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Union européenne

Cafouillage européen chez Tony Blair

Le «mini-sommet» que le premier britannique Tony Blair, de retour d'une longue (mais infructueuse) tournée au Moyen-Orient et en Asie centrale et orientale, a présidé dimanche soir dans sa résidence londonienne a tourné à la farce diplomatique européenne. Aucun communiqué officiel n'a clos ce dîner de neuf couverts, au lieu des trois prévus, et la politique étrangère et sécuritaire de l'UE paraît plus que jamais reléguée au second plan. En dépit des quarante-huit tournées ou missions effectuées depuis le 11 septembre par différents ministres européens.
Tout bascule dimanche, à la mi-journée, lorsque l'italien Silvio Berlusconi appelle son homologue britannique Tony Blair pour lui communiquer l'air triomphant la «bonne nouvelle» qu'il attend depuis des jours sinon des semaines : Washington vient de lui confirmer officiellement que l'Italie aussi est désormais militairement partie prenante dans la riposte militaire de la «coalition». Ce qui implique, aux yeux de Berlusconi, que Rome doit elle aussi participer, en tant que «grand pays européen» au mini-sommet prévu le soir même à Londres entre Britanniques, Français et Allemands.

Pris de court, Tony Blair hésite. Il sait que Berlusconi n'a guère apprécié que l'Italie ait été «exclue» du précédent mini-sommet à trois, à Gand le 19 octobre. Pour cela, dans la nuit de jeudi à vendredi, il avait pris la peine de s'arrêter à Gênes, avant de regagner Londres, pour partager avec Berlusconi des spaghetti au «pesto» et un excellent vin toscan, mais aussi lui communiquer qu'il comptait rencontrer les principaux responsables européens, le dimanche suivant, avant de se rendre aux Etats-Unis. Mais, le lendemain, au cours d'une conversation téléphonique avec le président français Jacques Chirac, celui-ci aurait proposé à Blair un nouveau sommet à trois. Blair aurait accepté la proposition française, en sachant que le précédent sommet à trois avait été justifié par le fait qu'il s'agissait d'une «rencontre technique et militaire» ne concernant donc pas les autres membres de l'UE. Il ne se doute pas que de plus en plus ceux-ci voient d'un mauvais £il la mise en place d'un «directoire à trois» de l'Europe ; il ne pouvait pas non plus prévoir que Washington accepte finalement que l'Italie aussi fasse partie des pays militairement engagés à ses côtés.

La révolte des «petits»

Rome, en fait, vient de sortir un argument de taille. Berlusconi a de nouveau proposé de mettre à la disposition de la coalition son porte-avions « Garibaldi » : un navire certes petit mais qui transporte des Harrier (avions de chasse à décollage vertical) et, contrairement au « Charles de Gaulle » français, n'est pas en cale sèche, mais immédiatement susceptible de quitter son port d'attache (Tarante) pour l'Océan indienà Entre Paris et Rome les relations ne sont visiblement pas au beau fixe, depuis le mini-sommet à trois de Gand.

Finalement, Blair, ne peut qu'accepter l'auto-invitation à dîner formulée par Silvio Berlusconi. Et celui-ci de parader aussitôt sur toutes les chaînes de la péninsule sur le thème : l'Italie n'est pas un pays de deuxième division, mais bel et bien de «Serie A». Mais sa joie ne dure que quelques minutes. Londres annonce aussitôt après que l'Espagnol José Maria Aznar sera aussi au 10, Downing Street.

Cette nouvelle déplaît certes à l'Italie, mais Aznar est un «ami de longue date» de Berlusconi. Rome avale donc la couleuvre, faute de mieux ; mais il en va tout autrement ailleurs en Europe. Le standard téléphonique de Tony Blair est pris d'assaut par tous les «petits pays» qui ne peuvent accepter que l'Espagne seule siège aux côtés des quatre «grands». Blair ne sachant plus que faire, décide alors d'inviter les représentants officiels de l'UE : le premier ministre belge Verhofstadt, qui assure la présidence de l'UE, et l'Espagnol Solana, le Haut Représentant en charge de la PESC. Quant au président de la Commission européenne, Romano Prodi, qui lui aussi figure parmi les non invités, se limite à demander à Verhofstadt d'être le porte-parole des «exclus», tout en se félicitant (en privé) de la mort subite du «directoire à trois».

Les couverts sont désormais au nombre de huit mais tout semble enfin réglé, en fin d'après-midi, lorsque le premier hollandais Wim Kok, littéralement furieux - dixit la télévision hollandaise - décroche à son tour le téléphone pour s'inviter lui aussi à dîner chez Blair. Celui-ci n'a même plus la force de dire non. On ajoute un couvert. Et le lendemain matin, la BBC d'insister lourdement - et sans fair play - sur «ceux qui se sont eux-mêmes invités au 10, Downing St.», dont le Hollandais Kok «qui a raté l'apéritif» en dépit de la proximité géographique des Pays-Bas. Après quoi, l'Europe a, du moins officiellement, «parlé d'une seule voix», et tout un chacun réaffirmé sa solidarité avec les Etats-Unis.

Morale de l'histoire: cinq semaines après le début des bombardements en Afghanistan, les Américains se rendent compte de la complexité de la question afghane et de la «guerre» engagée contre le terrorisme mondial. Les mots «enlisement» ou «bourbier» commencent à apparaître dans les médias. Comme au beau milieu de la guerre du Vietnam. Pour cela aussi ils ont décidé d'accepter l'aide de alliés traditionnels européens ; mais ceux-ci se précipitent à Washington en ordre dispersé, en oubliant qu'ils disposent de quelques moyens communs, tels que la PESC, qu'ils ont eux-mêmes mis sur pied en signant les différents traités européens.



par Elio  Comarin

Article publié le 05/11/2001