Littérature africaine
En quête de l’identité africaine
Dans En quête d’Afrique, Manthia Diawara, éminent professeur malien de littérature et de cinéma à l’université de New York, raconte son retour au pays natal, la Guinée, dont ses parents et lui furent expulsés en 1964. L’occasion de livrer ses réflexions éclairées sur l’Afrique d’aujourd’hui.
Le retour. Tous les exilés, volontaires ou non, y songent. Avec angoisse parfois. Au point d’en reculer l’échéance. Avec tristesse, quand le statut de réfugié politique le rend impossible. Mais avec bonheur et curiosité aussi, quand le départ, choisi, la découverte d’une autre culture, ont été sources d’enrichissement. C’est le cas de Manthia Diawara. Malien, né en Guinée, il s’est installé aux Etats-Unis, au début des années 70, après un court séjour en France, à une époque où la plupart de ses compatriotes optaient pour l’ancienne métropole. Il est, aujourd’hui, un éminent professeur de littérature comparée et de cinéma à l’université de New York, dont il dirige le département d’Etudes africaines et l’institut des Affaires afro-américaines.
Marié aux Etats-Unis, père de deux enfants, Manthia Diawara serait, par certains côtés, presque plus américain qu’africain. Le respecté professeur, dont les travaux font référence parmi ses confrères américains, n’a pourtant pas oublié d’où il vient. Un jour de 1996, il décide de revenir en Guinée, qu’il a quitté trente-deux ans plus tôt, lorsque ses parents et lui furent expulsés du pays, comme des milliers d’autres étrangers, par le régime de Sékou Touré.
Entre admiration et honte pour Sékou Touré
En quête d’Afrique, l’ouvrage que vient de publier Manthia Diawara chez Présence africaine*, se veut le récit de ce retour aux sources. Mais il est, en fait, l’occasion, pour un intellectuel qui a retrouvé sa terre natale, de s’interroger sur son identité et de livrer ses réflexions sur l’Afrique d’aujourd’hui, sur son histoire, son art et sur l’image qu’elle offre d’elle-même.
En se rendant en Guinée, Manthia Diawara a en tête un projet de documentaire sur Sékou Touré, personnage à propos duquel il entretient des sentiments contradictoires : «Il m’a mis à l’école, tout en mettant mes parents à la porte». Il avoue nourrir une certaine admiration pour celui qui a su dire non à De Gaulle, mêlée de honte pour les terribles dérives de son pouvoir.
A Conakry, il croise Williams Sassine, le célèbre écrivain et journaliste aujourd’hui disparu, grand dénonciateur des régimes dictatoriaux du continent noir, dont il conteste néanmoins la vision notoirement pessimiste de l’Afrique. «Les afropessimistes semblent tenir pour acquis à la fois que les Africains ont corrompu la modernité avec leurs traditions africaines et que la modernité est responsable d’avoir ébranlé les traditions africaines et, par conséquent, leur capacité à survivre dans ce monde», semble lui répondre Mantha Diawara. Il juge, au contraire, que «la tradition, et son encombrant cortège de rituels, de chauvinisme, d’identité tribale» est une menace pour la modernisation de l’Afrique. Du reste, ajoute-t-il, «les afropessimistes demeureront incapables de concevoir la portée de notre modernité, tant qu’il persisteront à comparer notre style et nos réussites matérielles à ceux de l’Occident».
Au fil des rencontres, Manthia Diawara poursuit sa réflexion. Ses retrouvailles avec son ami d’enfance, Sidimé Laye, devenu sculpteur, l’invitent à évoquer la perception de l’art africain en Occident. Il s’insurge contre la distinction systématique entre les créations traditionnelles, rituelles, dont les auteurs sont condamnés à l’anonymat, et l’art africain dit moderne, qui seul donnerait droit à revendiquer une signature. «Il devient nécessaire d’arracher les reliques africaines de leur espace et de leur fonction rituels afin de révéler les marques laissées par la main de l’artiste qui les a créées.» Reprenant une phrase de Sidimé Laye, il va plus loin en estimant même que «les masques, statues et traditions orales représentent mieux l’Afrique à l’étranger que les intellectuels et les hommes politiques».
Pour clore sa «quête d’Afrique», Manthia Diawara boucle la boucle en nous faisant retraverser l’Atlantique. Il se penche sur la culture populaire noire, le phénomène rap et les relations inter-communautaires aux Etats-Unis. Ce brusque changement de décor pourrais dérouter le lecteur habitué aux récits linéaires. Manthia Diawara ne s’en cache pas, son livre est une combinaison d’écrits sur son retour en Guinée et de travaux personnels, notamment sur l'écrivain afro-américain Richard Wright. Ils y trouvent pourtant leur cohérence, sans doute parce que son analyse est d’une grande pertinence. A ses yeux, «ce livre a eu quelque chose de thérapeutique», confiait-il, lors d’un passage à Paris à la fin de l’année. Il est en tous cas une belle invitation à la réflexion en ses temps d’afropessimisme.
*Le livre a d’abord été publié en anglais, sous le titre In Search of Africa, en 1998, chez Harvard University Press.
Marié aux Etats-Unis, père de deux enfants, Manthia Diawara serait, par certains côtés, presque plus américain qu’africain. Le respecté professeur, dont les travaux font référence parmi ses confrères américains, n’a pourtant pas oublié d’où il vient. Un jour de 1996, il décide de revenir en Guinée, qu’il a quitté trente-deux ans plus tôt, lorsque ses parents et lui furent expulsés du pays, comme des milliers d’autres étrangers, par le régime de Sékou Touré.
Entre admiration et honte pour Sékou Touré
En quête d’Afrique, l’ouvrage que vient de publier Manthia Diawara chez Présence africaine*, se veut le récit de ce retour aux sources. Mais il est, en fait, l’occasion, pour un intellectuel qui a retrouvé sa terre natale, de s’interroger sur son identité et de livrer ses réflexions sur l’Afrique d’aujourd’hui, sur son histoire, son art et sur l’image qu’elle offre d’elle-même.
En se rendant en Guinée, Manthia Diawara a en tête un projet de documentaire sur Sékou Touré, personnage à propos duquel il entretient des sentiments contradictoires : «Il m’a mis à l’école, tout en mettant mes parents à la porte». Il avoue nourrir une certaine admiration pour celui qui a su dire non à De Gaulle, mêlée de honte pour les terribles dérives de son pouvoir.
A Conakry, il croise Williams Sassine, le célèbre écrivain et journaliste aujourd’hui disparu, grand dénonciateur des régimes dictatoriaux du continent noir, dont il conteste néanmoins la vision notoirement pessimiste de l’Afrique. «Les afropessimistes semblent tenir pour acquis à la fois que les Africains ont corrompu la modernité avec leurs traditions africaines et que la modernité est responsable d’avoir ébranlé les traditions africaines et, par conséquent, leur capacité à survivre dans ce monde», semble lui répondre Mantha Diawara. Il juge, au contraire, que «la tradition, et son encombrant cortège de rituels, de chauvinisme, d’identité tribale» est une menace pour la modernisation de l’Afrique. Du reste, ajoute-t-il, «les afropessimistes demeureront incapables de concevoir la portée de notre modernité, tant qu’il persisteront à comparer notre style et nos réussites matérielles à ceux de l’Occident».
Au fil des rencontres, Manthia Diawara poursuit sa réflexion. Ses retrouvailles avec son ami d’enfance, Sidimé Laye, devenu sculpteur, l’invitent à évoquer la perception de l’art africain en Occident. Il s’insurge contre la distinction systématique entre les créations traditionnelles, rituelles, dont les auteurs sont condamnés à l’anonymat, et l’art africain dit moderne, qui seul donnerait droit à revendiquer une signature. «Il devient nécessaire d’arracher les reliques africaines de leur espace et de leur fonction rituels afin de révéler les marques laissées par la main de l’artiste qui les a créées.» Reprenant une phrase de Sidimé Laye, il va plus loin en estimant même que «les masques, statues et traditions orales représentent mieux l’Afrique à l’étranger que les intellectuels et les hommes politiques».
Pour clore sa «quête d’Afrique», Manthia Diawara boucle la boucle en nous faisant retraverser l’Atlantique. Il se penche sur la culture populaire noire, le phénomène rap et les relations inter-communautaires aux Etats-Unis. Ce brusque changement de décor pourrais dérouter le lecteur habitué aux récits linéaires. Manthia Diawara ne s’en cache pas, son livre est une combinaison d’écrits sur son retour en Guinée et de travaux personnels, notamment sur l'écrivain afro-américain Richard Wright. Ils y trouvent pourtant leur cohérence, sans doute parce que son analyse est d’une grande pertinence. A ses yeux, «ce livre a eu quelque chose de thérapeutique», confiait-il, lors d’un passage à Paris à la fin de l’année. Il est en tous cas une belle invitation à la réflexion en ses temps d’afropessimisme.
*Le livre a d’abord été publié en anglais, sous le titre In Search of Africa, en 1998, chez Harvard University Press.
par Christophe Champin
Article publié le 10/01/2002