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Espagne

Un rocher qui cache de nombreux litiges

La crise de l’îlot du Persil/Leïla, qui oppose Marocains et Espagnols, n’est qu’un rocher derrière lequel se cache la montagne des litiges qui enveniment depuis des mois les relations entre les deux pays. Et l’occupation militaire par Madrid de ce confetti de treize hectares et demi, peuplé depuis quarante ans par des chèvres, a créé un sentiment d’incompréhension chez les Marocains qui s’indignent de l’attitude «belliqueuse» de l’Espagne dans une crise qui aurait pu, estiment-ils, se dénouer par la voie diplomatique. Une crise incompréhensible si on ne la situe pas dans le cadre de la «décolonisation», depuis longtemps souhaitée par Rabat, des enclaves de Ceuta et Melilla au moment ou Madrid tente de négocier avec les Britanniques un statut de co-souveraineté sur un autre rocher naguère stratégique : celui de Gibraltar.
La crise de l’îlot du Persil/Leïla aurait pu se dénouer autrement. C’est en tous cas ce qu’affirment les autorités marocaines pour qui l’intervention militaire espagnole «équivaut à un acte de guerre». Le ministre des affaires étrangères, Mohammed Benaïssa, a ainsi souligné qu’un accord formel avait été conclu mardi soir entre le Maroc et l’Espagne sur un retrait conditionnel des soldats marocains de l’îlot. Cet accord avait pu aboutir, selon lui, grâce à la médiation des Etats-Unis et de deux pays européens. Rabat s’engageait ainsi à retirer son détachement de soldats à la condition d’avoir une garantie expresse que l’Espagne «ne foulerait jamais le sol de cette île». Cette condition, toujours selon le ministre marocain, aurait été acceptée «au nom de l’Espagne» par son homologue Ana de Palacio, dans la nuit de mardi à mercredi, quelques minutes à peine avant que Madrid n’envoie des commandos spéciaux de l’armée de terre pour déloger les militaires marocains. Madrid, de son côté, nie qu’il y ait eu un quelconque accord préalable avec le Maroc. Soixante-quinze légionnaires occupent depuis l’îlot du Persil/Leïla «pour une durée indéterminée» et deux drapeaux espagnols flottent sur ce rocher dont très peu de gens connaissait jusqu’ici l’existence.

L’intervention militaire espagnole a été violemment critiquée par les autorités marocaines qui estiment avoir été dans leur bon droit en installant la semaine dernière «un poste de surveillance» sur l’îlot du Persil, officiellement pour lutter contre l’émigration clandestine et le trafic de drogue. La position géographique de ce bout de terre, encastré dans une crique à moins de deux cents mètres des côtes africaines, ne permet, selon plusieurs spécialistes, dont l’historienne espagnole Maria Rosa de Madariaga, aucune confusion quant à son statut marocain. L’Espagne ne revendique d’ailleurs pas sa souveraineté mais réclame que soit respecté le statut quo qui faisait qu’aucun des deux pays ne l’occupait jusqu’à présent. Un statu quo qu’elle n’a pas hésité à rompre, estiment les Marocains, en occupant l’îlot et en plantant deux drapeaux «si grands» qu’ils sont visibles des côtes. Si Madrid s’est prévalu du soutien de l’Europe et de l’Occident en général pour intervenir sur l’îlot du Persil/Leïla, le Maroc s’est lui tourné vers le monde arabe et musulman qui a vivement condamné l’intervention espagnole, également critiquée l’Unité africaine qui a appelé à une «solution pacifique».

Une décolonisation inachevée ?

S’il est vrai que les contentieux entre l’Espagne et le Maroc se sont multipliés ces derniers mois, ils ne méritaient sans doute pas que Madrid intervienne militairement pour un bout de rocher qui, s’il avait été à vendre, n’aurait intéressé personne. Cette intervention est d’ailleurs incompréhensible si elle n’est pas placée dans le contexte de la décolonisation. Si Madrid a réagi aussi énergiquement, c’est sans doute pour couper court à toute revendication marocaine sur Ceuta et Melilla, ces deux enclaves en terre africaine sous administration espagnole depuis plusieurs siècles et dont Rabat réclame la rétrocession depuis la fin du protectorat. L’Espagne, qui tente d’arracher aux Britanniques une souveraineté partagée sur le rocher de Gibraltar, pouvait en effet difficilement ignorer les revendications marocaines sur les deux présides et a sans doute trouvé avec l’îlot du Persil/Leïla l’occasion rêvée d’affirmer son intention de ne rien céder sur leur statut.

La presse britannique, qui a dénoncé «un acte de folie» du Premier ministre Jose Maria Aznar, semble ne pas être dupe des intentions espagnoles. «Faire prendre d’assaut par des forces spéciales une île dépourvue d’intérêt stratégique a peut-être sauvé la fierté castillane du Premier ministre, mais cela ne peut aider les intérêts ni de l’Espagne ni de l’Europe», a ainsi estimé le Financial Time qui a souligné que l’Europe n’avait pas besoin «d’une nouvelle source de tension avec le monde arabe». Le quotidien The Independant a fait le même constat en estimant que «personne ne peut encore dire qu’elles seront les conséquences de la brutale réponse espagnole à l’action stupide du Maroc».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 18/07/2002