Internet dans le monde
Noms de domaines : la foire d’empoigne
La crise que traverse depuis quelques mois l’Icann (l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), l’organisme de supervision mondiale de l’Internet confirme que cette instance souffre d’un fonctionnement opaque. L’annonce de la prochaine démission de son président Stuart Lynn a engendré une certaine agitation. Et a fait prendre conscience de la nécessité d’une réforme pour une représentation équitable des acteurs mondiaux de l’Internet au sein de l’Icann.
Révolution de palais à l’Icann, l’organisme chargée de l’attribution des adresses IP -qui permettent d’identifier chaque ordinateur dans l’Internet grâce à une adresse unique-, et de la coordination du système de noms de domaines (DNS). Le mathématicien britannique Stuart Lynn a annoncé qu’il quitterait ses fonctions de président de l’Icann en mars 2003. Une manière de dire que, pour sa part, il ne voit pas de solution à l’impasse dans laquelle se trouve l’Icann actuellement. Il est vrai que depuis sa création en novembre 1998, l’Icann a toujours été une organisation balbutiante, qui se cherche. Son mode de fonctionnement a souvent posé problème. Dans ce dossier difficile à synthétiser où de nombreux intérêts politiques et économiques sont en jeu, les rebondissements ont été nombreux. L’Icann a notamment vécu des moments très difficiles lors de la première cyber-élection mondiale à l’automne 2000.
Rappel des faits. Son conseil d’administration composé de neuf membres nommés à titre provisoire (4 Américains, 3 Européens et 2 Asiatiques) en 1998 avec l'approbation du Secrétariat d’Etat américain au Commerce s’est enrichi de neuf autres membres provenant des organisations de soutien (Supporting Organizations) sans lesquelles Internet perdrait toute sa crédibilité. Sur ces neuf désignés provisoirement, cinq ont déjà été remplacé à l’automne 2000, à l’issue d’une élection mondiale de l’Internet. Les quatre restant ont refusé de céder leur place à des représentants démocratiquement élus par les internautes. L’influence des lobbies industriels ou gouvernementaux est très forte dans toutes les grandes étapes de la vie de l'Icann. Après les squatters du comité directoire, il y eut le scandale du choix des nouveaux suffixes. Ce processus de choix a été mis en cause. On reproche à l’Icann d’avoir faussé la compétition d’enregistrement et d’attribution des nouvelles extensions génériques. Au terme de plusieurs semaines de lobbying intensif, un certain nombre de candidats évincés lors de l’attribution de ces nouveaux suffixes, ont convaincu le Congrès de l’utilité d’une enquête.
Dernier problème et non des moindres : le sentiment d’autorité des Américains sur le dossier. Les Etats-Unis, la patrie de l’Internet, n’hésitent pas à rappeler qu’ils ont construit et payé l’Internet. L’Icann a été créé en 1998 sous la houlette des autorités américaines et son siège est basé à Los Angeles. Loic Damilaville, membre de l’Isoc France, est consultant auprès de nombreuses entreprises pour tout ce qui concerne la stratégie de nommage et de protection des marques sur Internet. Dans le cadre de ses activités, il a suivi les débats de l’Icann depuis sa création. Pour beaucoup d'experts, la mission de l’Icann est avant tout la gestion technique de l’Internet et non la gouvernance «politique ou juridique» du réseau informatique mondial. Selon lui, c’est là que réside le problème de fond : «Certains voient l’Icann comme une instance de gouvernance uniquement technique qui gère le système des noms de domaine sur Internet. Mais comme il n’existe pas de gouvernement planétaire, elle a été amenée par la force des choses à prendre des décisions sur des problèmes qui ne sont pas techniques comme la propriété intellectuelle des noms de domaines et les marques. Aujourd’hui, il y a une grande question autour du périmètre de ses pouvoirs et aussi de son organisation».
Avenir incertain
Sur le papier, cette structure est censée fonctionner sur un mode transparent et consensuel. A l’usage, la réalité est tout autre. Est-ce une réunion de professionnels qui font du lobbying pour essayer de faire passer un certain nombre de résolutions, ou est-ce une première ébauche de démocratie universelle où les internautes peuvent donner leur opinion ? «Il n'y a pas de réponse absolue, commune et consensuelle», analyse Loic Damilaville. Toujours selon lui, «le pouvoir des lobbies s’exerce dans une certaine mesure à travers les groupes de discussions. Le rôle des directeurs est assez mince ; ils se bornent souvent à avaliser des dossiers préparés par l’équipe de permanents, qui détiennent donc une grande partie du pouvoir réel. Permanents pour la plupart Américains. Conscient du fait que les dysfonctionnements de l'Icann ont conduit celle-ci dans une impasse, le président de celle-ci, Stuart Lynn, a donc proposé une réforme.»
L'objectif de cette réforme est supprimer le collège des représentants élus par la communauté des utilisateurs au profit d’une représentation gouvernementale directe. Cette présence consultative accrue des gouvernements est un principe de réforme sur lequel toutes les avis ne semblent pas s’être rapprochés, comme l’explique Loic Damilaville : «Personne n'est d’accord sur cette proposition. Aujourd’hui, les discussions prennent pour base la proposition de Stuart Lynn qui n’est pas forcément la bonne marche à suivre. Selon certains, cette proposition pourrait aboutir au pire. L'intervention des gouvernements dans la gestion de l'Internet est perçue par certaines communautés comme potentiellement liberticide. Mais force est de reconnaître que l'absence des gouvernements a aussi permis l'éclosion de nombreuses pratiques qui portent tort aux utilisateurs et donc à l'Internet lui-même. La meilleure solution serait donc d'envisager un système ou les gouvernements soient présents, mais sous des formes adaptées à l’Internet. De toute façon, la procédure ne sera pas simple.»
Un Icann nouveau se dessine. Trop tôt encore pour se prononcer. Des éléments nouveaux vont sans doute émerger dans quelques jours de la prochaine réunion prévue à Bucarest (Roumanie) du 24 au 26 juin où les positions de chacun vont se décanter. Les 19 membres du Conseil d’administration, l’équipe des permanents et tous les membres des -supporting organisations- mais également les internautes vont être présents. «A Bucarest, les différents représentants vont répéter leurs prises de positions officielles. Mais c’est lors de la réunion qui se tiendra à la fin de l’année en Chine que vont être prises les orientations définitives», indique Loic Damilaville. Avant d’ajouter : «Mais une fois que l’on a tous les avis, comment les faire coïncider ? Reste que l’on ne pourra vraiment envisager une "vraie" réforme de l’Icann tant que les Américains n’accepteront pas de partager le pouvoir. Internet est naturellement pour eux une ressource vitale pour leur défense et leur économie; mais elle le devient aussi pour les autres pays. Et le principe du contrôle de cette ressource par une unique super-puissance ne peut pas perdurer sans que naissent un jour de graves tensions géopolitiques. Aujourd'hui, les Etats-Unis ont toutes les cartes en main pour orienter l'Icann dans le sens d'une "co-gouvernance" pacifique de l'Internet qui leur reste favorable, en évitant d'avoir à construire demain cette inévitable "co-gouvernance" dans un contexte plus conflictuel ».
Rappel des faits. Son conseil d’administration composé de neuf membres nommés à titre provisoire (4 Américains, 3 Européens et 2 Asiatiques) en 1998 avec l'approbation du Secrétariat d’Etat américain au Commerce s’est enrichi de neuf autres membres provenant des organisations de soutien (Supporting Organizations) sans lesquelles Internet perdrait toute sa crédibilité. Sur ces neuf désignés provisoirement, cinq ont déjà été remplacé à l’automne 2000, à l’issue d’une élection mondiale de l’Internet. Les quatre restant ont refusé de céder leur place à des représentants démocratiquement élus par les internautes. L’influence des lobbies industriels ou gouvernementaux est très forte dans toutes les grandes étapes de la vie de l'Icann. Après les squatters du comité directoire, il y eut le scandale du choix des nouveaux suffixes. Ce processus de choix a été mis en cause. On reproche à l’Icann d’avoir faussé la compétition d’enregistrement et d’attribution des nouvelles extensions génériques. Au terme de plusieurs semaines de lobbying intensif, un certain nombre de candidats évincés lors de l’attribution de ces nouveaux suffixes, ont convaincu le Congrès de l’utilité d’une enquête.
Dernier problème et non des moindres : le sentiment d’autorité des Américains sur le dossier. Les Etats-Unis, la patrie de l’Internet, n’hésitent pas à rappeler qu’ils ont construit et payé l’Internet. L’Icann a été créé en 1998 sous la houlette des autorités américaines et son siège est basé à Los Angeles. Loic Damilaville, membre de l’Isoc France, est consultant auprès de nombreuses entreprises pour tout ce qui concerne la stratégie de nommage et de protection des marques sur Internet. Dans le cadre de ses activités, il a suivi les débats de l’Icann depuis sa création. Pour beaucoup d'experts, la mission de l’Icann est avant tout la gestion technique de l’Internet et non la gouvernance «politique ou juridique» du réseau informatique mondial. Selon lui, c’est là que réside le problème de fond : «Certains voient l’Icann comme une instance de gouvernance uniquement technique qui gère le système des noms de domaine sur Internet. Mais comme il n’existe pas de gouvernement planétaire, elle a été amenée par la force des choses à prendre des décisions sur des problèmes qui ne sont pas techniques comme la propriété intellectuelle des noms de domaines et les marques. Aujourd’hui, il y a une grande question autour du périmètre de ses pouvoirs et aussi de son organisation».
Avenir incertain
Sur le papier, cette structure est censée fonctionner sur un mode transparent et consensuel. A l’usage, la réalité est tout autre. Est-ce une réunion de professionnels qui font du lobbying pour essayer de faire passer un certain nombre de résolutions, ou est-ce une première ébauche de démocratie universelle où les internautes peuvent donner leur opinion ? «Il n'y a pas de réponse absolue, commune et consensuelle», analyse Loic Damilaville. Toujours selon lui, «le pouvoir des lobbies s’exerce dans une certaine mesure à travers les groupes de discussions. Le rôle des directeurs est assez mince ; ils se bornent souvent à avaliser des dossiers préparés par l’équipe de permanents, qui détiennent donc une grande partie du pouvoir réel. Permanents pour la plupart Américains. Conscient du fait que les dysfonctionnements de l'Icann ont conduit celle-ci dans une impasse, le président de celle-ci, Stuart Lynn, a donc proposé une réforme.»
L'objectif de cette réforme est supprimer le collège des représentants élus par la communauté des utilisateurs au profit d’une représentation gouvernementale directe. Cette présence consultative accrue des gouvernements est un principe de réforme sur lequel toutes les avis ne semblent pas s’être rapprochés, comme l’explique Loic Damilaville : «Personne n'est d’accord sur cette proposition. Aujourd’hui, les discussions prennent pour base la proposition de Stuart Lynn qui n’est pas forcément la bonne marche à suivre. Selon certains, cette proposition pourrait aboutir au pire. L'intervention des gouvernements dans la gestion de l'Internet est perçue par certaines communautés comme potentiellement liberticide. Mais force est de reconnaître que l'absence des gouvernements a aussi permis l'éclosion de nombreuses pratiques qui portent tort aux utilisateurs et donc à l'Internet lui-même. La meilleure solution serait donc d'envisager un système ou les gouvernements soient présents, mais sous des formes adaptées à l’Internet. De toute façon, la procédure ne sera pas simple.»
Un Icann nouveau se dessine. Trop tôt encore pour se prononcer. Des éléments nouveaux vont sans doute émerger dans quelques jours de la prochaine réunion prévue à Bucarest (Roumanie) du 24 au 26 juin où les positions de chacun vont se décanter. Les 19 membres du Conseil d’administration, l’équipe des permanents et tous les membres des -supporting organisations- mais également les internautes vont être présents. «A Bucarest, les différents représentants vont répéter leurs prises de positions officielles. Mais c’est lors de la réunion qui se tiendra à la fin de l’année en Chine que vont être prises les orientations définitives», indique Loic Damilaville. Avant d’ajouter : «Mais une fois que l’on a tous les avis, comment les faire coïncider ? Reste que l’on ne pourra vraiment envisager une "vraie" réforme de l’Icann tant que les Américains n’accepteront pas de partager le pouvoir. Internet est naturellement pour eux une ressource vitale pour leur défense et leur économie; mais elle le devient aussi pour les autres pays. Et le principe du contrôle de cette ressource par une unique super-puissance ne peut pas perdurer sans que naissent un jour de graves tensions géopolitiques. Aujourd'hui, les Etats-Unis ont toutes les cartes en main pour orienter l'Icann dans le sens d'une "co-gouvernance" pacifique de l'Internet qui leur reste favorable, en évitant d'avoir à construire demain cette inévitable "co-gouvernance" dans un contexte plus conflictuel ».
par Myriam Berber
Article publié le 13/06/2002