Tourisme
Vacances du Nord, exploitation du Sud
L’association de solidarité internationale Agir Ici mène une campagne de sensibilisation au tourisme responsable sur le thème «Quand les vacances des uns font le malheur des hôtes». En accusation, les effets néfastes, sur le plan économique, social, écologique et culturel d’un certain développement touristique. Gérard Rovillé, anthropologue, membre de Transverses, association de réflexion et d'action sur le tourisme Nord-Sud et partenaire de la campagne, précise les enjeux.
RFI: En 2000 le tourisme a représenté un marché de 476 milliards de dollars dont les Etats-Unis (85 milliards de dollars) et l’Europe (230 milliards de dollars) sont les grands bénéficiaires. Pourquoi les pays en développement ne voudraient-ils pas profiter de cette manne ?
Gérard Rovillé: C’est évident que les pays en développement veulent en profiter. Partis de zéro, il y a quarante ans les pays du Sud ne représentent aujourd’hui qu’un petit 20% du tourisme international. Nous dénonçons le fait que, dans les années 70, le tourisme ait été prôné comme vecteur de développement pour les pays du Sud. Or, il n’a pas permis à ceux qui avaient un faible potentiel industriel de se développer. Si le tourisme rapportait tant que cela, la Tunisie qui en fait depuis 40 ans devrait attirer des immigrés européens !
Non, dans les pays en développement, le tourisme est un des facteurs aggravant de la dette et tous les calculs montrent que lorsqu’un touriste dépense 1000 euros pour son voyage, 800 remontent au Nord et 200 seulement restent dans le pays. Le tourisme fait tourner Airbus et Boeing, les complexes hôteliers appartiennent à des investisseurs du Nord, les agences de voyage du Nord prennent leur commission. Ce sont les postes de dépense les plus lourds par rapport aux prestations de services sur place. Payer 5000 FF (760 euros) une semaine à Pékin, c’est largement en dessous de ce que cela devrait valoir. Or, surtout en cette période de crise après les attentats du 11 septembre, sur quoi casse-t-on les prix ? Les pays d’accueil travaillent à prix coûtant et pèsent sur les salaires.
RFI: N’y a-t-il pas, de fait, antagonisme entre l’intérêt des touristes et ceux des pays d’accueil ?
GR: C’est évident, les consommateurs comparent les prix, font les soldes. La logique du Guide du routard c’est de donner les prix les plus bas, au détriment des pays du Sud. La politique de prix les plus avantageux pour les touristes du Nord, c’est des salaires les plus bas possible dans le secteur hôtelier. Dans les années 70 le ministère du tourisme tunisien a décidé de remonter le prix des hôtels pour que le personnel bénéficie un peu de la manne. La réaction du plus gros acheteur de chambres, un groupe allemand, a été immédiate : le boycottage. La Tunisie a du revenir en arrière.
Une des campagnes de Transverses a été de s’adresser, en ce qui concerne le tourisme social où les prix sont particulièrement bas, aux représentants des comités d’entreprises : onze mois par an vous êtes militants et défendez vos droits, pourquoi ne pas conserver cette démarche le douzième ? Cela n’empêche pas de profiter des vacances, mais c’est du tourisme responsable.
RFI: Le tourisme n’est-il pas toujours plus ou moins une intrusion ? Et le tourisme-ghetto qui concentre les vacanciers dans quelques hôtels est-il pire que l’ethno-tourisme en recherche d’authenticité ?
GR: Le tourisme est une intrusion, bien évidemment, mais l’homme dans l’histoire a toujours bougé, commerce, exploration, voyage, pèlerinage... La Route de la soie a été, après tout, un grand moment du tourisme. Le phénomène nouveau c’est la massification. Et le tourisme est parfois aussi destructeur qu’une armée. Les Chinois le savent puisqu’ils ont ouvert le Tibet aux touristes, le moyen le plus efficace pour déstructurer le milieu.
Dans les pays du Sud, les villages de vacances sont des enclaves quasi diplomatiques où des investisseurs du Nord accaparent des morceaux de plage, quitte à en évincer les occupants. Tout y est importé et quelques emplois subalternes confiés à des salariés locaux. La réaction a été le tourisme «intégré», géré par les populations locales, notamment en Casamance. Mais cette forme de tourisme est très fragile. Quant à l’ethno-tourisme il devrait, dans 90% des cas être supprimé. Ce tourisme qui se veut «hors des sentiers battus» n’est pas du tout alternatif quand il ne fait qu’amener plus profondément, dans les vallées et les déserts, les mêmes problèmes et les mêmes tares que le tourisme classique.
RFI: A quelles conditions peut-on concilier développement touristique et progrès économique et social ?
GR: Actuellement, le modèle touristique le plus encourageant, c’est l’expérience du Nunawut, le nouvel Etat canadien des Inuits. Le tourisme y est contrôlé et géré par les Inuits et il va leur rapporter, à eux. Cependant, tout n’est pas nécessairement bon parce qu‘entre les mains de locaux. Une agence thaïlandaise peut avoir à l’égard des minorités ethniques des villages du Nord le même mépris que les Occidentaux.
Il faut en venir à un «tourisme durable» où les populations soient intégrées dans un processus orienté vers le développement de la région. Cela implique des transferts de technologie et pas des plans de développement clé en main. Et, aussi, des normes de confort compatibles avec les possibilités de la région : une piscine ou un golf dans une région désertique, c’est scandaleux.
Les responsabilités sont à tous les niveaux : celui des autorités locales, des investisseurs, des agences de voyage. Mais, bien sûr, il y va de la responsabilité du voyageur. La campagne d’Agir ici consiste avant tout à faire réfléchir le consommateur afin qu’il pèse, par sa demande, en faveur de «produits» touristiques qui profitent aussi aux pays du Sud.
Pour en savoir plus :
Le site d’Agir ici
Le site de Transverses
Le site de l’ Organisation mondiale du tourisme
Gérard Rovillé: C’est évident que les pays en développement veulent en profiter. Partis de zéro, il y a quarante ans les pays du Sud ne représentent aujourd’hui qu’un petit 20% du tourisme international. Nous dénonçons le fait que, dans les années 70, le tourisme ait été prôné comme vecteur de développement pour les pays du Sud. Or, il n’a pas permis à ceux qui avaient un faible potentiel industriel de se développer. Si le tourisme rapportait tant que cela, la Tunisie qui en fait depuis 40 ans devrait attirer des immigrés européens !
Non, dans les pays en développement, le tourisme est un des facteurs aggravant de la dette et tous les calculs montrent que lorsqu’un touriste dépense 1000 euros pour son voyage, 800 remontent au Nord et 200 seulement restent dans le pays. Le tourisme fait tourner Airbus et Boeing, les complexes hôteliers appartiennent à des investisseurs du Nord, les agences de voyage du Nord prennent leur commission. Ce sont les postes de dépense les plus lourds par rapport aux prestations de services sur place. Payer 5000 FF (760 euros) une semaine à Pékin, c’est largement en dessous de ce que cela devrait valoir. Or, surtout en cette période de crise après les attentats du 11 septembre, sur quoi casse-t-on les prix ? Les pays d’accueil travaillent à prix coûtant et pèsent sur les salaires.
RFI: N’y a-t-il pas, de fait, antagonisme entre l’intérêt des touristes et ceux des pays d’accueil ?
GR: C’est évident, les consommateurs comparent les prix, font les soldes. La logique du Guide du routard c’est de donner les prix les plus bas, au détriment des pays du Sud. La politique de prix les plus avantageux pour les touristes du Nord, c’est des salaires les plus bas possible dans le secteur hôtelier. Dans les années 70 le ministère du tourisme tunisien a décidé de remonter le prix des hôtels pour que le personnel bénéficie un peu de la manne. La réaction du plus gros acheteur de chambres, un groupe allemand, a été immédiate : le boycottage. La Tunisie a du revenir en arrière.
Une des campagnes de Transverses a été de s’adresser, en ce qui concerne le tourisme social où les prix sont particulièrement bas, aux représentants des comités d’entreprises : onze mois par an vous êtes militants et défendez vos droits, pourquoi ne pas conserver cette démarche le douzième ? Cela n’empêche pas de profiter des vacances, mais c’est du tourisme responsable.
RFI: Le tourisme n’est-il pas toujours plus ou moins une intrusion ? Et le tourisme-ghetto qui concentre les vacanciers dans quelques hôtels est-il pire que l’ethno-tourisme en recherche d’authenticité ?
GR: Le tourisme est une intrusion, bien évidemment, mais l’homme dans l’histoire a toujours bougé, commerce, exploration, voyage, pèlerinage... La Route de la soie a été, après tout, un grand moment du tourisme. Le phénomène nouveau c’est la massification. Et le tourisme est parfois aussi destructeur qu’une armée. Les Chinois le savent puisqu’ils ont ouvert le Tibet aux touristes, le moyen le plus efficace pour déstructurer le milieu.
Dans les pays du Sud, les villages de vacances sont des enclaves quasi diplomatiques où des investisseurs du Nord accaparent des morceaux de plage, quitte à en évincer les occupants. Tout y est importé et quelques emplois subalternes confiés à des salariés locaux. La réaction a été le tourisme «intégré», géré par les populations locales, notamment en Casamance. Mais cette forme de tourisme est très fragile. Quant à l’ethno-tourisme il devrait, dans 90% des cas être supprimé. Ce tourisme qui se veut «hors des sentiers battus» n’est pas du tout alternatif quand il ne fait qu’amener plus profondément, dans les vallées et les déserts, les mêmes problèmes et les mêmes tares que le tourisme classique.
RFI: A quelles conditions peut-on concilier développement touristique et progrès économique et social ?
GR: Actuellement, le modèle touristique le plus encourageant, c’est l’expérience du Nunawut, le nouvel Etat canadien des Inuits. Le tourisme y est contrôlé et géré par les Inuits et il va leur rapporter, à eux. Cependant, tout n’est pas nécessairement bon parce qu‘entre les mains de locaux. Une agence thaïlandaise peut avoir à l’égard des minorités ethniques des villages du Nord le même mépris que les Occidentaux.
Il faut en venir à un «tourisme durable» où les populations soient intégrées dans un processus orienté vers le développement de la région. Cela implique des transferts de technologie et pas des plans de développement clé en main. Et, aussi, des normes de confort compatibles avec les possibilités de la région : une piscine ou un golf dans une région désertique, c’est scandaleux.
Les responsabilités sont à tous les niveaux : celui des autorités locales, des investisseurs, des agences de voyage. Mais, bien sûr, il y va de la responsabilité du voyageur. La campagne d’Agir ici consiste avant tout à faire réfléchir le consommateur afin qu’il pèse, par sa demande, en faveur de «produits» touristiques qui profitent aussi aux pays du Sud.
Pour en savoir plus :
Le site d’Agir ici
Le site de Transverses
Le site de l’ Organisation mondiale du tourisme
par Propos recueillis par Francine Quentin
Article publié le 03/02/2002