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France

Mourir à 4 ans

La chute mortelle d’un très jeune garçon dans une cage d’ascenseur ravive le spectre d’une insécurité spécifique dont les classes populaires sont les premières victimes. Ce drame provoque en France une émotion considérable.
Accident ou malveillance, car aucune hypothèse ne doit être négligée, la mort de Bilal Wahibi n’est pas un fait divers ordinaire à mettre sur le compte d’un «destin tragique» ou d’une «implacable fatalité». Depuis dimanche, date du drame, les habitants de cette cité HLM (habitations à loyers modérés) strasbourgeoise ne décolèrent pas. Contre la société gérante du bâtiment, contre celle chargée de la maintenance des équipements, contre l’injustice qui frappe les «petites gens» : «chez les riches, ça ne serait jamais arrivé», entend-on au pied de cet immeuble dans lequel Bilal a succombé à une chute de quinze mètres. Il était 16 heures, avec ses parents il rendait visite à des cousins résidant dans cette cité. Il était parti jouer avec ses copains dans la cage d’escalier, un terrain d’aventures habituel pour les enfants des HLM. Mais lorsqu’il ouvrit la porte de l’ascenseur pour s’y précipiter, celui-ci n’était pas au niveau du palier mais cinq étages plus bas.

La panne était pourtant bien connue des locataires qui l’avaient signalée la semaine précédente. L’un d’entre eux affirme même avoir reçu l’assurance de la société de maintenance, Ascenseur Multi-Services (AMS), que le nécessaire serait fait «dans les 24 heures». «Et puis on n’a rien vu», témoigne ce voisin du 5ème. AMS plaide la malveillance. Selon ses responsables, il est techniquement impossible d’ouvrir une porte en l’absence de la cabine.

L’ascenseur datait de 1957

Le directeur général de l’office HLM de la Communauté Urbaine de Strasbourg, propriétaire de l’immeuble, reconnaît une «responsabilité morale» dans l’affaire. Ce mardi, le ministre de l’Equipement a demandé aux préfets de saisir les organismes HLM de leurs départements pour examiner sans délai les conditions de sécurité des ascenseurs. Quelque 42 000 unités sont concernées. Cet ascenseur-là datait de la construction de l’immeuble, en 1957.

Ce n’est donc pas un fait divers ordinaire mais un véritable «fait de société» qui illustre parfaitement cette insécurité à deux vitesses qui taraude la société française et fait les choux gras des campagnes électorales. Il y a d’une part l’insécurité visible, spectaculaire, celle qui fait les «unes» des journaux télévisés et qui est la conséquence directe de la délinquance. Et puis l’autre : cette insécurité rampante, faite de vétusté et de précarité, qui rend plus fragile la vie dans les cités des banlieues, celle à laquelle échappe la plupart des décideurs, fatalité qui n’intéresse personne, mais dont souffrent quotidiennement les gens ordinaires. Celle-ci n’est pas entendue, ou alors elle est négligée. Et c’est cette surdité apparente des pouvoirs publics qui alimente cette crise de confiance entre les citoyens et leurs représentants, et trouve sa traduction dans des bulletins de vote. Maintenant «on a la haine», déclarait au lendemain du drame la voisine du 4ème.



par Georges  Abou

Article publié le 21/05/2002