premier traité international destiné à lutter contre les infractions pénales commises sur les réseaux informatiques doit par exemple être officiellement adopté par Etats membres du Conseil de l'Europe le 8 novembre prochain.
La mission de coopération internationale du Forum nous lie déjà à divers organismes de recherche et de dialogue sur les enjeux juridiques de l'internet, et la liste de nos partenaires doit s'allonger encore. Nous espérons ainsi pouvoir animer prochainement de véritables échanges internationaux sur des sujets de cette ampleur.

RFI: Le premier traité international destiné à lutter contre les infractions pénales commises par réseaux informatiques doit être adopté le 8 novembre prochain. Ce virage sécuritaire n'est-il pas un frein au développement du réseau ?

Isabelle Falque-Pierrotin:
Je crois qu'il ne faut pas tout confondre. Le traité international qui va être conclu est le résultat d'une négociation de plus de trois ans entre les Etats, visant à adopter des dispositions communes en matière d'infractions pénales. En France, nous sommes déjà largement dotés de ces outils à travers la loi Godfrain de 1988. Les nouvelles dispositions ne peuvent, me semble-t-il, qu'accroître la confiance dans le réseau et donc son attractivité.
En revanche, les mesures transitoires et exceptionnelles prises par certains Etats à la suite des attentats résultent d'une autre logique. Elles doivent, dès lors, être suivies avec vigilance.




par Propos recueillis par Myriam  Berber

Article publié le 06/11/2001