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Justice internationale

CPI : la fin de l’impunité

Le 11 avril 2002, la Cour pénale internationale (CPI) enregistrait les dernières ratifications, parmi les soixante requises, pour sa mise en œuvre. La CPI devient ainsi la première cour criminelle internationale permanente. Son installation aura lieu le 1er juillet. Depuis la conférence fondatrice de Rome, en 1998, ses partisans ont dû batailler ferme pour que ses statuts demeurent fidèle au principe d’indépendance.
La Cour pénale internationale (CPI) est compétente pour juger les crimes les plus graves, et seulement ceux-là, soit : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et, formule encore mal définie qui ouvre la voie aux jurisprudences, le «crime d’agression». C’est un instrument inédit dans le panorama judiciaire mondial, notamment en raison de son caractère permanent. Désormais la communauté internationale n’aura plus besoin de volonté politique, traduite par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, pour convoquer un tribunal pénal.

C’est dans cette indépendance que réside sa principale originalité par rapport aux instruments précédents, en particulier les tribunaux ad hoc actuellement en charge d’examiner les conséquences des guerres civiles yougoslave et rwandaise. Pourtant, la CPI n’est pas totalement déconnectée du système de l’Onu. Outre les Etats-parties, qui auront ratifié le statut fondateur, le Conseil de sécurité pourra également saisir la CPI pour engager des poursuites. Il pourra également demander à la CPI de ne pas poursuivre pendant une période d’un an, renouvelable, en vertu des articles du chapitre VII de la charte, qui autorisent l’organisation internationale à prendre des mesures exceptionnelles, contraignantes voire coercitives, face à une situation d’urgence qui mettrait en péril la communauté internationale. Enfin le procureur de la CPI peut, de sa propre initiative, ouvrir une enquête qui aboutirait à l’instruction d’un dossier.

C’est un élément capital du dispositif car cette responsabilité, vivement combattu par les adversaires de la cour, est fondatrice de la notion d’indépendance de la CPI. Par cette disposition, celle-ci peut en effet instruire une plainte sans avoir à en référer ni à l’Onu ni aux Etats-parties, dont les décisions restent soumises au principe de souveraineté. Cette particularité laisse en effet le champ libre à la parole des victimes, relayée par leurs conseils parmi lesquels les Organisations non-gouvernementales (ONG) qui font observer que les parquets, émanations judiciaires des Etats-parties, sont rarement à l’initiative des plaintes, sauf pour des raisons politiques. A cet égard, l’installation de la CPI, le 1er juillet, va asséner un véritable coup de bélier dans la souveraineté des Etats, c’est à dire de leurs dirigeants car elle ne reconnaît pas leur impunité, ni fonctionnelle, ni personnelle.

Toutefois, la CPI ne se substitue pas à la souveraineté judiciaire des Etats-parties. Elle leur est complémentaire. Elle agit de façon subsidiaire lorsque ceux-ci s’avèrent incapables, faute de moyens matériel ou juridique, de remplir les obligations liées à leurs engagements. Mais par «moyens» il faut également entendre «volonté». Un pays qui n’honorerait pas sa signature s’exposerait à un examen de l’affaire, selon la procédure définie, devant l’assemblée des Etats-parties qui se tient au moins une fois par an. En tout état de cause, «les Etats-parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence» (Article 86). Les crimes relevant de la Cour ne se prescrivent pas. Conséquence: un véritable travail d’adaptation des juridictions nationales devrait s’accomplir pour les mettre en conformité avec le droit pénal international.

Euphorie et oppositions

La Cour siégera à La Haye, aux Pays-Bas. Elle se compose de dix-huit juges élus pour un mandat de trois ans par les Etats-parties selon des critères de compétence, de valeur morale et de respect des équilibres régionaux. Ils exercent leur fonction à plein temps. De même le président de la Cour est élu pour un mandat de trois ans, rééligible une fois. La Cour ne prononce pas d’autres peines que des peines d’emprisonnement, fixées à trente ans maximum pour une peine «à temps», ou à perpétuité si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifie. A ces peines peuvent s’ajouter des amendes. Le procureur ou le condamné peut faire appel de la décision de la Cour. En principe, l’appel n’est pas suspensif. Les peines sont accomplies dans un Etat désigné par la Cour parmi la liste des pays qui se sont déclarés disposés à recevoir des condamnés, sinon elles sont effectuées dans le pays hôte (les Pays-Bas).

Ainsi, pour la première fois de son histoire, établie sur l’impunité des puissants, l’humanité vient de se doter, avec la CPI, d’un instrument dont on mesure encore mal le caractère subversif pour le principe jusqu’alors intangible de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats souverains. L’usage illégale de la force par les appareils d’état est battu en brèche. Les acteurs politiques du désordre sont menacés. D’ores et déjà, on peut mesurer l’efficacité probable de cette nouveauté institutionnelle à l’aune de l’opposition qu’elle a suscitée dés sa conférence préparatoire, à Rome, lors de l’été 1998. Les opposants les plus farouches à la CPI se comptent parmi les états aux traditions les plus interventionnistes.

D’emblée des grandes puissances, telles que les Etats-Unis et la France, ont exprimé leur volonté d’en limiter les effets en tentant d’encadrer son action. L’une des propositions avancées fut alors de la placer sous la tutelle de l’Onu, dont aucune décision ne peut être prise sans leur consentement. La position américaine est conforme à ses traditions nationaliste, unilatéraliste, isolationniste: un citoyen américain ne peut être jugé que sur le territoire des Etats-Unis, bien que n’importe quel citoyen étranger peut être traduit devant des tribunaux américains. Derrière cette posture, Washington veut mettre, dit-on, ses soldats opérant sur les champs de bataille étrangers à l’abri des accusations de crimes de guerre, passibles de traduction devant la CPI. Ses soldats, mais aussi, déclarent le juristes, ceux qui donnent les ordres, à savoir les dirigeants américains eux-mêmes!

Les Français sont sensiblement sur la même longueur d’onde. Paris a elle-même une grande tradition militaire et une longue expérience des interventions extérieures, dont elle sait qu’elles peuvent virer au tragique. Et, selon l’ambassadeur de France Marc Bonnefous, «il serait bien peu glorieux, en effet, de voir le théâtre des opérations passer des plaines ensoleillées d’Austerlitz à l’ombre grise de prétoires lugubres». Paris fut donc, durant une courte mais décisive période, prise dans un double mouvement contradictoire. D’une part la nécessité de manifester, avec ses partenaires européens et autres, une solidarité sans faille aux statuts naissants de la CPI, sous peine de révéler une hypocrisie honteuse. D’autre part, donner des gages à son puissant lobby militaire. Une formule, non moins honteuse aux dires de nombre de juristes et défenseurs de droits de l’homme, fut finalement trouvée: il s’agit de l’article 124 du statut qui stipule qu’un Etat dispose d’une période de sept ans au cours de laquelle, à partir de son entrée en vigueur, il n’accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne les faits visés par l’article 8, sur les crimes de guerre. Les mauvaises langues diront que la France déclinent ses responsabilités en la matière et devient une terre d’asile pour les criminels de guerre. Les autres estiment que l’essentiel est préservé.

Le 17 juillet 1998, à Rome, cent-vingt pays signèrent la convention portant statut de la Cour pénale internationale; sept votèrent contre (Etats-Unis, Inde, Israël, Bahrein, Qatar, Chine et Vietnam); vingt-et-un s’abstinrent. Aujourd’hui, la convention a recueilli cent trente-neuf signatures; soixante-neuf pays l’ont ratifiée (parmi lesquels le Sénégal fut le premier). Parmi ceux qui ne l’ont pas fait figure la plus grande puissance du monde, les Etats-Unis, ainsi que deux colosses émergeants, la Chine et l’Inde. Soit près de la moitié de l’humanité à eux trois. Mais, de ces trois-là, c’est bien Washington qui semble poser le plus de problème en raison de son opposition compulsive et de son immense capacité d’influence.

En effet, le travail de sape entrepris par les Américains ne prend pas fin avec l’installation de la Cour. Le statut de la CPI n’admet, certes, aucune réserve mais il peut être amendé à l’expiration d’une période de sept ans sur proposition de l’un de ses membres. Et il ne fait aucun doute que les pays mal disposés à son endroit mettront ce délai à profit pour utiliser tous les moyens à leur disposition afin de convaincre leurs amis, pays signataires, d’introduire des modifications visant à en diminuer la portée. On pense notamment à la prorogation de ce fameux article 124.

Les optimistes affirment qu’une CPI donnant toutes les garanties de bon fonctionnement et débarrassée des soupçons de déviations politiques et de partialité ralliera tôt ou tard même ses plus farouches opposants. Au nom du simple principe qu’il vaudra mieux pour eux être «dedans» que «dehors». Et qu’on a pu observer au cours du demi-siècle écoulé que, même de mauvaise grâce, les Etats-Unis ont toujours fini par rejoindre les instances internationales et signer, quoique tardivement, les conventions qui les accompagnent.



par Georges  Abou

Article publié le 26/06/2002