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Inde-Pakistan

Poignée de main indo-pakistanaise

Le Premier ministre indien Atal Behari Vajpayee et le président pakistanais Pervez Musharraf se sont serrés la main, samedi, à l’ouverture du sommet régional des pays d’Asie du sud, à Katmandou. En dépit de ce geste de détente entre les deux pays opposés sur le Cachemire, des tirs de mortier, partant du Pakistan, ont atteint au même moment le sud du Cachemire indien. L’armée indienne a riposté.

Pendant ce temps, la pression internationale s’accentue sur les deux pays nucléarisés de la région. Les Etats-Unis n’excluent pas d’envoyer un émissaire pour désamorcer les tensions entre eux. De son côté, Tony Blair, Premier ministre britannique, a commencé par une visite en Inde une mission de bons offices entre l’Inde et le Pakistan.
L’histoire comme la géographie ont fait de la vallée du Cachemire une zone de frontière très hétérogène, située à la rencontre de trois mondes culturels: l’indien au Sud, le chinois à l’Est et l’indo-européen à l’Ouest. Des mondes où la tradition religieuse demeure bien ancrée: aujourd’hui hindouisme, bouddhisme et islam se partagent très inégalement le Cachemire avant de devenir religion dominante dans les pays voisins. Autant dire que la «question cachemirie», directement issue d’une décolonisation ratée, n’est pas à la veille d’une solution.

Vieux pays de culture indienne, le Cachemire est devenu majoritairement musulman lors de la conquête d’Akbar, le souverain moghol, en 1586; mais deux siècles plus tard il faisait déjà partie du royaume sikh de Ranjit Singh, avant de passer sous souveraineté britannique, au lendemain de la guerre anglo-sikh (1848-49). Et Londres de compliquer encore plus la question, en décidant de détacher le Cachemire du Pendjab, et de le vendre au rajah hindou du Jammu. Résultat: la domination de la majorité musulmane par l’aristocratie hindoue s’installe définitivement, ce qui rendra encore plus difficile la partition de l’Inde, décidée par la Grande-Bretagne en 1947. Le Cachemire, contrairement au Pendjab, ne sera finalement pas partagé en deux. Du moins sur le papier.

Le premier conflit éclate en 1948

Car, le maharajah refuse d’abord le rattachement au Pakistan occidental (qui vient d’être créé) ou à l’Inde, et se prononce pour l’indépendance du Cachemire; mais de violents affrontements entre hindous pro-indiens et musulmans pro-pakistanais le poussent finalement à demander l’aide à Delhi, qui obtient ainsi la maîtrise de la Défense, des Affaires étrangères et des Communications de cet Etat plus autonome que les autres de l’Union indienne.

Toutes ces vicissitudes sont à l’origine du premier conflit indo-pakistanais, en 1948, qui s’est soldé par ce que tout le monde voulait éviter: le partage de facto de la vallée du Cachemire entre les deux pays. Depuis, le Pakistan contrôle un tiers du Cachemire (3 millions d’habitants) et l’Inde les deux tiers restants (9 millions). Islamabad soutient qu’il devrait faire partie du Pakistan parce que la majorité de sa population est musulmane et que celle-ci devrait être pour le moins consultée par référendum; et Delhi répète son opposition à toute consultation puisque que le maharajah s’est prononcé pour le rattachement à l’Union indienne. Mais, si l’Inde continue de se battre pour garder cette région, c’est d’abord parce que, pour Nehru comme pour ses successeurs, le Cachemire est un rempart exceptionnel face à la Chine, qui contrôle déjà (officieusement) une partie du Ladakh indien. Pour cela aussi, les trois conflits indo-pakistanais intervenus en 1965, 1971 et 1999 se sont tous soldés par un statu quo qui ne satisfait personne et engendre régulièrement d’autres revendications et d’autres affrontements.

Les différents mouvements nationalistes qui ont traversé le Cachemire indien ont fait leur apparition dès les années trente. Cheik Abdoullah a longtemps dirigé des révoltes parfois violentes contre une administration omniprésente et une forte présence militaire et policière. Mais ce n’est qu’en 1989 que de vrais «mouvements de libération» sont apparus, le plus souvent avec l’aide du Pakistan voisin, à la suite d’autres «insurrections» qui ont failli emporter l’Union indienne. Dans le nord-ouest, la longue «révolte» des Sikhs, au Pendjab, a été violemment réprimée par Indira Gandhi, avant de tomber sous les balles d’un nationaliste sikh; et dans l’ancien Assam (Est du pays) des révoltes quasi endémiques avaient déjà commencé, notamment de la part des mouvements indépendantistes ou autonomistes opposés à «l’invasion» des «immigrés bangladeshis» de religion musulmane.

Dans le Cachemire l’insurrection lancé en 1989 par le Front de libération du Jammu et du Cachemire a été assez vite maîtrisée sur le plan militaire, mais elle a été aussitôt relancée par des mouvements officiellement indépendantistes de plus en plus islamisés, voire proches des thèses défendues par Al Qaïda, mais aussi de plus en plus pro-pakistanais. Le départ des troupes soviétiques de l’Afghanistan ayant amplifié ce phénomène et «détourné» sur les pentes du Cachemire de nombreux moudjahiddine dits «afghans» ou «arabes». Et que le président pakistanais Musharraf a promis de priver d’aide parce que «non autochtones», si l’on en croit le quotidien américain New York Times.

Cette mesure pourrait concerner les deux principaux groupes montrés du doigt par Delhi et qui seraient responsables de l’attaque contre le parlement indien du 13 décembre dernier: le Lashkar-e-Taiba et le Jaish-e-Mohammad. Deux mouvements officiellement très récents, mais qui ne cessent de remporter l’adhésion de nombreux jeunes «terroristes». Le premier s’est manifesté surtout lors du conflit de Kargil, en 1999, puis par les «kamikaze» qu’il a régulièrement envoyé contre des installations militaires indiennes. Il est également partisan de l’installation de la loi islamique sur toute l’Inde. Le deuxième est pour sa part bien implanté dans de nombreuses madrassas (écoles coraniques) pakistanaises: selon Delhi, il aurait perpétré l’attentat d’octobre dernier contre le Parlement de l’Etat du Jammu et Cachemire (40 morts).

L’arrestation, dimanche dernier au Pakistan, du leader du Lashkar, Hafiz Mohammad Saeed, vise sans doute à rassurer l’Inde, qui s’est empressée de faire part de sa satisfaction. Mais ce n’est qu’un simple geste quasi diplomatique. La grande majorité des moudjahiddine en lutte pour un Cachemire à la fois islamique et pakistanais continuent leur jihad. De plus, un troisième groupe a fait son apparition récemment, lorsque ses comptes ont été gelés par les autorités pakistanaises: il s’agit de l’organisation Umma Tameer-e-Nau, que les Etats-Unis soupçonnent d’avoir transmis des informations sur la confection d’armes nucléaires à Al Qaida.



par Elio  Comarin

Article publié le 05/01/2002